Rhoda Scott,
la comtesse aux pieds nus

Dans l’héritage du jazz, il y a deux types de types. Et c’est encore plus vrai quand ces types sont des femmes. Certaines se font remarquer dans l’histoire du jazz. D’autres, dans les marges de l’Histoire. Il y a celles qui fondent les bases, jouent des coudes puis finissent par se lasser. Et puis il y a les autres. Celles qui évitent les radars sans passer dessous, se laissent remarquer pour gagner en tranquillité. Tranquillité ? Oui la chose est relative quand le groove est votre commerce, votre histoire, votre ADN. Parmi ces femmes-là, il y a Rhoda Scott. Sans pathos. Sans chausson ni chanson. Sa voix est celle venue d’une cohorte d’angelots un hâbleur et blagueur, de nymphes à qui on le fera jamais. Cette femme est faite de mesures, pleines et entières. Rhoda est ainsi faite. Un swing tombé des mains, aussi souple qu’un torrent. Indomptée et, donc, tout à fait libre.

Rhoda Scott est afro-américaine et elle naît à Dorothy, New Jersey en août 1938. À Dorothy, à cette date, le chemin n’est pavé ni de bonnes intentions et reste loin d’une yellow brick road. Mais aux States, le jazz s’apprend encore et toujours dans les églises, du doigt à l’oreille. Gospel et spirituals, l’âme noire, marchent avec son pasteur de père. Perpetuum mobile. Rhoda Scott marche donc, elle aussi. Et apprend ce qu’il faudra de traditions pour les rejouer, à l’oreille. Sans partition-secours ni portée-filet. Ce sont les grands sauts dans le vide du premier disque de 1969 jusqu’au récent concert à Angers où elle découvre à 83 ans cet instrument mutant appelé orgue hybride. Entre temps, l’organiste au swing indévissable, côtoie quelques noms du jazz comme Ray Charles, Kenny Clarke, Count Basie et Ella Fitzgerald, revisite des standards, vends un paquet de disques et monte des groupes faits entièrement de femmes musiciennes. Le Lady Quartet, avec quelques fines lames françaises, Sophie Alour et Airelle Besson en sont. Le quartet est augmenté en tout début de cette année en Lady All Stars. Ça joue, rien à ajouter. Oh si, juste noter cette réponse à Roland Kirk en gravant ce disque en 2017, We Free Queens. Depuis Kirk, les Kings étaient libres, maintenant les Queens le sont aussi. Parfait.

City Of The Rising Sun

par Rhoda Scott | Lady All Stars (2022)

We Free Queens

par Rhoda Scott/Lady Quartet | We Free Queens (2017)

Côté bio, Rhoda Scott nait donc en 1938, apprend l’orgue Hammond, à 8 ans, en écoutant les prêches de son daron sacré, pasteur d’église. C’est Barclay qui la débauche des States. Eddy et ses disques qui la signent, pour un tas de succès à venir jusqu’au début des années 80. Elle prendra même le temps d’étudier auprès de Nadia Boulanger. Puis ce sera le mythique Verve. Retour aux States. Enfin sur disque, car Rhoda Scott a les deux pieds en France et transfigurer les générations. À propos de ses formations exclusivement féminines, l’organiste avoue ne pas forcer le trait du militantisme : « On a joué et on s’est rendu compte qu’on était très bien ensemble ». Dépouillé, pas mieux. Dépouillé comme l’est son surnom, « l’organiste aux pieds nus ». Blaze récolté du soin que la musicienne prend à se déchausser pour ne pas abîmer le pédalier de l’orgue qu’elle joue, pour mieux le sentir aussi. Chez Rhoda Scott, la sensation est l’essence du moteur. La musique est sensitive, spontanée, pensée dans l’action, dans la création de ce groove si chaud dont elle est capable sans frémir. Et dans l’euphorie ainsi lâchée sur qui écoute, on entend ce dont l’humanité peut être capable quand il s’agit de jeu et de plaisirs. La sélection, strictement subjective, des 6 titres ci-dessous devraient suffire, au besoin, à vous en convaincre.


Guillaume Malvoisin 

Sont passées dans nos colonnes :

Carmen
McRae

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Billie
Holiday

Amy
Winehouse

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Simone

Mary Lou
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Thackray

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Smith

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Keys

Diana
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Neneh
Cherry

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