Jasmine Lee © Maxim François

les interviews
de pointbreak

lea
cuny-bret

matter 2930

jeudi 30 janvier 2025, Albi
en partenariat avec l’Albi Jazz festival
et Occijazz, réseau jazz en Occitanie

par | 4 Fév 2025 | interviews, articles

Dernier midi trente sous la tente. Matter 2930 (prononcer 29-30) soloise et réfléchit sur propre matière. Solo à deux, Matter se la joue percussion d’un jazz léché contre de l’électro, massive et précise dans les coups de boutoir pilotés par Franzie Rivère. Léa Cuny-Bret a étudié depuis une paire d’années son sujet, et sous pas mal de coutures, jusqu’au blackjazz, dérivé viking du métal. Ici, la saxophoniste lauréate 2024 des résidences de création Occijazz, toise plutôt les thèmes et la clarté pop. Il va falloir s’y faire, la reverb sur le sax est de retour. Bien moins gênant que le retour des baggy sur les parvis scolaires. Les deux musiciennes de Matter 2930 se connues sur les plateaux de théâtre et la dramaturgie n’est jamais absente dans ce set. Longue valeur des silences, exposition franche des thèmes mis en petites coupures. Si jouer de la musique, c’est porter à l’extérieur ce qui grouille à l’intérieur, Matter aurait le lyrique trop retenu, sans doute trop travaillé, trop contenu et gagnerait à un peu de sauvagerie, à se laisser guider par son versant électro qui pourrait amener le tout, au vu du potentiel aperçu, sur le terrain d’un jazz noise, fait de longues phases exploratoires et hypnotiques. Pas loin de la musique idéale cernée dans l’interview de Léa Cuny-Bret ci-dessous.

Matter 2930, ton solo. Ça sonnerait presque comme le titre d’une fiction d’anticipation, non ?
J’aime beaucoup cette idée, je suis une grande fan de Fantasy et de SF, ce n’est sans doute donc pas pas hasard que ce titre additionne des chiffres et un mot, et sonne futuriste.

Quel est son sens réel ?
Matter, c’est la matière en anglais, et pour moi, un champs de recherche très important en musique, notamment en ce qui concerne le saxophone. 29 et 30, ce sont les numéros atomiques du zinc et du cuivre, métaux qui composent l’alliage dans lequel est fait le saxophone.

Comment switches-tu de ta formation classique initiale à l’étude du jazz ensuite ?
Par des rencontres, notamment de certains professeurs importants. J’ai commencé mon apprentissage dans une école de musique municipale, en périphérie lyonnaise. Damien Gomez, un ancien élève, devenu professeur, m’a permis d’explorer l’improvisation et le répertoire jazz. Arrivée ensuite à Toulouse, je me suis orientée sur la fac de Jazz.

Le saxophone, ton premier choix d’instrument ?
Oui, même s’il y a peu de littérature classique sur cet instrument, plutôt récent dans l’histoire de la musique. Berlioz était un grand fan de saxophone. Après, quand je dis classique, ça englobe aussi musique contemporaine et concrète, où le saxophone est mieux considéré. Le jazz était, pour moi, un excellent complément à ces études.

Qu’est-ce qui vient te chercher dans cette musique ?
Je ne suis pas certaine d’y être tout à fait encore. Le jazz est au final une musique multiple, comme peut l’être le métal que j’écoutais beaucoup, avec énormément de sous-genres, de sous-catégories. Je vois ma musique plutôt comme un espace de liberté où la part de l’improvisation est très grande, sans réellement savoir si ce que je joue, c’est du jazz.

Ce serait quoi le son idéal pour Léa Cuny-Bret ?
Cet instrument est hyper riche dans ses textures et harmoniques. J’avais envie d’aller explorer ce qu’on essaie de gommer, quand on joue du classique ou un certain jazz, où on veut un son propre et pur. J’avais envie de l’inverse, faire entendre le bruit des clefs, le souffle, voire l’exagérer pour developper une musique organique. Ensuite, il y a tout l’aspect amplifié, qui procure d’immenses pistes possibles.

Tu joues free et de l’alto. Alto + Free jazz = Ornette ?
Carrément. Quand j’ai écouté The Shape Of Jazz To Come, considéré comme un des premiers disques de free jazz, j’ai entendu la force d’une liberté qui redéfinit les canons de sa musique. C’est fascinant. Le free jazz fait partie de ce qui m’inspire.

Tu as également écrit sur le blackjazz norvégien. Comment ça arrive une chose pareille ?
À cette époque, j’avais un groupe de métal. Étant saxophoniste, j’avais du mal à trouver une place dans cette musique extrêmement riche, avec beaucoup de guitare électrique et de saturation. Puis je découvre Shining, un groupe norvégien dont le leader est avant tout saxophoniste. Un peu au même titre qu’Ornette pose les canons du free, Shining pose les canons du blackjazz.

Et ça tient vraiment le mélange ?
Le saxophone amène le free et vient percuter les guitares électriques, et le black metal apporte une puissance sonique qui fait vibrer les corps. C’est un peu vite résumé, mes recherches qui ont été publiées chez L’Harmattan, détaille ceci bien mieux.

Comment ses études agissent-elles sur ta musique ?
La grande révélation a été qu’au-delà de l’apprentissage des standards et des grilles d’accords, j’ai rencontré dans cette famille du jazz, les musiques libres et improvisées, et compris qu’on pouvait improviser à 20 ou 30 juste en se regardant dans les yeux.

La France est-elle prêt pour le Blackjazz ?
Oui, je pense, et il y a déjà une scène française du black metal, mais je crois que ça tient quand même au climat. Il faut que ce soit froid et austère pour avoir envie d’aller chercher de ces sensations.

Matter 2930 est un projet démultiplié. Trop étroite aujourd’hui, la question du jazz ?
Non, je ne pense pas, pas avec ce qu’il contient de liberté. Matter est multiple et se rattache au jazz pour une partie seulement.

Ce solo est, en fait, un duo.
J’avais envie d’abord de composer seule, après avoir beaucoup écrit en groupe ou à deux pour le théâtre. Les morceaux du EP sont nés ainsi, en home-studio. Mais je n’avais pas envie de les jouer seule sur scène, parce que cela se partage. Pour moi, les regards entre musicien·nes font partie du concert. Franzie Rivère, musicienne MAO, m’a aidée à réarranger les morceaux, et m’a proposé un système de prise directe et de traitement du son du saxophone.

Ce rapport du jazz au multiple commence à exploser, sans doute pas par hasard, au moment où on commence à se poser enfin la question de la représentation du genre dans ce répertoire. Penses-tu que la résidence de création Occijazz, dont tu es lauréate en 2024, s’inscrive dans cette ouverture ?
Occijazz étant constitué de personnes de genres différents, affiliés à des structures de tailles différentes a toujours été attentives à ces questions. Cette année, faisant partie du jury, ça a été un des premiers constats. Enormément de dossiers ont été déposés par des musiciennes. Et ce n’est pas une volonté de sélection. Il y a plus de mucisiennes retenues, juste parce qu’il y a plus de musiciennes candidates.

Tes modèles féminins quand tu étais en formation ?
Je n’en avais pas vraiment, en musique. Je lisais beaucoup des histoires d’aventures avec des bandes de copains où naviguaient également des filles.

Matter 2030, est très cinématique, très imagé. Il y a d’ailleurs ce titre Cinematography.
Ça tient à la question des paysages mentaux et de comment la musique peut aider à les mettre en forme. C’est ma façon d’écrire, c’est que j’aime écouter aussi.


propos recueillis par guillaume malvoisin, 31 janvier 2025
photo © Sandra Da Silva
+ d’infos sur  Occijazz, réseau jazz en Occitanie

Share This