Morgane Carnet, free sax

Morgane Carnet chassait des Fantômes au dernier Tribu festival, PointBreak s’est posé en sa compagnie entre deux coups de filets. C’était speed et captivant. En voici la preuve écrite.

par | 1 Déc 2021 | interviews

FANTôME

Morgane Carnet avec FANTôME au Tribu Festival 2021 © Siouzie Albiach

On t’a vue jouer avec l’ONJ pour le programme Dancing In Your Head. L’ONJ et Ornette Coleman, deux institutions. Pour une jeune musicienne, c’est plutôt Totem ou tabou ?

Alors là, totem ou tabou ? Je ne me suis posée la question ni dans un sens ni dans l’autre. En tous cas, ce ne sont pas des mots qui me…

Est-ce qu’on s’y lance en toute confiance ou est-ce que se prend le poids de l’histoire sur les épaules ?

Eh bien justement, ni l’un ni l’autre. J’y vais parce que c’est l’ONJ, parce que c’est une proposition inattendue. Et drôle d’ailleurs, dans un premier temps. Après quand j’apprends que c’est un programme autour d’Ornette Coleman, je me dis que ça a du sens parce que c’est un musicien que j’adore, que je connais un peu, qui est un précurseur du free. Comme c’est une musique que je pratique pas mal, du coup ça fait sens. Mais tu vois, ça prend pas une tournure mystique ou inaccessible. J’étais curieuse aussi de voir ce que ça allait donner. C’est hyper dur de retranscrire la musique d’Ornette Coleman en big band. Donc challenge. En musique, pour moi, tout est possible. Il n’y a pas à se mettre de barrières… Comment la jouer ? Est-ce qu’il faut la jouer exactement pareille ? Est-ce qu’on peut la changer ?

C’est quoi ton premier contact avec le jazz ?

Un de mes premiers souvenirs marquants, c’était un concert à Coutances pour Jazz Sous les Pommiers. J’ai grandi là-bas. C’était un clarinettiste italien qui s’appelle Gianluigi Trovesi. C’était peut-être la première fois que j’allais voir un concert dans un théâtre, un vrai concert, assis dans des sièges. J’ai dormi la moitié du concert mais quand même l’autre moitié, j’étais un peu fascinée. Et j’étais fière d’être dans une salle et d’écouter un concert, je me sentais grande, en fait. Je jouais de la clarinette et qu’il se passait musicalement m’a touchée.

Et la sensation reçue de ta première impro ?

Y’a eu plusieurs phases et plusieurs sensations différentes. Je pense que la première fois que j’ai improvisé c’est en jouant sur un disque. Donc là, sans enjeu, tranquille à la maison, on essaye des choses. Wouah, j’ai l’impression de jouer super bien par dessus le disque, c’est monstrueux, enfin voilà. Après, en stage où là, il y a des gens qui regardent, des profs qui vont te conseiller, donc là, c’est plus difficile avec le regard des autres mais je n’avais pas trop de problème avec ça. J’y allais sans trop me poser de questions. Et il y a la troisième phase où là, c’est la première fois que j’improvise en live, avec Blanche, mon acolyte batteuse. Avec elle, on s’est mises à improviser en duo, puis avec des gens, à inviter d’autres gens, faire des sessions. On va jouer juste des sons et des notes, sans pré-requis et voir où ça va. De ces débuts-là, je me souviens que mes oreilles se sont vraiment ouvertes. Parce que plus du tout de code, encore une fois, d’écriture ou de cadre, de thème ou d’harmonie. Une liberté totale, juste basée sur ce qu’il se passe en face et ça pour moi, ç’a été vraiment une découverte cool et libératrice pour jouer vraiment jouer le son. C’est assez fort qui s’est passé pour moi à ce moment-là.

 

«Je me suis retrouvée à une jam, j’ai joué de la clarinette, y’avait un gars qui faisait du baryton à côté de moi et il envoyait.»

Comment tu passes de la clarinette au baryton ?

Une envie radicale de changement mais je ne me sentais pas de recommencer un autre instrument. Ce n’est pas très dur de passer de la clarinette au sax et c’était aussi une période où j’écoutais beaucoup Coltrane, Mingus… Enfin Mingus n’est pas saxophoniste mais les saxophonistes de Mingus, notamment Booker Ervin et compagnie ou encore des saxophonistes que j’adore comme Dolphy, Ornette Coleman. Je me suis retrouvée à une jam, j’ai joué de la clarinette, y’avait un gars qui faisait du baryton à côté de moi et il envoyait. Il avait un énorme son, moi j’avais beau souffler le plus fort que je pouvais dans ma clarinette ça ne passait pas, je ne m’entendais pas. J’ai dit : « ok, je vais me mettre au baryton ». Je suis allée à Paris une semaine après, je me suis achetée un baryton, voilà. Comme ça.

C’est ce qui a induit ton jeu très physique ?

C’est mon rapport au sax, je crois que j’ai un peu les même mouvements avec le ténor et l’alto. J’ai ce truc-là, je sais que je bouge beaucoup quand je joue, d’avant en arrière. Mais ça ne vient pas spécialement de l’instrument surtout que je me fatigue en faisant ça. En fait, si j’étais statique, je me fatiguerais moins. Mais j’ai besoin de bouger pour ressentir la musique et la jouer et la transmettre, enfin la vivre, quoi. Si je ne bouge pas, j’ai le sentiment de plus galérer à être en rythme, pour moi, le rythme passe par le corps.

Morgane Carnet dans Fantome

Le Tribu de Morgane © Siouzie Albiach

« à partir du moment
où je me suis mise à jouer
de la batterie ça m’a énormément
fait progresser aussi dans ma manière
de jouer le sax et
j’ai un jeu très rythmique. »

C’est Blanche Lafuente qui t’embarque dans le la musique improvisée, non ?

Qonicho ah ! existe parce qu’on a commencé à faire des sessions dans une esthétique un peu punk-jazz… Un peu free mais bourrin… Enfin pas bourrin mais punchy. Puis, elle m’emmène à Météo, je découvre un peu ce que c’est que la musique improvisée avec tout le travail de textures instrumentales, le bruitisme, les palettes de sons hyper larges. C’était hyper cool, hyper intéressant même si je ne me suis jamais non plus sentie complètement dedans. Et je continue à y aller, on y a joué avec FANTôME, en août, et j’ai vu beaucoup de choses qui m’ont plu. Mais disons que j’ai quand même besoin du rythme.

Qonicho D c’est un trio féminin, c’est important pour toi ?

Je me fiche du sexe des personnes avec qui je joue. Pour moi, ça n’est pas la question, pour Blanche, ça l’est. C’est pas que ça se frictionne parce qu’on est d’accord, on se met toujours d’accord mais moi je… Pour le moment, on a eu affaire qu’à des filles, qui étaient des amies donc c’est cool de jouer avec elles. J’ai envie de jouer avec des gens que j’aime bien, avec qui je me sens proche artistiquement, humainement, voilà, point barre.

Plutôt écriture ou full improvisation ?

Quand on est sur une forme de création free jazz / musiques improvisées, on cale petit à petit des thèmes qui viennent de l’improvisation. Y’a un truc vraiment naturel à composer ensemble, à rapporter chacun des choses. On a envie de donner de nous là-dedans, tout en prenant en compte ce qu’il se passe ailleurs. Dans FANTôME, il y a un peu ça. Ça dépend un peu des envies et du temps de chacun mais il n’y a rien de figé. On arrange tous ensemble les morceaux. C’est beaucoup Alex et Jean-Brice qui ramènent des choses et on construit autour de ce qu’ils apportent.

— En plein jour, sortie le 16 novembre 2018.

FANTôME Teaser pour Jazz Migration —  Photo au Tribu Festival 2021 by © Siouzie Albiach

Tu chantes également, ça influence ton jeu au sax ?

Carrément. Pour le moment, je dirai que c’est plus le chant qui, bizarrement, influence mon jeu. C’est dans Selen Peacock surtout que je chante, et quand je reprends le sax, je sens vraiment qu’il y a un impact, il y a un son qui va plus loin, vraiment. Et sûrement qu’à l’inverse, ça doit jouer aussi. J’ai jamais travaillé le chant, je chante les chansons qu’on me dit de chanter, en mode choriste, donc je n’ai jamais vraiment travaillé la technique vocale donc… Je joue de la batterie aussi et à partir du moment où je me suis mise à jouer de la batterie ça m’a énormément fait progresser aussi dans ma manière de jouer le sax et j’ai un jeu très rythmique. Dernièrement, dans tous mes groupes, je joue des choses assez répétitives et dansantes.

Le répétitif et les minimaliste américains, ça nourrit justement Fantôme.

C’est Alex qui a eu envie de cette formation et je lui ai proposé que Jean Brice vienne jouer. Je me suis plein de fois retrouvée à jouer avec d’autres clarinettistes.

Tu en as donc joué, tu t’en souviens en entendant jouer Jean-Brice ?

J’en joue aussi dans FANTôME. C’est pas un instrument que j’ai abandonné complètement et je prends toujours plaisir à en jouer.

Revenons aux Répétitifs et aux répétitions.

On a énormément bossé, fait pas mal de sessions improvisées. Alex a ramené de la musique, on a répété, répété, répété pour trouver un son et être bien connectés rythmiquement. Pour les Répétitifs américains, je ne suis pas la mieux placée pour parler de ça parce que je n’y connais rien. Je m’y suis mise à les écouter parce qu’Alex, c’est vraiment son truc et c’est pour ça qu’il a eu envie de monter FANTôME. Je trouve ça super beau mais je peux pas dire grand chose de plus.


propos recueillis par Guillaume Malvoisin, septembre 2021

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