Serge Pey // Le Cri Du Caire

festival Sons d’Hiver, Ivry-sur-Seine, jeudi 6 février 2020.

Le poète et slameur Abdullah Miniawy
festival Sons d'hiver 2020

En 1979, le Clash lançait son London Calling, en 2013, l’appel virait sud-sud-est pour résonner au Caire. Entre-temps, il avait rempli les poches d’un toulousain, acteur de ses propres mots. 2020, la colère est toujours au rendez-vous. On la voit, on m’entend, on la pressent. Celle qui refute, qui secoue, qui proclame. Et, clamer pour, Serge Pey, sait le faire. Sans autre forme de procès, que l’ouverture en grand de sa bouche puis de sa gorge, toutes deux suivies de très très près, pour ce set à Ivry, par les rocailles vocales de Beñat Achiary et les frappes désengourdies et impavides de Julen Axiary. « Parfois notre maison est inhabitable. » Reste alors à sortir pour « accrocher des éclairs », évoquer avec force Fabienne Kabou, mère infanticide sous influence à Berck, sommer les fleuves de dire leur noms, puis, enfin, suivre pied à pied la liberté offerte par la scène. Le trio, en alerte constante, larde la politique dans le fond et la forme. Être poète, c’est, aussi, être responsable de l’oreille des autres, être capable d’aller en frapper l’enclume pour faire sonner les trouvailles tautologiques et arboricoles transcendées sur l’instant. Improvisateur hors pair, Beñat Achiary grave contre les scansions enlevées de Pey, aiguë lorsque la voix du diseur se pose sur les frottements de peaux. Tout pourrait être pesé sur trébuchet. Mécanique de précision prête à l’allumage. Le poème est la condition du feu. Il faut tonner et « multiplier les foyers de poésie pour mettre le feu à la plaine ». Alors nous revient, par une mystique centenaire, une forme de blues de terroir. Large, insufflé et terrible.
Le souffle, côté cairote, se mue en cri. Celui qui animait déjà les soubresauts, place Tahir en 2013, d’une jeunesse en révolte contre la religion et l’armée. 7 ans plus tard, le cri résonne toujours. Dans la gorge du poète et slameur soufi, Abdullah Miniawy. Long et lent d’abord, à peine heurtée par les nuages de colophane tirés de l’archet de Pierre Le Bourgeois, à peine timbré par le cuivre de Peter Corser. La litanie est lancée, placée sous les pédales rythmiques et les brisures sonores parfaites du cello, chahutée de l’épaule par le sax tenor. Et la voix, aux aigus pleins de gorge et de puissance, de flotter, littéralement sur les gradins d’Antoine Vitez. Plus loin, tout juste posé, le grave se met la scansion au palais. Allant téter du rap félin, du corps raidi et de l’hypnose des répétitions, allant cherchant quelques esquisses Free sur leur propre terrain pour les provoquer. La rage qui est l’origine et l’essence du Cri du Caire danse alors avec le sax gnawa, les cordes pléthoriques brisant la barrière de la compréhension du texte. Deux ou trois punks définissaient leurs assauts comme du son qui fait sens. Ajouter ici la puissance intime. Ne pas s’y tromper, les foyers de poèmes, allumés plus tôt par Serge Pey, ont la braise toujours ardente. Autre forme, autre langue claquée mais même urgence à rudoyer le monde qui nous englobe.

English spoken, here.

In 1979 The Clash launched its London Calling. In 2013 the call turned south-south-east and resound in Cairo. In the meantime, it had filled the pockets of a man from Toulouse, speaker of his own words. 2020, anger is still there. Can see it, can hear it, can smell it. The kind which refuses, shakes or proclaims. Proclaiming, Serge Pey, knows how to do so. With no other thing than the grand opening of his mouth and then his throat, both followed very closely, for this set in Ivry, by the vocal rocks of Beñat Achiary and the unbridled and impassioned strikes of Julen Axiary. “Sometimes our house is uninhabitable.”All that’s left to do is to go out and “hang lightning bolts”, to finely evoke Fabienne Kabou, an infanticide mother, to summon the rivers to say their names, and then, finally, to grasp the freedom offered by the stage. The trio, constantly on the alert, is fulfilled with politics. To be a poet is also to be responsible for the others ear, to be able to go and strike the anvil to make ring out the tautological and arboreal finds transcended in the moment. An outstanding improviser, Beñat Achiary lowers against Pey’s removed scans, high-pitches when the voice of the announcer lands on the rubbing of a few drumming skins. This precision mechanics is ready for ignition. The poem is the condition of the fire. It is necessary to thunder and “multiply the poetry hearths to set fire to the plain”. Then comes back to us, through a century-old mystique, a form of vernacular blues. Broad, breathed and terrible.
At Le Caire, Breath turns into a shout. The one that already animated the upheavals, Place Tahir in 2013, of a youth in revolt against religion and the army. 7 years later, the cry still resounds. In the throat of the Sufi poet Abdullah Miniawy. Long and slow at first, barely struck by the clouds of rosin drawn from the bow of Pierre Le Bourgeois, barely stamped by Peter Corser’s copper. The litany is launched, placed beneath the rhythmic pedals and the perfect sound breaks of the cello, heckled by the tenor sax. And the voice, with throat full of treble and power, literally floats on the bleachers of Antoine Vitez venue. Farther on, barely laid down, the bass starts to scan the palate. Going to suck on the feline rap, the stiffened body and the relapses hypnosis going looking for a few Free sketches on their own ground to provoke them. The rage that is the origin and essence of the Cri du Caire then dances with the gnawa sax, the plethoric strings breaking the barrier of understanding and language. Two or three punks defined once their assaults as sound that makes sense. Add here the intimate power. Make no mistake about it, the poetry hearths, lit earlier by Serge Pey, still have a burning embers. Another form, another slammed language, but the same urgency to bully the world that surrounds us.


Guillaume Malvoisin
photos : Abdullah Miniawy © Cyrille Choupas
autres © DR

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