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mardi 4 février 2025
La Vapeur, smac de Dijon
Il faut croire que les crocos se portent bien à Dijon. Salle quasi comble à la Vapeur pour accueillir la 19e édition des Nuits de l’Alligator, importation du blues américain et de ses dérivés dans l’Hexagone. Premiers au poste, les alsaciens de Dirty Deep. Power trio façon rock sudiste à la ZZ Top, l’énergie d’un Jack Black, la finesse d’un… Non, pas de finesse. Mais ce n’est pas vraiment ça que l’on est venu chercher. Ici, c’est chapeau de cow-boy, shuffle lourdingue et harmonica dément. Ça ronronne et ça coche au revolver toutes les règles du blues-rock : ballade crémeuse et nostalgique, intro façon La Grange et l’opposition des graves du bass-batt’ avec le spectre suraigu d’un harmonica dingo. Reste à voir le gros poisson de la soirée… Eh bien, on comprend direct. Intro digne d’un George Clinton, orgue-basse-batterie qui conjuguent à trois le suspense jusqu’à voir le jeune prodige du blues. Christone ‘Kingfish’ Ingram, doudoune sans manche apparence cuir, la bouche qui fait la moue du blues dès les premiers sons de guitare. Les yeux en l’air sur les traits intenses, le sourire sur les grosses nappes d’orgue. Et la voix. Chaude, posée, tranquille, comme un papier à musique qui aurait ingurgité toutes les leçons du groove depuis ses débuts. Kingfish est une synthèse, entre le blues, la soul et le R’n’B, dont son mantra du début de set, I Just Want to Be Your Lover, en est le plus pur exemple d’intensité. La connexion guitare-public est immédiate. On y entend BB King, on y entend T-Bone Walker, on y voit Hendrix jouer avec les dents. Kingfish dirige d’un coup de manche en l’air le trio derrière lui. Oui, l’instrument annonce, le public réplique. Le natif de Clarksdale, Mississippi, nous donne ainsi sa leçon. Le blues est une lingua franca par excellence.
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Christone, le blues a plus de 100 ans. Pour toi, quel est le sens de continuer de jouer cette musique aujourd’hui ?
Pour moi, le blues représente la vie, que ce soit les galères, mais aussi les bons moments. L’existence me renvoie toujours à cette musique. Je ressens qu’être capable de la jouer est un vrai privilège.
Tu viens du Mississippi, territoire par excellence du blues et de la musique africaine-américaine. Qu’est-ce qu’on entend de cela dans ta musique ?
Bien sûr, il y a quelque chose du Mississippi où j’ai grandi et été élevé. C’est aussi là-bas que j’ai été formé au blues, avec des professeurs et des mentors, ça va forcément se ressentir dans mon jeu. Je pense à des types du coin. Richard « Daddy Rich » Crisman, qui travaillait au programme éducatif du Delta Blues Museum, Bill « Howl-N-Madd » Perry paix à son âme… Et des pointures comme Robert Belfour que je pouvais voir jouer en vrai.
C’est ton troisième concert, en France, pour cette tournée des Nuits de l’Alligator. Vois-tu des différences entre les publics français et américains ?
Les publics américains apprécient le blues, mais je vais dire que vous, vous l’adorez. Vous le traitez comme une musique d’autrefois, et vous l’appréciez de façon plus profonde. Je respecte ça.
Il y a un lien historique entre la guitare et le blues, et tu es guitariste. Dans ton jeu, tu penses innover ou t’inscrire dans la tradition ?
Je suis un peu entre les deux. J’essaye de créer quelque chose de nouveau, mais dans le même temps, je réplique des choses que les autres ont pu jouer. Pour moi, je suis plutôt une synthèse, avec le meilleur des deux mondes, pour créer ma musique.
Selon toi, est-ce que la guitare restera l’instrument principal dans la musique de blues, d’ici à 20 ou 50 ans ?
Pour moi, l’instrument principal du blues, c’est surtout la voix et pas la guitare. La voix, le chant, simplement ça. La guitare ne sera jamais loin car l’instrument est populaire mais le blues repose sur le chant, qui raconte une histoire. Tu peux le faire quand tu joues de la guitare, mais le chant reste le plus important.
J’ai vu une vidéo de toi jouant avec Buddy Guy pour les Fender Strat Sessions. Il dit au tout début de la vidéo que sa guitare, c’est sa femme.
Oui, il y a un peu de ça, car des fois, c’est tout ce que tu as (rires). Il a été un de mes mentors dans le blues, il m’a appris beaucoup de choses, directement et indirectement.
Je t’ai entendu par hasard dans la B.O. du jeu Red Dead Redemption II. Tu joues Letter From Bluewater Man à la guitare acoustique. Jouer le blues avec une guitare acoustique, même pour un guitariste électrique, ça reste un indépassable ?
Beaucoup de gens font une différence, mais réfléchis-y. Muddy Waters a commencé à la guitare acoustique… Aujourd’hui, quand tu joues de l’acoustique, tu as vraiment ce son brut. Tu ne peux pas te cacher. J’aime le country picking blues et le bluegrass.
Quel est l’origine de ton surnom, Kingfish ?
Un de mes mentors, Bill « Howl-N-Madd » Perry, avait l’habitude de donner des surnoms à ses élèves. Pour moi ce fut Kingfish par rapport à un type dans une vieille sitcom, Amos ‘n’ Andy. C’était juste une blague mais le nom est resté et maintenant… On en est là (rires).
Quel est ton morceau de blues préféré ?
Une chanson appelée Cummings Prison Farm. C’était un chanteur de blues, Calvin Leavy, Je me rappelle l’avoir beaucoup écoutée quand j’étais petit, et ça reste une de mes chansons préférées.
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propos recueillis par Lucas Le Texier, 4 février 2025
Les Nuits de l’Alligator, La Vapeur, smac de Dijon
photo © Sandra Da Silva
+ d’infos sur Christone ‘King Fish’ Ingram
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