Fortifs et tremblements

FIMU, festival à Belfort
samedi 27 et dimanche 28 mai 2023

par | 5 Juin 2023 | concerts, articles

Fimu © Nicolas Miot

2 jours au FIMU de Belfort. LeBloc et PointBreak ont séché la réu de jury, rattrapage en live et en direct depuis la cité fortifiée. Le Lion avait les canines tremblantes de plaisir.

Samedi 27

14:30
Bien arrivés à Belfort. Navette, hôtel, pâté (en) croûte. Le festival peut commencer. Direction, la scène jazz. On parle encore de fusion, aujourd’hui ? Sais pas. On est avec El dor à dos des idées reçues. Le combo d’El Dor El Awal aime les mélanges, Herbie, Jajouka et le latino-progressif façon Return To Forever de Chick Corea. On ajoute aussi cette embardée pleine de malices vers l’electro-disco. Le groupe remet aussi quelques pendules à l’heure. Origines de la bombarde, importance des modes arabes dans la musique actuelle et tout un tas d’autres vérités.
Dans la fosse passent, synchros, une cigogne de taille humaine, quelques pirates de travers et la petite foule de la scène jazz, souriant à l’ombre maigrelette des arbres. Retrouvailles avec un Dijonnais à la régie son, paisible, nos oreilles auront deux jours de beau temps. Sur scène, il y a les Egyptiens, très bons, et leurs envolées. Le travail de conteur sans paroles, les récits vissés dans les humeurs les plus généreuses, les racines à l’air libre. Des contrepoints, aussi. Sax ténor versus violon, derbouka versus tom basse eighties, soutenu par une basse inamovible et imperturbable. El Dor danse debout sur un début d’après-midi solaire.

16:30
JJH Potter déroule ses ballades bayou-soft sur la scène Corbis. Tendresse, hommages aux amis et inquiétude de savoir si tout va bien dans la fosse. A priori oui, ou alors les gens sont tout à fait polis. Potter ne fait pas dans la magie mais dans la miniature folk impeccable, mâtinée de spleen et de douceur sûres. Plus dur, le Granit reçoit l’Orchestre Oblique, prêt à se mettre en diagonale. Devant le théâtre, les soixante-quinze ans d’une dame passent et affichent un T-Shirt rouge avec l’inscription ‘bat girl’. On entre.

17:00
Cinématique l’orchestre. Oblique mais jamais de travers. Groove solide (basse tenue par un certain Max Formey, oblige), assauts de cuivres aussi veloutés que vénéneux, bois clairs dans leurs thèmes aux allures d’élégies. Cuivres allemands et arpèges italo-synthés, hautbois russkoffs. On est tout près, on est pas loin des OST de la bénie période où les musiques de films visitaient la pop et l’expérimentation sur le même palier. On n’est pas loin non plus de certains arrangements écrits pour Björk, assez proche des géniales phases de Sibelius. C’est précis, ludique, nourri d’enthousiasme et de lyrisme franc. Soit la diagonale Shostakovich/Howard Shore. Toujours sur la ligne blanche comme chantait Bashung, ce répertoire en création, composé par des jeunes compositeurs dont le chef de ce grand chambardement qu’est l’Orchestre Oblique.

17:55
À Corbis, Akira, rappeur masqué, chauffe son vocodeur pour faire des « vrais sons », pas des « merdes que t’écoutent juste une fois ». Fan club, banderoles et « cœurs brisés recellophanés » par le rappeur. « Pas encore un pro », dit-il. Peut-être mais la profession de foi est déjà enclenchée.

18:30
Selil a le goût des promesses. Celui qui n’engage que ceux qui l’accepte sur le bout de la langue. Sans souci, le mélange des Lyonnais est à notre goût. Les autres retourneront écouter Soprano. Selil, ça joue ébouriffé, ça joue mal peigné et même, osons, parfois imbécile. Ce qui est, dans ces colonnes, une qualité certaine. Le genre de celles qui rendent libre de faire ce pour quoi on est sur terre. Par exemple, du groove en spirale, soutenu par un drive parfait aux drums et le duo bongos/congas prêts pour la baston. Tout va bien. La rythmique est à l’outrage. Claviers désordonnés et carrément frondeurs. Selil dégoise sévère et c’est bon. Très bon. Le reste est en devenir. Saillies trompetées à la mode du Miles de la fin des eighties, pavillon électrique, bouché et incisif. Arpège de guitare en guise de planisphère. Les deux instrus, sans doute, encore trop en retrait. Trop sage encore mais déjà en place pour la musique future. L’inverse serait bien bien pire. Fosse chaloupée par le clavier à ressort, vaguement looké non-genré. Le sextet lyonnais fait dans le neuf avec du vieux. Et rien d’autre. Mojo simple. Plaisir patent. Et gratis. Pas mieux.

19:19
Sang neuf. Un daron voyage à transpalette avec un chargement de fût neufs. Possible que la soirée hardcore ait sauté l’heure de l’apéro et soit déjà en cours. À l’Arsenal, on croise dans le désordre, un immense barbu en robe de soirée rouge, deux énormes cerf-volant en forme d’insectes multicolores figés dans le ciel. Soirée oversize à suivre donc. C’est Hippie Hourrah, excellent décalage canadien. Tatouage sur les squats, gants argentés, short à paillette et chant enfoui au fond du gosier. C’est une pop-psyché ahanée par le lead singer. Morgue de circonstance et stupre acidulé. Calembours en pagaille, musique sixties carrément bien ficelée. On aime carrément ça.

19:54
Superstitieux, les slovènes du Bend-it Orchestra ? Oui carrément. Enfin d’après le début de leur set sur la scène Jazz. Bourrée de cuivres jusqu’au ras du bord. Tant va la coupe aux lèvres, petit pot de lait, Perette et la goutte d’eau. Aucune ref ne serait assez forte pour relever la force de frappe des soufflants du combo. Faux départ juste une fin de balance… Départ réel plus royal. Reprise des débuts de set du king himself. Sonne le Zarastoustra qui ouvrait, aux temps jadis, le bal pour Elvis. Punchlines cuivrées au cordeau. Pas certain que les gens assis se relèvent de si tôt d’une telle décharge. Imaginez Tyson jouant du trombone. Juste pour l’image.

20:58
Las Palomas Serranas passent et repassent. Récits, danses et chansons prémonitoires lancées comme autant d’oracles depuis le Kiosque. Chansons bues en même temps que les pintes fraîches descendues aux tables alentours, avec de grands sourires. Belfort beaucoup plus las coolas que Juarez. Devant moi, une dame à son mari : « tu veux pas rentrer ? Oh, non, encore une, j’aime bien ». Les palombes font mouche. Plus loin, on recroise la cigogne humaine aperçue en début de journée. Bec un peu moins fier.

21:30
Maëlström, très chère. [Na] est sur la scène jazz. On annonce l’éthiopie, on se fait surtout rincés par des salves qui évoquent autant les lézards très lounge de John Lurie que le Chicago destroy de Jaimie Branch. Oh, tiens. Ajoutons le solo malade de Bill Pullman dans Lost Highway de David Lynch. Rémi Psaume, à l’alto tape pas loin du tout. Les deux autres des trois, jamais en retrait, soloïsent comme prince et princesse. Blues, Bach, Xenakis et bossa, entre autres citations malicieuses. [Na], si ça se réclame de l’insolence, ça oublie vite la rime avec indolence. Ça tape fort, ça vous croque en deux bouchées, trois coups de dents, les Strasbourgeois. Encore plus dangereux qu’un bocal de knacks en conserve, plus léger qu’une assiette de Spaetzle/harrissa. Le son de menhir de la façade pousse la fosse aux clap-claps. Elle gagne alors en cris ce que les sièges perdent en tête blanches et en exégètes de Dua Lipa. FIMU pour tous, oui évidemment, mais pas à chaque fois et c’est très bien ainsi. Ce festival s’agite à la conjonction des envies et des résolutions retardées. Classe.

22:21
Arsenal, de nouveau. Cleaver ou clever. On ne saura pas vraiment. Mais c’est fort. Très fort. Très très fort. Trop pour nos petites oreilles fragiles de jazzfan. On tente un repli. Dans la foule : «  t’as vu toutes les gonzesses qu’il y a sur ce festival ? ». Pas près pour 2023, le biker post-68tar désormais très chauve. 
On réussit à louper Turbo Gumzi, zut flûte dommage. On voit de loin le set de Flupke. Beau. Fin du bal.

FIMU belfort

Dimanche 28

14:30
Interview avec Selil (à paraître dans ce mag, très bientôt). On évacue les clichés, le groupe a du bagage et de l’envie. Du potentiel ? Oula, oui, beaucoup. Hâte qu’un paquet de scènes le mette à l’épreuve.

15:15
Interview avec Yubà (à paraître dans ce mag, très bientôt). On prend du recul, on relativise les postures européennes, musicales et féministes. Ce combo est le meilleur des reboot de 8 Femmes.

15:53

Des faluchards post-core, des faluchards des Caraïbes, des faluchards cloués au sol on ne sait pas trop par quoi, la soirée commence tôt du côté de l’Arsenal. Plus loin, passe un T-Shirt ‘Trump 2016’ bien rempli, un pantalon arlequin, des chiens dans des panières, des gens qui s’embrassent à contre-jour. Heureux, on retourne à la scène Jazz.

17:00
Plutôt versé sur le manche en déroulades et l’élégance des arrangements absolus, le combo mené par le guitariste Léo Geller. Quartet, plutôt élégant. Ça tricote, ça brode et ça fait dans la dentelle. Au pays de la Morteau, c’est délicat. C’est brillant. C’est lettré. Mention à Fanny Bouteiller au son de contrebasse plus rond qu’un ballon moins jaune qu’un citron. Très bon.
Pause musiques du monde : The Baklavas enfarine la salle des fêtes. Et c’est de nouveau le jazz, et la scène Jazz. Hugo Diaz est brillant lui aussi en quartet mais avec une rythmique plus solide encore. Vladimir Torres très sûr de son coup à la basse face au dialogue piano/batterie passionnants d’inventivité. Le soprano revisite l’histoire de celui qui le joue ici. Modeste. Introspectif mais sans fausse pudeur. Pas mal du tout. Vraiment.

19:00

Burkina Azza remet les sources musicales au centre du village. Dans la rue. Là où, finalement, on devrait les placer et les replacer sans cesse. À la source de toute énergie. Grands sourires, featuring saxé de [Na], gens qui dansent et sautillement de têtes. Pas loin de la joie solaire du guilty pleasure du raï de Hawas Band mielleux à souhaits et dévorés à dents pleines à l’Arsenal un peu plus tôt. Tout proche, du bonheur de revoir Yubà Afrobeat sur la même scène. Puissance démocratique en action, joie hautement transmissible. Il est des maladies pire que d’autres. Viva Mexico (trois fois).

20:00
Matrigal coupe l’herbe sous les pieds de ceux qui s’amuseraient à imiter l’accent allemand. Ganz gut. Ça combine guitare hispano, madrigal baroque, drums electro au son de feu et réverb sur violoncelle nuancée comme une fin d’Oktoberfest. C’est classico-prog, indéfinissable, groove comme Vincent Ségal savait le jouer, indéfinissable, appliqué au plaisir, c’est ficelé comme il le fallait à 20:26 un dimanche de festival. De quoi se baigner et baigner ses neurones encore allumés. Germanique satiété. Rigueur teutonique. 20:45 pile. Fin du set.

20:59
Aperçu près de l’UTBM, un viking en kilt, 2m12 et une corne d’auroch à la main. Un peu plus loin, un quadra rigolard porte une casquette à hélice et grignote un churros devant T2L qui remue la scène à coups de « hahahaaaahaa », d’aznavour, de « zgegs » et de mobiles à lampe allumée. Enorme. Mini-génies en scène, fosse en poussière et grosses grosses basses au moins aussi joyeuses que ce crew à ressort dévalisant le créneau de 21:00. « Vous êtes trop chauds la famille ! ». Mieux qu’un dimanche tradi avec gigot inclus.

21:45
[Na], deuxième rasade. Encore mieux. Le blues vient frotter sa corne à celle de l’Afrique de l’Est, c’est physique, très physique la musique du trio. Ça ouvre des trésors d’échappées sonores, sort des peccadilles soniques et finit par scotcher tout le monde, une fois de plus. Ce groupe est récent, le tournis vient en imaginant les possibilités d’avenir. Au moins aussi puissantes que la modestie du groupe, que sa joyeuse générosité en scène.

22:30
On termine ces deux jours avec la palme du WTF. Les Thrax Punks sont grecs et fans de cornemuses. Ramoneurs de Parthénon ou militants anti-Aube dorée ? No lo so. Tambour basse, vessie de bélier et jazzmaster noise. On enquête toujours sur ce mix qui donne à la fosse de l’Arsenal de gros gros émois hurleurs. Émois fondus dans la nuit où quelques cocos agitent la torche de leur mobile depuis le haut des fortifs. Bien joué Vauban, joli petit air de fête, ta géométrie.


Guillaume Malvoisin
photo © Nicolas Miot
d’autres photos sont à retrouver sur la page FB du FIMU

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