Renaud Ruhlmann, l’homme qui joue avec les plantes.

Renaud Ruhlmann est né à Nimes et vit en Franche-Comté. Il est musicien. Son instru ? Les plantes. Peu importe la plante. Chacune connait sa propre musique. Classique, tradi ou rock. Dinguerie.

par | 12 Juil 2021 | interviews

Fougère

Comment on fait de la musique avec des plantes ? Cest quoi tes outils ?

Un outil basé sur la technologie du détecteur de mensonge. Cleve Backster a été employé, à la fin des années 50, par la CIA pour créer le détecteur de mensonge. En 70, il rentre chez lui avec la machine, la branche sur une plante et s’aperçoit dans la soirée qu’il y a des tracés issus de cette plante. Il lance des expériences pour comprendre comment la plante arrive à communiquer ou interagir. Depuis 30 ans, une communauté a repris ces travaux pour faire entendre des sons sans détecteur de mensonge. Au lieu que la traduction électrique se fasse sur papier, elle se fait en son.

Ça se passe comment ? Tu crées une mélodie et les plantes jouent sur le rythme ?

Tout le vivant émet des ondes électriques. On récupère juste la communication électrique de la plante. Ces fréquences sont inaudibles mais grâce au travail des scientifiques, on a réussi à les mettre sur une plage audible. Tout ce qu’on entend en terme mélodique et potentiellement rythmique, c’est la plante qui fait. On interagit uniquement en proposant un habillage sonore à la plante pour faciliter la communication. Par exemple, si on propose a une plante un son de piano qui est un instrument avec beaucoup d’octave, elle va avoir une large amplitude de communication.

Tu parles « d’herboristerie sonore », ça veut dire quoi ?

L’herboristerie sonore c’est un développement de mes études sur la musique des plantes pour permettre une écoute pédagogique. Le public peut alors comprendre comment des appareils qui permettent de communiquer, de mesurer les signaux électriques des végétaux pour les transcoder en signaux sonores. Par ailleurs, je travaille avec des thérapeutes et des médecins qui valident ces sons comme des huiles essentielles sonores.

« Tout le vivant émet des ondes électriques. On récupère juste la communication électrique de la plante. Ces fréquences sont inaudibles mais grâce au travail des scientifiques, on a réussi à les mettre sur une plage audible. »

Ces musiques auraient donc des vertus thérapeutiques ?

Par l’écoute, on arrive à avoir les mêmes bienfaits qu’une huile essentielle. Ce qui est intéressant,  c’est que la musique des plantes, ce qu’on en entend, ce n’est pas de la musique à proprement parler. Les plantes parlent nutrition, énergies. Mes collègues se sont aperçus que les mélodies sont en interaction avec nos protéines que les plantes stimulent ou inhibent. C’est une musique obligatoirement thérapeutique.

En quoi, par exemple, cette musique diffère de moi qui joue du piano ?

Ton instrument a déjà des notes préfabriquées. Si tu commences par la première tu vas avoir un do, et ce do-là est défini par un accordage. Avec la plante, la note est un transcodage d’une information électrique, physiologique ou biologique, que nous transmet la plante. On est donc pas sur le même niveau de conscience, la plante utilise la musique dans une fonction essentielle de nutrition alors que pour nous la musique a une fonction de divertissement, pour divertir par l’art et faire de l’argent.

Musicalement, tas une plante préférée ?

Là, je commence à tester les fougères. Ce sont les plantes les plus vieilles donc celles qui ont emmagasinées le plus de connaissances. Musicalement, elles sont au niveau symphonique comme un Mozart ou un Beethoven. On s’est aperçu que si on branche nos détecteurs sur des ordinateurs, on peut enregistrer les partitions. J’ai un collègue qui a envoyé une partition à un conservatoire à Paris, sans dire que ça venait d’une plante. Les professionnels de la musique l’ont décortiquée et se sont aperçus qu’il y avait trois types d’écritures différentes. Un qui pouvait s’apparenter à un Mozart, un à Beethoven et un autre à un mouvement rock. Devant la complexité et la richesse de la partition, à la fin ils ont demandé qui avait écrit, mon collègue a répondu que c’était un géranium.

 

« La rapidité et la vélocité
du bégonia est impressionnante.
Au piano, il pourrait
être un très bon soliste.
»

— Natura Sounds, Renaud Ruhlmann

Ils ont réagi comment ?

Ils étaient épatés. La plus mélodique et la plus technique, c’est le bégonia. La rapidité et la vélocité de cette plante est impressionnante. Au piano, elle pourrait être une très très bon soliste. On est en train de chercher avec des ethnomusicologues pour essayer de comprendre la relation entre les humains et les instruments de musique. Quand tu écoutes un abricotier, il va jouer comme un instrument traditionnel chinois. Pourquoi ? Parce qu’à l’origine, la plupart des fruitiers vient de Chine.

Est-ce que deux plantes de la même famille jouent la même musique ou chaque être vivant joue différemment ?

C’est comme des jumeaux ou des frères et sœurs de la même famille. On va avoir le même patrimoine génétique, le même patrimoine de culture et de différentes choses par rapport à l’éducation ce qui va nous éveiller et nous faire grandir, sauf qu’on ne va jamais avoir deux personnes qui vont avoir le même langage ou la même discussion.

Tu as sorti 5 albums. Mais pourquoi donc les titres durent tous 7 min 12 ?

Peu de gens captent ce détail. J’ai été 15 ans artisan photographe dans la musique en travaillant pour beaucoup de musiciens. Ça fait aussi 25 ans que je fais de la musique, ça me tient énormément à cœur. Malheureusement, j’ai vu un peu le business derrière et je suis partie en Amérique Latine pour couper un peu avec ça. Là-bas, 80 % de mes amis musiciens entre le Mexique et la Colombie ne sont pas accordés en La 440 Hz comme les musiciens d’Europe mais accordés en La 432 Hz. Et moi en tant qu’occidental je n’avais jamais entendu parler de ça. J’ai été obsédé cette fréquence de 432 Hz. Et 432 secondes, ça fait 7 min 12. C’est un arrêté artistique purement. Je voulais vraiment arrêter à une temporalité autour de ce chiffre là, pour inclure la nature.

Tu es co-fondateur du Festival International de Musique des Plantes.

Cette année c’est la troisième édition. L’idée est de sensibiliser à la conscience végétale et aux applications vertueuses de la musique des plantes. Des scientifiques sont présents pour expliquer le fonctionnement scientifique et nous sommes là pour expliquer les applications artistiques. Le festival nous permet de mélanger sciences et art. Les sciences nous permettent vraiment d’expliquer ce que font les plantes avec des biologistes et des généticiens, des gens qui décryptent les partitions pour expliquer quelles protéines sont stimulées ou inhibées, pour détailler les formes d’intelligence et de conscience de la nature. On propose également des concerts 100% végétal avec seulement des plantes qui jouent mais aussi des concerts de végétaux avec des humains où la plante répond.

Elle s’adapte à ce qu’elle entend ?

Oui, et ça, je t’avoue que c’est perturbant. Pour improviser avec les plantes, il faut avoir une belle maitrise de son instrument. Tout le monde ne peut pas le faire. Par exemple, Camille qui a reçu des prix aux Victoires de la Musique, est très connectée, son album Ouï est en 432 Hz.

Dans les partitions des végétaux, il y a des boucles et des répétitions ?

Ça va te paraître incroyable. Dans le cadre de ma recherche, un Aloe vera que je soumettais à plein de disques m’a reformulé des lignes d’Erik Satie. Elle est capable de répéter une information comme un enfant qui apprend à parler. C’est perturbant et beaucoup de gens nous décrient mais on a eu 800 personnes sur l’édition du FIMP, l’an dernier. Et les têtes d’affiches n’étaient pas des grands noms de la chanson française mais une fougère venue d’Australie qui a 200 ans.


propos recueillis par Florentine Colliat, juillet 2021

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