FR.
« Et si l’on regroupait nos maux de bides en un seul deuxième cerveau ? », se dit le compositeur d’Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp, Vincent Bertholet. Sans doute pas avec ces mots, mais assurément avec le même génie d’invention. Le précédent, We’re Ok, But We’re Lost Anyway marquait l’émiettement du monde sous l’ère Covid. Ce sixième album, Ventre Unique, nouvellement brandi aux murs de la belle collec’ genevoise de Bongo Joe, tente désormais de rallier dans une panse commune les âmes égarées.
Comme pour toute ambition, il faut d’abord garantir de solides bases. Ventre Unique conserve ainsi l’anatomie usuelle de l’OTPMD. Une fidèle bande de douze musicien·nes et chanteur·se·s internationaux. Une diversité de courants issus de la mixture de grands ensembles minimalistes, contemporains, européens et africains. Le visuel de la pochette signée par Dove Perspicacius induit très distinctement ce ralliement de styles. À poils, trois humains à l’allure cubiste et bichrome se prélassent dans le giron d’un dada aux poils pop-orange. L’héritage contemporain de Ventre Unique n’est pas loin. Sa culture populaire non plus. Comme les répétitions instrumentales et percussives qui floculent dans Coagule. Comme les riffs de guitares afro, en dernière partie de Ils disent, similaires à ceux d’un bon album béninois. Comme les lignes de batterie à la Tony Allen dans Tout Haut, maniées jusqu’à évoquer un électro-orchestra proche de celui des germains cousins du JazzRausch BigBang. Une macédoine de références parfois inopinée, dont les chants, spontanés, sans effets sonores superflus, parsèment les interprétations d’une certaine naïveté. Bien kitsch, par moment. C’est bon.
C’est justement dans cette simplicité de composition que repose cependant toute l’originalité de Ventre Unique. Certes, son innocence de premier abord peut nous surprendre à repenser aux plus secrets des titres d’une enfance oubliée (ici ce fut Musicalculette de Vincent Malone). Mais l’OTPMD nous remet bien vite sur le droit chemin. En se concentrant sur le sens des mots, il s’adresse surtout à l’adulte, à ses tourments sociaux. À n’en croire que les paroles clamées gaiement dans Coagule : « C’est assez inédit, comme forme de tristesse, l’extinction de l’espèce », le tragique et ténébreux sont plus prêts qu’escompté. Un peu comme si Steve Reich avait eu besoin de faire une danse du ventre pour compenser la dureté de son City Life, la formation n’explore pas les ritournelles de son nouvel album par simple plaisir nombrilistique. En nappant d’une fraicheur déguisée la noirceur d’un monde en déclin, son Ventre Unique permet surtout une expérimentation créative et philosophique de la mise en commun. Seule manière, peut-être, d’aborder la question de la pérennité de demain. Tel ce palefroi orange de pochette d’album, arpentant, avec ses hommes ingérés, l’épiderme ventral d’une seule Terre-Mère. Avec son allure de nouveau Cheval de Troie, peut-être peut-on voir dans Ventre Unique le possible dénouement de la guerre des nombrils.
UK.
Vincent Bertholet of L’orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp, should have thought to himself: ‘What if we combined all our stomach aches into a single second brain?’. The band’s sixth album composer probably doesn’t use those words, but it certainly has this usual and inventive genius. The previous album, We’re Ok, But We’re Lost Anyway, marked the crumbling of the world under the Covid era. This one, Ventre Unique, newly brandished on the walls of Bongo Joe’s beautiful Geneva collection, is an attempt to rally lost souls in a common cause.
As with all ambitions, a solid foundation must first be secured. Ventre Unique retains the usual OTPMD anatomy. A faithful band of twelve international musicians and singers. A diversity of currents drawn from a mixture of the great minimalist, contemporary, European and African ensembles. The visual on the cover, by Dove Perspicacius, is a clear indication of this fusion of styles. Three furry humans with a cubist, two-tone look bask in the bosom of a dada with pop-orange fur. Ventre Unique’s contemporary heritage is not far away. Nor is its popular culture. Like the instrumental and percussive repetitions that flock to Coagule. Like the Afro guitar riffs at the end of Ils disent, similar to those on a good Benin album. Like the Tony Allen-style drum lines on Tout Haut, which may evoke an electro-orchestra akin to that of the German cousins of JazzRausch BigBang. A mishmash of references, sometimes unexpected, whose spontaneous vocals, with no superfluous sound effects, sprinkle the interpretations with a certain naivety. Quite kitsch, at times. But that’s pretty fine.
It is precisely in this simplicity of composition, however, that the originality of Ventre Unique lies. Admittedly, its initial innocence can make us think back to the most secret songs of a forgotten childhood (in this case, Vincent Malone’s Musicalculette). But OTPMD quickly puts us back on the right track. By concentrating on the meaning of words, it addresses adults and their social torments. If we are to believe only the words cheerfully proclaimed in Coagule: ‘It’s quite unprecedented, as a form of sadness, the extinction of the species’, the tragic and the dark are closer than expected. Rather as if Steve Reich had needed to belly-dance to compensate for the harshness of his City Life, the band don’t explore the ritornellos of their new album simply for the sake of navel-gazing. By adding a disguised freshness to the darkness of a world in decline, Ventre Unique is above all a creative and philosophical experiment in sharing. Perhaps the only way to tackle the question of tomorrow’s sustainability. Like the orange pony on the album cover, pacing the belly of a single Mother Earth with its ingested men. With its allure of a new Trojan Horse, perhaps Ventre Unique is the possible denouement of the navel-gaze war.
Les Disques Bongo Joe : bandcamp