Les bons tuyaux de Peter Evans

Peter Evans aurait dû fêter les 30 ans du festival Sons d’Hiver cette année. La vie sauvage et les contraintes sanitaires en auront décidé autrement. Alors PointBreak sort de son coffre à trésors cette interview, réalisée sur le festival Météo en 2014. Le trompettiste sortait d’un solo impressionnant, on vibre encore de sa puissance lumineuse et bienfaisante.

par | 21 Jan 2021 | interviews

Peter Evans à la trompette

Peter Evans au festival Météo © Sébastien Bozon

Ce qui frappe d’abord, en t’entendant, et malgré la puissance que tu déploies, c’est la sensibilité, la tendresse imparable de ton jeu.

Ah oui ? Cool d’entendre ça. C’est important d’avoir cette sensibilité-là, quand on regarde ce qui nous entoure. C’est un combat d’arriver à rester sensible sans être trop affecté par son environnement.

Pourtant le lieu d’un concert est important, non ?

Oh oui ! Cela fait partie du jeu. Le lieu, le public. Il y a une part de chimie là-dedans, où les phéromones doivent avoir leur part. C’est super important pour cette musique. Improviser serait difficile à concevoir si on est totalement vide.

Quelle sorte de feedback tu reçois quand tu joues ?

J’écoute ce que je joue, ce que jouent les musiciens qui m’entourent. Je crois qu’il s’agit de traverser, ensemble, différents états de conscience, comme si nous traversions différentes pièces d’une maison. Dans la première pièce, tu serais avec les musiciens avec qui tu joues, c’est basique. Ensuite tu entres dans une autre où tout le monde est réellement ensemble. Puis il y en a encore une autre, plus loin, où tu dépasses ta propre présence, tu n’y es même pas ! C’est peut-être alors seulement que tu improvises. Improviser ressemble beaucoup à la méditation, il faut arriver à s’effacer soi-même dans la musique. C’est sans doute très cliché, mais le but serait de réussir à être soi-même en musique tout en s’effaçant le plus possible. C’est paradoxal.

Effacer son ego pour laisser la musique se produire, facile ?

Absolument. Pour beaucoup, la musique est le but, une sorte d’achèvement. Pour moi, non. Je peux jouer beaucoup de choses, prendre du plaisir à des structures complexes, à prendre des solos. Mais, livrer une musique définitive n’a aucun sens. Improviser, c’est se dissoudre dans la musique.

Cecil Taylor décrivait aussi l’improvisation comme une longue errance de la pensée.

Il a dit des choses magnifiques. Il y aussi cette phrase qui vient de la fin des années 60 : « La pensée contrainte par la technique, la forme par la passion. » Il n’ y sans doute rien a dire de mieux.

Tu utilises aussi beaucoup la respiration comme musique : tour à tour souffle, percussion, frottement.

Je suis un musicien qui n’a pas de plan préétabli. Je ne me suis assis avec un tas de bouquins conceptuels sur la technique de respiration dans la musique en m’exclamant : « ils ont raison, essayons-ceci ! ». Je dois faire de la musique avec ce qu’il se présente, le travail sur le souffle vient de là. Ma musique est organique et entièrement dédiée à l’action du souffle et du son. Les textes soufis parlent beaucoup de cela, du sens qui procède du son qui procède du souffle. C’est intéressant. La musique n’est jamais une chose qu’on décrète. Ce que je peux décréter c’est juste de me lever le matin et d’aller jouer.

« La musique est un type de communication très physique. Vous produisez de la vibration dans l’air, vous agissez donc sur celui qui écoute, sur ses perceptions, sa conscience du monde. On doit pouvoir absolument se dire, en jouant comme en écoutant : « putain, qu’est-ce qu’il se passe ici ? ».

Peter Evans
Peter Evans à la trompette

Peter Evans la joue solo @ Sébastien Bozon, festival Météo

Il y a également dans ta musique un lyrisme assez marqué.

Il y a des pans de la musique que j’explore en vieillissant. La mélodie et le lyrisme en font partie dans mes compositions et improvisations. C’est important de garder à l’esprit ce qu’on souhaite explorer et développer en improvisant.

On t’a vu jouer avec l’électronique de Sam Pluta, par exemple. Challenge particulier ?

Sam est un partenaire très important pour moi. On est capable de jouer du Duke Ellington, du Django Reinhardt ensemble. Il est musicien et compositeur. Il aborde son instrument, l’électronique, avec une musicalité parfaite. Jouer avec lui est assez simple.

On entend beaucoup d’influences dans ta musique, du Bop à l’avant-garde contemporaine.

Je joue au jour le jour, sans préférence pour telle ou telle formation. Je tente de les traverser avec le même plaisir. J’ai besoin d’être moi-même dans la musique, sans plan préalable.

On entend parfois aussi Lee Morgan.

J’adore Lee Morgan. Il a été une de mes premières influences ! Bien sûr, ils vivaient à une autre époque, dans un autre contexte social, mais j’ai pris un paquet de trucs chez ces mecs-là. Même si ma musique est très différente de la leur, ils ont été parmi les grands inventeurs pour la trompette et la musique américaine. J’ai mis du temps à me rendre compte de leur influence. Je suis un type blanc, né dans les années 80, je ne peux pas être eux, ce serait idiot de le penser. Tu ne peux pas réactiver ce qu’ils ont été mais tu peux le continuer avec tes propres outils.

Souvent, on croise dans l’histoire du jazz des trompettistes qui sont de parfaits chanteurs : Louis Armstrong, Chet Baker, Dizzy Gillespie. Et toi ?

Je n’ai jamais vraiment essayer. J’aime beaucoup le karaoké mais ma façon de faire est assez terrible. Je devrais peut-être commencer par chanter en chorale, c’est plus sûr.


propos recueillis par Guillaume Malvoisin, festival météo 2014
(une version éditée de cette interview est parue en 2015 dans le magazine Novo)

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