Pierre de Bethmann trio
Chronique live. Mâcon, mars 2022
Le Crescent, jazz club.
« On s’est fait peur ». Dit-il avec un large sourire. Les mots ‘jazz’ et ‘kiff’ ont au moins ceci de commun, outre le nombre de lettres, leur asymétrie graphique et leur absence de besoin d’explicite. Ces deux mots affichent une certaine autosuffisance. Kiff, tout est dit. Jazz, pas mieux. Cursifs et insaisissables. Rien à piger, tout est à prendre sur le vif. Ça pourrait carrément être deux mots pour résumer le set de Pierre de Bethmann au Crescent, si on voulait se résoudre à n’avoir rien d’autre à dire. C’est tentant.
Mais il faudrait faire l’impasse sur ce qui fait le prix d’un tel set. La conjonction d’un lieu et d’un combo. Ici l’émotion du pianiste est palpable. Jouer ici veut dire quelques chose. Sourire aux gens d’ici veut dire quelque chose. On sent l’histoire qui le lie à l’endroit, la culture de club de ce club de jazz. On sent le boulot de la bande à Rico depuis 1995. On sent, on palpe et on écoute. Là, tout remonte dans cette cave agrandie depuis peu. l’histoire, le travail et les plaisirs.
Tony Rabeson et Sylvain Romano en sont les témoins d’amour suprême. Drive impérieux pour l’un, et attaque gonadée classe pour les cordes de l’autre. Interplay impeccable. Et c’est le spirit qui déboule, pleine bourre. De Bethmann flotte là-dessus, habitué des essais. Think Of One de Monk se tord de bonheur, Jobim à loisir. Tradition, pieds ancrés dans les inquiétudes de la période. Le poco sustenuto de la 7ème de Beethoven est full suspendu. À peine perturbée par un bris de de verre et des éclats de voix. Beethov’ coule des doigts du pianiste, agit comme une consolation immense. Main droite heurtée sur les cloches, la gauche empoignant ce qui fera office d’espoir. Comme tout le reste de la musique du trio, c’est virtuose, curieux toujours et sans cesse délectable. Emouvant aussi. C’est urgent et important, l’émotion dans cette date. De Bethmann est chez lui, redevable et généreux. Love For Sale se planque sous des renversements têtus, Thinging ramène Lee Konitz à sa source joueuse. Le trio est plongé dans cet amour sincère déployé sur tout le set, in extenso. Un set où l’émotion fout en l’air les plans de la setlist, remise sous la seule loi de la musique à créer. Ici et maintenant, forcément sur l’instant. Au cœur du risque à prendre.
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Guillaume Malvoisin
/ photos © DR
+ ressources :
Crescent Jazz Club : site internet
Pierre de Bethmann : site internet
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