Nils Frahm
De l’electro pour les classiqueux ? Du classique pour l’electro people ? Un peu des deux, mon capitaine. Nils Frahm avance à cheval entre les deux, l’allemand planant n’a pas de patrie. De ville en ville, il balade ses concerts Music For…. À Dijon, à la Vapeur, l’atterissage sera cotonneux, remuant et furieusement bienveillant. Revue de détails avec un créateur aux influences multiples.
Tu te souviens de ton tout premier contact avec le piano ?
J’étais sans doute très jeune… Il y avait un piano chez moi, qui appartenait, me semble-t-il, à ma mère. Et dès que j’ai pu atteindre les touches, j’en ai joué, avant de savoir comment en jouer, ça c’est sûr.
Plus tard, quelles ont été tes influences électro ?
À n’en pas douter, des centaines, voire des milliers. Pour n’en citer que quelques-uns : Roni Size, DJ Shadow, Ten from England, Dj Krush, Portishead, Massive Attack… C’était l’Angleterre et les années 90. Puis, pour les années 2000, plutôt des choses de Berlin comme Dictaphone, Swat, Scape et des trucs plus obscurs.
On peux entendre ces influences electro dans ta musique. Pourtant, tu as choisi de ne pas choisir. Ni style, ni répertoire. Tu combines le fait d’être interprète classique et musicien électronique.
Tu vas surtout vers ce que tu aimes le plus. La musique signifie plus pour moi quand elle est improvisée, donc je n’ai jamais été dans l’idée de jouer des pièces du répertoire classique, ce que font d’autres musiciens, et terriblement mieux.
Ce serait idiot de te penser comme un musicien classique jouant pour des fans d’électro, et vice-versa ?
Pas du tout, tu pourrais le dire ! Et j’aime ça. Il n’y a pas que des nerds. Dans ma musique, je n’essaye pas de cacher quelque chose de difficile, c’est vraiment une invitation à rencontrer mon univers.
On parle souvent de « jouer du piano ». Tu joues pas mal avec les instruments eux-mêmes, en les démontant, les détournant. Est-ce que le jeu est une chose importante dans ta musique ?
Pour moi, la musique, c’est beaucoup plus. La musique, c’est d’abord de la communication et je n’ai jamais vraiment compris, dans le langage, pourquoi on utilise ce mot de « jouer » de la musique ou du piano. Ça vient peut-être du temps où la musique était quelque chose qui appartenait à l’afterwork, un moment où on pouvait s’amuser. Ce que je fais, c’est mon job, c’est du travail, donc je ne peux pas « jouer » 10 heures par jour. Quand les gens disent : « Oh, tu joues du piano », ça sonne comme si je n’avais jamais vraiment grandi, comme si j’étais toujours dans ma chambre d’enfant. Peut-être est-ce cette image que les gens ont des musiciens ? (il rit)…
Ta propre musique semble se nourrir d’énormément de sons, de nombreuses personnes, de nombreux endroits.
Je passe beaucoup de temps à rechercher des instruments, pour rencontrer de nouveaux sons, des gens qui créent ces instruments, qui travaillent dans l’art sonore. Je collabore davantage avec les luthiers, plus qu’avec les musiciens, comme tu peux le remarquer. Parce que nous devons passer beaucoup de temps ensemble pour inventer quelque chose.
Qu’est-ce que tu essayes d’accomplir en mettant autant d’attention et de soin dans la musique que tu joues ?
J’apprécie quand le musique se joue avec de l’intention. Et je prends du plaisir quand je rentre profondément en musique. Pour moi, c’est la seule façon dont je veux travailler le son. C’est une sorte d’extrême qui n’est pas toujours apprécié par ceux qui font de la musique plus paisible, qui ne cherche pas à heurter les gens (il rit)… Je veux faire ce que je veux, sans demander la permission. C’est peut-être ce qu’on doit faire en art : aller dans l’extrême.
Quelle place laisses-tu au silence ?
Mon studio est l’un des lieux les plus calmes que je connaisse. Je n’ai pas besoin du silence, le silence complet n’est pas forcément quelque chose de bon. Maintenant, il faut aller hors de l’Europe pour trouver des endroits où il n’y a aucun son.
Le concert à Dijon est dans ta tournée Music For…. Comment prépares-tu un set pour une ville que tu ne connais pas encore ?
Ça ne me pose aucun problème d’arriver dans un endroit inconnu car c’est toujours une surprise, une rencontre. J’essaye d’être authentique, d’être moi-même et de faire un bon concert. Comme avant chaque concert, je vais au fond de moi-même et je partage ça avec ceux qui sont là. Pour l’improvisation, tu dois être ouvert, ne pas trop préparer les choses et accepter le moment. Je pense, d’une certaine façon, que je me suis préparé toute ma vie pour ce concert à Dijon, si on peut le dire d’une façon un peu pathos.
Comment prépares-tu les auditeurs à visiter ton monde, avant un set, ans même les connaître ?
Je me demande toujours ce qu’ils ressentent, même si, forcément, je ne peux pas faire plus que me questionner à leur sujet… Au début, j’essaye de jouer plutôt de la musique d’atmosphère, souvent un peu de The Caretaker, un de mes artistes préférés.
Est-ce que l’apparente simplicité et accessibilité de ta musique, pourrait être politique dans un monde qui devient de plus en plus complexe ?
Difficile de répondre. Je pense que personne n’a prouvé scientifiquement que notre monde est plus compliqué que celui dans lequel vécurent Beethoven, ou Leonard Da Vinci. On croit que les choses sont plus complexes aujourd’hui car nous sommes plus nombreux, car il y a davantage de technologies, la vie est ainsi facilitée par les logiciels et les smartphones… Simplicité ou complexité, c’est relatif. C’est un choix esthétique, et parfois, quelque chose de simple est très compliqué à jouer. Prends Franz Liszt et Satie… C’est difficile de dire lequel est le plus compliqué à jouer. J’aime me mettre en difficulté avec des pièces très simples, sans décorum. Pour moi, la complexité ne s’oppose pas à la simplicité : c’est juste une émotion différente. On ne devrait pas dire que le monde d’aujourd’hui est plus compliqué mais qu’on affronte des temps difficiles, où on a des décisions à prendre.
Tu parles d’éviter de décorer ta musique. Est ce que c’est une manière d’accomplir ce que tu décris comme : réconcilier les gens avec eux-mêmes, afin qu’ils s’écoutent davantage ?
Peut-être, oui. Tout le monde n’apprécie pas que tu abandonnes la décoration.Elle te garantit un accueil charmant et généreux, elle t’offre de l’attrait pour le public. Je cherche à exclure les décorations non nécessaires afin de me concentrer sur une pièce pour que, lorsque j’y reviendrais dans 10 ans, je puisse me dire, par exemple : « Ok, je ressens toujours la même paix intérieure ». Quand je réduis les pièces à ce que j’estime être leur quintessence, elles devraient pouvoir résister aux affres du temps, même si ça ne veut pas dire que je les aimerais toutes plus tard.
Penses-tu être encore loin de l’essence de ta musique ?
La musique n’est rien, c’est un processus sans fin, comme un cercle éternel. La musique, c’est cette expérience d’imaginer ce coeur sans jamais pouvoir l’atteindre. Heureusement, aucun musicien n’en arrivera à bout. Tu peux abandonner la musique, mais tu ne peux pas la finir.
Petites questions idiotes pour terminer. Quel serait le tout premier son dont tu te peux rappeler à cet instant ?
Sans doute pas de la musique. Peut-être le démarrage d’une voiture. Ou un engin de chantier, sur le chemin de la maternelle. Ou alors le chat qui miaulait. J’aimerais vraiment pouvoir m’en souvenir…
Est-ce que tu peux me donner le titre d’un morceau que tu n’aurais pas encore composé ?
Si j’avais déjà un titre, ce serait complètement à l’inverse de la manière dont je travaille. La musique vient d’abord, toujours. De mon point de vue, les titres sont toujours surcotés mais peuvent être intéressants, néanmoins. Chaque mot se trouve déjà dans la musique elle-même. Je n’ai jamais de concept théorique, j’écris de la musique pour elle-même, et je n’essaye jamais de m’interrompre en réfléchissant trop à ce qu’elle m’évoque.
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propos recueillis par guillaume malvoisin, février 2024
photo © Markus Werner
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