Taylor Swift, mastermind
Dans l’héritage du jazz, il y a deux types de types. Et c’est encore plus vrai quand ces types sont des femmes. Et puis il y a celles qui n’improvisent rien, dont le moindre geste est orchestré. Embrasser l’introspection, mettre des mots sur des fulgurances. Brandir comme étendard ce qui brûle à l’intérieur. Oui ça parle de sentiments amoureux, mais pas que. C’est country, c’est pop, c’est indie, pas de sédentarisation au programme : retour sur Taylor Swift, architecte d’un univers autofictif kaléidoscopique.
Taylor Swift naît en 1989 en Pennsylvanie, reçoit sa première guitare à 6 ans : son sort est scellé, ses parents comprennent vite qu’elle ne lâchera pas l’affaire. Direction Nashville, capitale de la country. Fan des Dixie Chicks dont elle craindra plus tard de subir le sort, elle plonge tête la première dans le monde musical. Totale narcose depuis : début d’une carrière qui ne s’arrête plus et explose tout. Premier album à 16 ans, dixième à 33. Sa force, c’est sa plume, cette écriture du soi fragmentée qui bout à bout constitue un espace de connexions interpersonnelles. L’autobiographie se transforme avec Folklore (2020), brouille les frontières du réel dans un jeu de piste référentiel destiné aux fans. Swift se mythifie et s’autoréférence, surgit ou se dissimule dans ses protagonistes .Grâce aux chapitres, traités comme sous-divisions d’albums, les femmes de ces récits déjeunent à la même table dans un flux de conscience à la Virginia Woolf (« the ladies lunching chapter ») ; ficelles invisibles tirées entre tout ce beau petit monde qui flâne ou erre dans ces bois mentionnés par le préambule.
Ivy
Look What You Made Me Do
Côté bio, l’ambiance est à l’insolence servie avec un grand sourire . Son ancien label, Big Machine, décide de revendre les droits sur les bandes maîtresses de ses six premiers albums à Scooter Braun. Pourtant, la chanteuse tentait déjà de racheter l’intégralité de son œuvre. Et alors là, c’est le début d’un coup de maître. Compositrice de tous ses morceaux elle en possède les droits d’auteurs et donc… la possibilité de tout réenregistrer, en y apposant une nouvelle marque de fabrique. C’est ainsi que (re)naissent en 2021 : Fearless (Taylor’s version), Red (Taylor’s version). C’est presque moqueur, complètement revanchard, KO technique. Le tour de passe-passe est triomphal : avec une fan base aussi fidèle, plus personne n’écoute les anciennes versions. Sortis d’une chambre forte énigmatique s’ajoutent d’autres titres, écrits à l’époque mais ne figurant pas dans les albums originaux. Le verdict est remarquable et sans appel : les records qu’elle brise sont désormais les siens. Mastermind, Taylor Swift l’est pour sa capacité à tisser des liens sémantiques entre ses textes et provoquer chez ses fans des penchants investigatifs. Pour clore son dernier album, elle professe: « I’m only cryptic and machiavelic cause I care ».
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Florine Bécue
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