Selil

Le 28 mai, le jeune combo de Lyon jouait aux pieds du Lion. C’était le FIMU de Belfort et c’était plus que prometteur. Combo percus-batterie au cordeau, claviers jazz-junk-house à ressorts. Autant de bonnes raisons de parier sur l’avenir et de tirer un trait sur une sieste pour une interview en début d’après-midi. Face-à-faces.

par | 13 Juin 2023 | interviews

Selil

Selil, combo jazz-funk tout flouflou © DR (fb Selil)

Selil, c’est du jazz qui se danse ou du jazz qui se pense ?
On va faire une bonne réponse de Normand et on va dire les deux. C’est une musique qui se pense dans l’écriture, avec des structures et la volonté de savoir qui joue quoi à quel moment, pour avoir une unité de son. Ensuite, c’est une musique qui se danse avec des sonorités club. On va pas mal empiéter sur le terrain de la House. D’ailleurs, les gens dansent plutôt à nos concerts. C’est une musique qui se pense, mais sans siège dans le public, c’est ça le truc.

Vous êtes de tout jeunes musiciens français. C’est quoi vos légendes en funk ? House ? Fusion ?
On vient tous d’influences très très différentes. Mais on en parlait juste avant de venir, au sein de Selil, il y a de grosses références et aussi des légendes. Une des légendes c’est Herbie, clairement. Les références sont pas mal actuelles. Notamment Yussef Kamaal, soit Kamaal Williams et Yussef Dayes quand ils étaient ensemble. Il y a Chris Dave aussi. On écoute des vieux trucs, On va y puiser nos influences, notre vocabulaire mais on se positionne un peu comme des enfants d’un mouvement lui-même tiré de trucs plus anciens. Depuis un an environ, on découvre ce qui se fait en France. Le quintet de Léon Phal est assez inspirant, pour la couleur et la musique du groupe. Ensuite, on a une certaine naïveté en abordant la House, par exemple, parce qu’on ne peut pas dire que ce soit des trucs avec lesquels on a grandi. On s’est approprié cela sur la base de notre culture pour proposer aux gens un mix de toutes ces influences et références.

Vous faites beaucoup référence à la scène jazz anglaise. Qu’est-ce que vous gardez du jazz UK, le plus récent ?
La place des instruments déjà au sein de notre groupe. Avec des batteurs comme Yussef Dayes on a mis la batterie en avant. Dans nos rythmiques, il y a le tandem batterie-percus. On retrouve aussi certaines sonorités qu’a amenées Kamaal Williams aussi, pour le clavier. Du jazz UK, on aime aussi la simplicité générale, enfin apparente, de cette musique. Le côté efficace. On a beaucoup observé et adoré le fait que des morceaux puissent être vraiment basés sur très peu d’éléments. D’ailleurs, c’est ce qui fait le pont avec la musique électronique qui nous abreuve en ce moment, la House notamment. C’est pour ça que notre musique évolue de cette manière, avec ce détachement vis-à-vis d’une musique un peu trop simple pour nous. Dans le sens, où on trouve qu’elle est trop simple mais mais sur la direction artistique qu’on a envie de prendre. Ça rejoint un peu la première question que t’as posé. Sur certains de nos morceaux, à l’inverse extrêmement écrits. Là, on se détache du jazz UK qu’on a écouté. Typiquement, l’album de Yussef Kamaal. On l’adore, mais on ne fait pas une musique aussi élémentaire.

Vous citez Léon Phal ou Emile Londonien, comme beaucoup, mais je pense que vous avez plus de ressources encore. Je vous rapprocherais plus d’Underground Canopy. Parce que j’ai l’impression que, chez vous, il y a une culture, même si pas forcément une pratique, mais une culture de ce qu’est l’underground.
C’est une vraie question… On parle pas mal de House mais, en même temps, on essaye d’éviter d’être clichés et de garder notre originalité. C’est une vraie question de tous les jours, de toutes les répètes. Qu’est-ce qu’on garde ? Qu’est-ce qu’on enlève ? De plus en plus, on porte le vocabulaire culturel en haut de notre engagement artistique. C’est l’inspiration et le métissage mais pas le concept qui génère une musique. Pour la house, c’était le cas au début et ça l’est beaucoup moins aujourd’hui, on s’est concentrés pour éviter de sortir un son house cliché. Même chose avec le hip-hop. C’était beaucoup dans nos références d’écoute avant le projet notamment pour Mathieu et Hugo, et on est passés par ces phases de jazz hip-hop avec des codes plus 2018- 2015 qui nous ont tout de suite plu au début et desquels on s’est repositionnés ensuite avec du recul. Notamment en découvrant des projets comme celui de Chris Dave qu’on cite pas mal, et qui nous plaisent à fond. Mais on assume que c’est pas une recette pour nous. C’est seulement écouter, écouter, écouter. Et s’abreuver de ça.

Selil

Images extraites du dernier tremplin Campulsations,
remporté par Selil à Lyon, début juin 2023.

Selil

Il y a un morceau un peu emblématique chez vous c’est L’incendie. Vous n’allez pas chercher un titre en anglais. C’est quoi le bagage littéraire chez vous. On n’appelle pas un track L’incendie par hasard.
Pourquoi le français ? Ça rejoint un peu le truc d’underground je trouve. On n’a pas une vraie recherche de titres, déjà. Si on fait un morceau qui se rapproche de la dub, on l’appelle Dub. (Rires) C’est provisoire mais ça ne vient pas dans la construction du morceau. Des fois, on se casse le crâne mais c’est juste parce qu’on a pas envie d’avoir un truc qui sonne cliché encore une fois. Parce qu’on en a eu à la pelle des Deep Sleep ou des choses comme ça, ça parle mais on l’a entendu plein de fois. Notre vocabulaire musical vient peut-être d’une culture qui ne vient pas de France, qui ne vient pas de nous. On n’a pas grandit forcément au moment où se créaient les musiques qu’on joue aujourd’hui. Mais dans tout cela, les projets émanent de nous. L’Incendie, ce n’est pas anecdotique de l’avoir nommé en Français, c’est vrai.

Dernière question. Si je vous donne trois adjectifs sur votre set d’hier : Groovy, insolent et timide, vous me dites ?
Groovy, on en parlait hier avec les gars, c’est un peu un fil conducteur du projet. En général, que ce soit dans nos lives ou dans nos compositions, il y a très peu de moments contemplatifs, peut-être pas assez. On se questionne pour trouver à l’intérieur de nos concerts, des moments avec un peu de repos. Peut-être que la question la plus urgente pour nous, c’est « est-ce que ça tourne ? », « est-ce que ça groove » ? « Est-ce qu’au moins ça danse ? ». Si, 30 secondes du concert ont l’air de ne pas trop marcher, ça va vraiment nous travailler un moment. Je pense que c’est vraiment inhérent au projet.
Pour le côté insolent et timide, on peut rapprocher ces deux idées. Ça rejoint cette histoire de chercher sans cesse quelque chose de groovy. On va sans cesse renouveler le set. Dès qu’il y a un truc qui nous plait un peu moins, on va se démerder pour faire en sorte de le changer. Que ce soit plus intéressant. Donc c’est un peu insolent, dans le sens ou des fois on débarque avec des choses qu’on n’a pas forcément rodées, qu’on a pas testées sur scène. Il y a un peu d’insolence, mais c’est ce qui fait que parfois, des trucs marchent bien et nous surprennent. La timidité, ça vient aussi parce que ce projet même si il vient à mûrir, n’est pas encore à une maturité musicale très avancée. Que ce soit sur le plan de la maîtrise des vocabulaires et des techniques. Ce qui fait qu’on affirme moins des choses, sans doute. Notre effectif est au complet depuis à peine un an. Ce qui veut dire qu’on est encore en exploration aujourd’hui. On a encore un milliard de chemins à creuser, tous ensemble à six. C’est peut-être pour ça qu’on est à l’écoute et… plus timides. C’est quand même de bonne augure pour la suite de se dire qu’on va continuer à creuser et chercher à être meilleurs et sortir des trucs originaux.

Au niveau rythmique vous êtes imparables, il y a une place énorme pour la guitare et la trompette qui n’est pas encore exploitée à sa juste valeur, au niveau de l’engagement. Même si, techniquement et artistiquement, c’est fort.
On veut pousser plus loin dans l’écriture. On veut pousser ça, dans le sens moins jammy. Vraiment aller dans l’écriture de contrepoints, de voix harmonisées, de choses qu’on a pas encore poussées plus loin, en effet. On se repose souvent sur des rythmiques. Pour l’insolence, il faut ajouter ceci. Hier, il y avait des chaises, et qu’il y ait des chaises ou pas, c’est un moment intéressant. Le but est de voir comment ça se passe. Le projet est là, il faut trouver comment s’insérer à l’intérieur de l’endroit. Après, en opposition à cette histoire d’insolence, on est contents d’avoir des tranches d’âges différents. Qu’il y ait des jeunes qui viennent, qui dansent et mettent l’ambiance, et des personnes plus âgées qui puissent rester. Le but est que ça fasse danser parce que ça nous fait kiffer, la danse, mais on aimerait bien que ce projet, de manière contemplative, puisse être aussi profitable. Ce n’est pas une frustration que des gens soient assis et puissent en profiter. Tant que tout reste cool.


propos recueillis par Guillaume Malvoisin, le 28 mai 2023 à Belfort
(retranscription Florentine Colliat).

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