Celia Wa, under the stars

La tête dans les nuages ? Non, non. Plus haut. Dans les étoiles. Aussi variées que les constellations, ses influences compilent Guy Conquête et Coltrane, en passant par Hiatus Kaiyote. Rencontre glissée sous le signe de Wastral.

par | 7 Juil 2021 | interviews

Celia Wa

Celia Wa © Ingrid Mareski

Wastral pour le titre, ça vient doù ?

Souvent ce qui revenait dans les morceaux c’était cet aspect astral, flottant et un peu lunaire. Wastral, c’est ce qui m’est venu en premier comme titre. C’était censé être provisoire mais j’aimais beaucoup ce titre, on l’a donc gardé.

Tas des réfs en astronomie ?

En astrologie, plutôt. J’observe beaucoup le ciel, le soir. Ça me permet de me concentrer et de méditer un peu. Ça m’apaise, en fait.

Tu choisis de chanter en anglais et en créole, ça vient d’où ?

C’est ce qui vient naturellement quand j’écris. Sûrement parce que j’ai commencé la musique avec le gwo ka où les chants sont en créole. J’ai été immergée dans cette langue et cette culture. C’est une langue très musicale. Parfois, les images sont difficiles à traduire littéralement. L’anglais, c’est parce que j’ai beaucoup de références anglophones dans ce que j’écoute. Le français, c’est plus difficile à faire sonner. C‘est moins naturel pour moi.

— Pa Ka Lagué (Mmaestro Sessions, 2021) © Wendel Nazaire

« Billie Holiday, j’ai commencé à l’apprécier quand je l’ai vraiment comprise. »

Tu parles de tes inspirations, cest quoi les plus marquantes ?

En termes d’inspiration et d’énergie, il y a Guy Conquête. Là, c’est vraiment le milieu gwo ka. Après, t’as forcément Erykah Badu et aussi Hiatus Kaiyote.

Il y a pas mal d’électro, avec des rythmiques jungle par exemple et pas mal de jazz dans les harmonies et les accords, elle est faite de ça aussi ta culture, de mélange ?

Ma culture, c’est un mélange. J’ai fait du jazz pendant 5 ou 6 ans. J’étais dans une école de jazz. C’est à ce moment à que j’ai ouvert mes oreilles sur l’harmonie parce que le gwo ka est plus une musique modale. On ne voit pas l’harmonie de la même manière. J’ai donc commencé à apprendre l’harmonie de jazz en premier et ça se ressent forcément dans ma musique. Après, pour l’électro, Sur cet EP, il y a Victor Vagh qui m’a aidé à finaliser le projet. C’est lui qui a inséré cette touche électro. Avant de faire un EP, mon groupe s’appelait le Wa electro quartet. (rires) J’ai toujours eu cette volonté de mélanger mes influences traditionnelles, hip hop, soul et jazz. De plus, ce côté électro, un peu futuriste, un peu musique de l’espace, m’a toujours attiré.

PointBreak, c’est un magazine de jazz. Tu nous balances trois noms ?

Coltrane, A Love Supreme, un album qui m’a vraiment bouleversé. Forcément, Miles Davis avec Kind of Blue. En dernier, je dirais Billie Holiday que j’ai commencé à apprécier quand je l’ai vraiment comprise.

Il y a aussi dans ta musique un truc proche de ce qui se joue sur les scènes anglaises, avec ce mélange de racines, de jazz et d’electro.

J’aime beaucoup la scène anglaise. Surtout celle de Londres où il y a une vraie ouverture d’esprit et beaucoup moins de barrières. En France, si t’es d’origine antillaise et que tu chantes créole, tu dois faire tel style de musique. C’est un peu dur. C’est difficile de casser ces trucs-là en France. Alors qu’à Londres c’est beaucoup plus open. J’aime la vibe. Après, je me suis pas dit « je vais faire comme eux ». J’avais envie d’un mélange. C’est vrai qu’on me parle souvent de la scène londonienne. On me parle aussi de scène plutôt house de Detroit. Je pense que j’ai été influencée du fait que j’ai dansé, de façon professionnelle, sur de la house.

— Wastral, sortie le 2 juillet 2021. Chronique PointBreak à lire ici

« Dans mes textes, je parle d’histoires que l’on ne nous raconte pas, parce que c’est gênant. Je pense qu’il faut traverser ces malaises pour pouvoir avancer et pour rendre de l’humanité aux gens qui ne sont pas juste des objets ou des gens exotiques. »

— Engraved (Mmaestro Sessions, 2021) © Wendel Nazaire

Celia Wa

© Wendel Nazaire

Tes racines guadeloupéennes qui sont mises en avant, cest une revendication ?

Forcément ça peut passer pour revendicatif parce que ce n’est pas la langue majoritaire mais je l’ai pas forcément vu comme ça. C’est une affirmation de soi. Je voulais présenter un autre point de vue sur le reste du monde que celui sur lequel l’Occident se focalise. Alors que de l’autre côté, on voit les choses différemment. C’est intéressant de partager ça. Dans mes textes, je parle d’histoires que l’on ne nous raconte pas, parce que c’est gênant. Je pense qu’il faut traverser ces malaises pour pouvoir avancer et pour rendre de l’humanité aux gens qui ne sont pas juste des objets ou des gens exotiques. Non, ce sont des gens qui ont une histoire, une musique, une culture. J’ai voulu rendre un côté humain à tous ces clichés qu’on peut avoir sur les Antilles, sur les personnes noires ou non-blanches qui parfois sont exotisées à fond. C’est juste un point de vue.

Cest donc une revendication ?

Pour moi, les revendications c’est toujours contre quelque chose et je ne le suis pas. Je suis juste moi. Je suis juste comme ça et je ne me force pas à revendiquer, je montre ma personnalité. Le choix de la langue n’est pas une revendication mais le contenu des textes peuvent être revendicatifs. Dans Pa Ka Lagué, je dis « on lâche rien malgré l’histoire, malgré ce qui s’est passé ». Malgré la situation actuelle aussi, en Guadeloupe par exemple, la gestion de l’hexagone sur l’île est souvent remise en questions. Enfin… On est gérés comme dans une colonie, donc là oui on est sur une revendication mais elle est dans les propos pas dans le choix de la langue.

Tes deux premiers EP étaient auto-produits, ça change quoi de travailler avec un producteur et avec un label ?

Quand t’es en autoprod’ tu dois tout gérer toute seule. C’est pas réellement compliqué de lancer un projet. Le plus difficile c’est de diffuser le projet, qu’il soit entendu et j’avais pas forcément les contacts pour le faire. Pour mon premier EP, j’avais besoin d’aller jusqu’au bout et de sortir mes trucs. Je connaissais pas le milieu et j’avais pas envie d’attendre qu’un label veuille bien bosser avec moi. Mais je me suis rendu compte que j’ai mis énormément d’énergie et d’argent pour pas grand chose. Donc, pour le deuxième EP, j’ai  travaillé avec Ka(ra)mi, une amie beatmakeuse, sans pression. Il y a des morceaux qu’on a sortis en clip et ça m’a permis de toucher plus de gens. J’ai pu travailler avec un attaché de presse. C’était la première fois et j’ai vu la différence. J’ai parlé de ce projet avec David Walters. Il m’a dit de le faire écouter au label. Je voulais passer un cap et sortir de ce truc en solitaire. Mais un label, ça prend plus de temps. T’as des stratégies à mettre en place pour vendre la musique et qu’elle soit diffusée. Avec Heavenly Sweetness, ce que j’aime c’est que c’est un petit label indépendant. Ils sont très ouverts, en termes de direction artistique. J’avais carte blanche. Grâce à eux, j’ai pu travailler avec Victor Vagh qui a permis au projet de prendre du niveau. Au départ, je n’avais que des enregistrements acoustiques. Avec Victor, on a fait tout un travail de réarrangement. On s’est tout de suite entendus et ça s’était important.

À quand lalbum ?

L’année prochaine si tout va bien. Il y a déjà des morceaux. La vie est tellement pleine de surprises. On verra.

 


propos recueillis par Ellinor Bogdanovic, juillet 2021

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