Jas Kayser, full energizer
Afrobeat raffiné et prod tonifiante, Jas Kayser fusionne et bouillonne. Sa nouvelle session 5ive confiée par Jazz Re:freshed sort le 15 avril. Mais avant ça, on pause les bases.
Jas Kayser, Cinquante nuances de bleu
La batterie, c’est ton premier choix ?
J’ai été passionnée par la batterie depuis qu’un mec est venu en jouer dans mon école. J’étais en mode « Oh, il y a quelque chose, là », J’ai adoré.
Tu as travaillé avec pas de monde, dont Alfa Mist par exemple. Qu’as-tu appris de ces expériences ?
Quand j’étais à l’université, j’ai pu avoir une bourse pour aller à Berklee. Là-bas, j’ai rencontré mon idole absolue,Terri-Lyne Carrington. Je lui ai demandé : « Est-ce que je devrais jouer du jazz ou plutôt de la pop ? ». Elle m’a répondu « Pourquoi tu choisirais ? Tu peux faire les deux ». Depuis, j’ai voulu m’engager dans tout ce que j’aimais et ne pas me limiter à un seul genre. Techniquement, c’est difficile de switcher du swing traditionnel au hip-hop, au jazz,au groove ou au R’n’B. Je me sens chanceuse d’avoir pu jouer avec un groupe de jazz traditionnel comme Kansas Smitty’s puis de jouer ensuite avec Alfa Mist, plus jazz rap, et encore plus tard Jorja Smith où c’est plus pop et R’n’B.
Je me sens vraiment bien. C’est vraiment gratifiant de créer son propre projet. Être leader, ça demande d’être vulnérable et ça peut être difficile à cause de tes insécurités personnelles ou de tes propres sentiments. Il faut réussir à s’exprimer complètement et à être soi-même. Mais ça a boosté ma confiance et m’a rendue heureuse d’être qui je suis. Ça peut être stressant et fatiguant mais à la fin, ça vaut toujours le coup.
C’est seulement le début de ta carrière. C’est quoi la suite ?
Cet été, je vais en tournée avec Jorja Smith et tenter de défendre en live mon album Jazz Re:freshed. Je pense aussi enregistrer un nouvel album, JAS 5ive m’a beaucoup inspiré. Des choses sont déjà écrites et j’aimerais le sortir l’année prochaine.
— One From, Jas Kayser (Live @ jazz re:freshed, 2021) © Fabrice Bourgelle
« Plus tu apprends sur la musique et plus tu te rends compte à quel point tout est connecté. »
Pour JAS 5ive, tu mixe drumming jazz, et afro-beat.
Depuis l’âge de 16 ans, je pratique la batterie jazz. J’ai appris tellement de l’histoire du jazz, des africains-américains et de l’histoire de l’esclavage. J’aimais beaucoup le jazz mais je trouvais que je n’étais pas assez performante. À l’Université, j’ai découvert Tony Allen et Fela Kuti, les pionniers de l’afro-beat. Je me suis tout de suite sentie connectée à cette musique. J’ai réalisé à quel point les deux genres étaient connectés. Depuis, j’ai toujours essayé de mettre de l’afro-beat dans mon jazz et j’ai l’impression d’avoir plus de champ pour m’exprimer.
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C’est important pour toi de mixer plusieurs genres ?
Plus tu apprends sur la musique et plus tu te rends compte à quel point tout est connecté. Tu sais Charlie Parker est l’un des pionniers du bebop. Nous n’étions pas là, évidemment mais je pense qu’on doit faire un effort pour essayer de tout apprendre sur la musique et son histoire.
Dans ton EP précédent, Unforced Rhythm Of Grace, on entend déjà l’influence de Tony Allen.
Je l’ai vu 3 fois en concert, hallucinant de voir à quel point il avait du groove. Sa façon de jouer est puissante alors qu’il est complètement détendu. Certains batteurs font d’ énormes mouvements alors que lui est détendu et joue le meilleur groove que tu n’aies jamais entendu. L’EP porte son influence mais il m’a aussi permis de me connecter avec d’autres rythmes africains, entendus à l’Université. J’y ai d’ailleurs beaucoup appris sur le mouvement anti-coloniaux en Algérie dans les années 60. Fela Kuti y était engagé et se servait de sa musique pour rassembler ceux qui l’écoutaient. Son discours a tellement résonné en moi que je l’ai mis dans Fela’s Word. Le nouvel album est toujours afro-beat mais avec des influences cubaines. J’ai pensé à mon voyage au Panama, à la salsa, aux rythmes et tout ça mélangé avec de l’afro-beat et du jazz.
Tu parles de ton voyage au Panama. A-t-il influencé ta musique ?
A 100%. Ça m’a ouvert l’esprit. Pour moi le Panama, c’était totalement nouveau, une langue et un environnement musical différent. C’était hallucinant. Je me promenais dans les rues là-bas et j’avais l’impression d’entendre tout le temps de la musique. Des fois j’en entendais littéralement partout. Un pays qui est aussi investi dans la musique, ça t’ouvre vraiment l’esprit. Beaucoup mieux que de regarder seulement des vidéos sur Youtube.
— Jas Kayser’s 5ive, sortie le 15 avril 2022 sur jazz re:freshed.
« Je suis chanceuse d’avoir le soutien de Jazz Re:freshed, qui soutient les jeunes londoniens jazzmen et women noir.e.s »
Après Kaidi Tatham et Nubya Garcia, Jazz Re:freshed te confie une session 5ive, qu’est ce que ça représente pour toi ?
C’est trop bien, j’ai toujours voulu en faire une. Voir les gens que tu cites commencer leur carrière, ça m’a vraiment inspiré. J’admire Femi Koleoso du Ezra Collective. Il est batteur et leader de ce groupe. J’adore comment il arrive à gérer ça et le fait d’être le batteur pour d’autres. Je suis chanceuse d’avoir le soutien de Jazz Re:freshed, qui soutient les jeunes londoniens jazzmen et women noir.e.s. Je n’aurai jamais pu avoir ces opportunités seule.
Dans Darkness In The Light and Half-Race Face, tu joues avec la présence de voix.
J’adore travailler avec les voix et les paroles que ce soit chanté ou en spoken word. Mais je ne pense pas que la musique ait besoin de paroles, que tu peux avoir plaisir à écouter une musique instrumentale. Pour cet album, j’avais envie de délivrer un message. L’artiste qui fait du spoken word est mon frère jumeau, Ash Kayser. Il a commencé récemment et ces premières histoires étaient des anecdotes plutôt drôles comme celle qui parle du jour où il se faisait attaquer par des mouettes sur une plage. Je lui ai demandé s’il voulait aussi aborder de sujets sérieux comme celui de nos origines, nous sommes tous les deux à moitié caribéen et à moitié anglais. Il était à fond et j’avais très envie d’exposer notre point de vue. On a grandi dans des environnements similaires, expérimenter les mêmes choses. Pour la chanteuse, Ava Joseph, c’est comme ma sœur d’une autre mère. Je la connais depuis longtemps et j’ai toujours aimé sa voix. On a étudié ensemble à la Julian Joseph Jazz Academy. Je trouvais ça cool qu’elle soit sur le morceau. On a travaillé ensemble sur les paroles pour aborder la découverte de soi et montrer comment on doit se perdre soi-même pour se retrouver plus tard.
Certaines musiciennes comme Nubya Garcia et Emma-Jean Thackray sont de plus en plus médiatisées. Penses-tu que ta génération arrive à se détacher des stéréotypes jazz des années 50/60 ?
Récemment, j’ai découvert une vidéo de Tia Fuller, une saxophoniste américaine, qui a bossé avec Beyoncé. Elle est incroyable. Elle évoquait le fait que dans les années 50/60, il y avait des jazzwomen musiciennes. Mais, elles n’étaient ni reconnues ni mises en avant. Il y avait un groupe d’instrumentistes féminines, Sweethearts of Rhythm, mais les gens ne les connaissent pas vraiment parce qu’on les voyait pas beaucoup dans les médias. Peut-être qu’elles étaient sur des albums mais sans être créditées. Des fois, t’écoutes un son et tu penses écouter un groupe totalement masculin alors qu’en réalité il y avait sans doute des femmes dessus. Pareil pour Mary Lou Williams.
De ton point de vue, jouer de la batterie quand on est une femme, c’est une difficulté supplémentaire?
Quand j’étais jeune je ne me rendais pas compte que ça pouvait sembler bizarre de jouer de la batterie en étant une femme. C’est en devenant adulte que les gens ont commencé à me dire : « Oh, bizarre, tu joues de la batterie… ». Mais j’ai envie d’être une bonne batteuse et ne pas être jugée parce que je suis une femme qui joue de la batterie.
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propos recueillis par Ellinor Bogdanovic, mars 2022
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