Printemps Sauvage

Village, Ancey,
samedi 27 et dimanche 28 avril 2024

par | 30 Avr 2024 | articles, concerts

Printemps Sauvage

Printemps pluvieux, printemps heureux. Quelques gouttes, quelques nuages, mais rien de nature à décourager les sourires de qui que ce soit venu jouer ou applaudir pour deux jours, dans les rues et les granges d’Ancey. Pendant deux journées et une soirée, plus vingt-quatre heures pour les quatorze musiciens invités à se rencontrer puis créer ensemble, Ancey s’est fabriqué une fête. Surplombant les rives de l’Ouche, du canal et les flancs de sa colline, le village s’est inventé un printemps sauvage, grâce à l’huile de coude pressée aux bras des bénévoles de l’association du même nom. Deuxième année, pour ce que le programme annonçait comme « soulèvement poétique ». Pas un raz de marée, pas un tremblement de terre, mais des frémissements hétérogènes, multiples et pluriels. Goosebumps et haussements de sourcils : musiques, théâtre chanté, perfs dansées et improvisations en règle. Le tout, chenu ou joufflu. C’est selon. Récit d’un samedi passé dans les rues d’une fête à ciel ouvert.

Nicolas Virey pour commencer. Vielle à roue, chants à vifs. Echappé du collectif L’Engeance, Virey travaille à la tripe. La sienne, qu’il laisse flotter sur les drones sortis de son instrument. La nôtre qu’il appelle à des petites révolutions, noires et intimistes, fragiles nécessairement. Ses chansons s’enchainent, comme des litanies impies, pointant d’un doigt humble au possible, les ornières de la vie, les détours à faire, les questions à résoudre. C’est une forme de folklore moderne où on croise les chroniqueurs de villages, le chant d’un Arnaud Maisonneuve, celui d’un Julos Beaucarne réanimant les poèmes de René-Guy Cadou. C’est sombre, parfois mal éclairé mais toujours très très hospitalier. Sombre, ok, on enchaîne alors au cimetière. La doublette du Boulevard des Allongés joue avec les croix, avec les tombes, conjure la peur de la mort de leurs saynètes amusées. Nous, on profite, aussi, du point de vue incroyable de cette assemblée réunie entre les marbres et le granit, avec au loin la vallée et une éclaircie pour échos. C’est beau. Retour sur les bancs d’église. Nicolas Thirion et Damien Briançon fabriquent leur petit service mémoriel, posé entre blasphème rieur et supercherie profonde. Les K7 du premier font le lit des cabrioles burlesques du second. Le magnetonium est une machine infernale, une spirale où serpentent souvenirs et larsens, drones et repositionnements constants sur la culture populaire réactualisée. C’est habile, modeste et impitoyable. Ça avance en tombant puis en se relevant, comme un Buster Keaton christique que Damien Briançon laisse poindre.
Pit stops en buvette, changements de pneus. Second départ pour la cuverie. Réunis pour l’occasion, Clément Janinet, Sébastien Bacquias et Nicolas Virey font dans le tellurique. Violon, contrebasse et vieille à roue. Le trio image ce « soulèvement » annoncé plus tôt. Drones épais, d’abord. Motifs courts en répétitions, ensuite. La masse sonore à venir se construit peu à peu, force la porte de la grange et pousse son monde vers la stratosphère. Drones, chants de griot électriques, blues têtus et fiévreux. Les dialogues liant le trio sont rapides et puissants, chacun se fera son récit de l’énergie offerte. Radicale, affable et monstrueuse. Comme un Marco Pantani sur les pentes du Stelvio, en 1994. De quoi prendre ensuite pour argent comptant, la douceur de Pic Panacée, duo de chanteuses, violon-accordéon pour refaire le monde, jusqu’à la nuit et la longue tablée qui n’en finira pas de célébrer le printemps presque revenu. Avant le retour des rencontres le lendemain. Printemps Sauvage, en deux jours, donne sans doute plus qu’un festival institué en plusieurs soirées roboratives. C’est léger, c’est simple. Des musiciens, du coin et d’ailleurs. Occitanie, Loire-Atlantique, Paris. Des spectateurs, apportant la ville à la campagne, forte d’un bonheur fabriqué à la main et à l’huile de coude de bénévoles. Printemps Sauvage, c’est une pensée festive. C’est la fête au village. Oui. De celles qui ont le sel des rencontres organisées, des impromptus faussement préparés, des plaisirs tout à fait louables et partageurs. Tout cela à l’image du taulier géniteur de ce mini-festival, amateur de poésie, de chair humaine et de rencontres jamais hasardeuses.


guillaume malvoisin
photos © Aline Chalumeau

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