melanie de biasio
Dijon, ABC, Théâtre des Feuillants, mardi 15 octobre 2019.
Voici ce que c’est d’être, vraiment, une chanteuse de jazz aujourd’hui. Pas de bleu outrancier, pas de nostalgie vendeuse, pas de voix Billie-like. Mais un corps, libre et une voix, libre elle aussi. L’art de l’impudeur, enfin. En scène, Melanie de Biasio s’impose ainsi. Visiblement heureuse de l’acoustique des Feuillants, la vocaliste drive le sensuel et le viril, les skins on fire et cette part de tendresse, de demande et de désir sur laquelle tous les mecs auront, finalement, toujours plus ou moins trébuché.
Dans la longue suite, échappée du dernier album, Lilies, l’entame de set voit le groove jouer les coureurs de fond et la réverb’ teinter les assauts de velours d’une voix nourrie de choses anciennes et du bonheur du jour. Le jazz de Melanie de Biasio est un truc qui prend son temps. Pour vous hameçonner et vous cueillir au moment opportun. En anglais on appelle ça le foreplay. C’est un truc d’amour. C’est joueur, c’est musqué, c’est ravageur. C’est fluide, c’est intense, c’est un trésor. C’est jazz ? Oui avec la féminité matoise d’une P.J. Harvey. C’est jazz ? Oui avec le bleu d’une Bessie Smith poussé au max du max de l’étirement. C’est jazz ? Oui avec les attitudes de Queen Bee d’une Nina Simone. L’ombre de la High Priestess Of Soul plane d’ailleurs sans lourdeur sur la discographie comme sur les prestas live. I’m Gonna Leave You fait mouche en reprise comme en rappel et Lilies s’affiche comme un petit cousin lounge du Backlash Blues. Melanie de Biasio joue de la flûte comme Nina chantait en trompettant.
En live, la prod’ est proche du son ultra léché des albums, notamment No Deal et Blackened Cities (hello Lubrizol), mais l’urgence en aura été déplacée vers une zone plus trouble bien que d’apparence assez calme. Le trio de garçons en scène accepte d’être mené à vue et d’en tisser un écrin imperturbable, malin, multiple et terriblement efficace. Réanimant des morceaux comme The Flow dans des arrangements « club classe » bourrés d’élégance et de quarts de ton. Sous ses apparences, travaillées donc nécessairement trompeuses, de petit lutin nocturne, De Biasio, vautrée dans l’ostinato comme dans le modal, va tutoyer les grandes figures, l’amour ardent, les bêtes de légendes et Saint-Michel en prime. Des récits aussi. Avec des obsessions et des effets de cinoche entendus chez Goldfrapp, donc forcément un peu chez Morricone. De Biasio n’est pas une cowgirl pour autant. Dans les grands espaces au large écho sonore, elle ne cherche pas l’or mais le prix du silence. Comme dans cette version de l’Afro Blue, de l’écrivain noir et très rouge Oscar Brown Jr., descendant loin, loin, descendant loin à l’intérieur de soi, la chanteuse-flûtiste touche la quête de l’altérité simonienne : « Come on let me know how you feel ». Parfaitement bien, indeed.
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⊗ Guillaume Malvoisin
photo © Nova, capture d’une vidéo live.
Melanie de Biasio était l’invitée, il y a 3 ans, de Play Misty , géniale émission où des musiciens sont confrontés à un film et invités à détailler « leurs histoires, leurs B.O. comme elles se racontent, comme elles se répondent. Répliques entre ombres et lumières, Ascenseur pour l’échafaud mais mécanique organique vers Mélanie De Biaso qui vit haut. Et jusqu’au ciel de sa demeure : 86 marches, 4 paliers, des portes et des musiciens derrière, chaque fois des musiciens. C’est immeuble est un rêve. Douce ascension et Mélanie qui vous sert pour l’apéro la B.O. d’Ascenseur pour l’échafaud ».
(merci à Bastien Pasternotte). à écouter juste ici >
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