Les Nuits de l’Alligator 2023
Cory Seznec & Staples Jr Singers
vendredi 3 février, Dijon, La Vapeur.
Cory Seznec
Peu de problèmes de tribunal pour ce Seznec-là. Aucun procès à lui faire. Pas d’ombre au tableau. Jouée à deux guitares, sa blue-folk est même plutôt lumineuse. Sa légende est cependant traversée par autant d’histoires pour enfants perdus que de menaces, de silhouettes à la Mitchum et de boues du Bayou. Debout, les deux comparses le sont et le restent au fil d’un set, clair, très clair. Brillant et plutôt harmonieux. Peut-être un peu trop clair, trop joli parfois, cette carte postale envoyée depuis l’imaginaire. Le p’tit croco a les cro-crocs qui l’empêcherait à peine de se faire croquer dans un juke joint south-spirit. Pour les resucées d’antienne maritimes, là on vous lancerait volontiers sur la piste d’un Sylvain Vanot ou d’un Murat. Plus mûr, plus barbu. Plus roublard, aussi. Mais l’illustré Seznec reprend un peu de grain et ainsi de la joie, sur une vieillerie jolie comme East Virginia Blues, trafic de faux standard, maquillage au banjo d’un faux blues. La jeu sonore des deux 6-cordes donne envie d’entendre des 6-coups à barillet court. Pas mal, pied tendre.
Staples Jr. Singers © Eliza Grace Martin
Staples Jr. Singers
Tendre, il l’est moins le gospel des Staples Jr. Singers. Gospel avec 4 s et 2 p. Rapporté du Mississippi, joué in extenso sur la même roulante rythmique.
C’est un rapport de chroniques discographique, de drames familiaux, d’assauts de Holy Spirit sur une toile de groove leeeeeeeentissimo. Bon, très bon, très très bon. Tout est musique. D’emblée et sans papotage préalable. Ça beugle grande classe. Les harangues au public sont musique, la présentation de la mif est musique, les souvenirs sont musique et, of course, le Lord Almighty est musique. Plus un véhicule de pensée qu’une mission, le religieux dans un set qui va virer, plus tard, en fiesta quinqua, en soirée bruit daron. Vieux trix de magicien, de remplir la scène de gens pour détourner le regard et disparaître en loucedé. Là encore, la disparition des Staples se fait musique. Mais avant de disparaitre, Camille Fol est montée à l’assaut de la fosse.
Les Staples Jr. Singers, c’est une forme de pureté, une force de simplicité. C’est une histoire de famille qui débute à Aberdeen, Mississippi, USA. Après avoir enregistrés, teenagers, un unique album dans les années 70, deux frères et une sœur se mettent à écumer les églises et répandent un gospel imprégné de leur vécu dans une société encore gangrenée par la ségrégation, raciale et sociale. 52 ans plus tard, la formation a atterri à La Vapeur, Dijon, France. Le temps d’une soirée d’ivresse spirituelle. Lorsqu’ils entrent en scène, à 6 (gendres et enfants se sont ajoutés au trio), l’onde déferle instantanément. On n’est pas face à un groupe venu performer. C’est une famille, au sens premier du terme, venue partager, chanter et danser l’amour avec le monde. Le public est un peu timide : on n’a pas l’habitude par ici. Mais ça prend. Difficile de faire autrement, les Staples font preuve d’une telle générosité sur scène : dans leurs mots, dans leur énergie, dans les rythmes et les riffs qu’ils déroulent. La ligne de basse, toute en opulence, joue du cardio sur l’escalier des gammes. De part et d’autre de la scène, les deux guitares jappent à l’unisson, et les boucles qu’elles dessinent font onduler tous les corps. Annie Brown Caldwell et Edward Brown offrent des vocalises de phrases simples et incantatoires, quand ce n’est pas à nous qu’ils tendent le micro pour scander à l’unisson. « Somebody Save Me ». À suivre… En attendant, les Staples servent un banquet de vibrations, cuisiné pour célébrer avec nous l’esprit, la musique, la vie. Fin du concert, l’euphorie flotte encore, quelques regards entendus se croisent : c’était une expérience rare, précieuse, et difficile à traduire avec des mots.
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Camille Fol & Guillaume Malvoisin
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