Oan Kim, impur et passe
Saxophoniste, compositeur, photographe, réalisateur, la liste de skills est encore longue. Pourtant, Oan Kim est plutôt encore discret sur la scène jazz. En marge de la sortie d’un album parfait, entretien avec un touche-à-tout qui manie aussi bien les réfs que les métaphores.
Oan Kim sait aussi rougir © Brigitte Bouillot
Oan Kim & The Dirty Jazz, c’est un titre ou une manière de qualifier ton album ?
Au départ, je cherchais à définir le style de musique. Je trouvais que dirty jazz collait bien dans le sens où c’est pas vraiment du jazz. Aujourd’hui, les jazzeux ont tendance à être assez puristes. Mais, je pense que Oan Kim & The Dirty Jazz va être le nom du groupe. J’ai enregistré l’album seul mais j’ai réuni des musiciens pour jouer l’album en live, ce sera un peu comme Nick Cave and The Bad Seeds. On a fait quelques répétitions et enregistré une captation en studio. On a fait aussi une reprise de Sonic Youth, Teenage Riot version jazz.
Ce serait quoi le ‘Dirty Jazz’ selon toi ? Ce serait quoi l’esthétique ‘dirty’ ?
Ce n’est pas du jazz canonique. Il y a des influences pop, rock et expérimentales. Je m’étais éloigné du jazz pendant plusieurs années parce que je trouvais que c’était en train de devenir la nouvelle musique classique et que la vitalité n’était plus là. Puis, j’ai eu des groupes de pop, électro rock pendant pas mal de temps, il y avait une scène pleine de créativité et d’énergie. Ensuite, je sais pas trop pourquoi mais je me suis mis à réécouter pas mal de jazz. Ce que je préfère dans le jazz, ce sont les années 50/60. D’ailleurs, je pense que ce sont mes années un peu fétiches en musique. Finalement, dans ma playlist j’ai aussi bien du Miles Davis, du Coltrane, du Velvet Underground que du Radiohead, du Brian Eno et du Boulez. Cet album, je l’ai commencé au début de la pandémie en 2020. J’avais aucune pression de faire quelque chose qui corresponde à une scène particulière. Ça m’a permis d’essayer des trucs que j’avais envie d’entendre, de mélanger des choses qui n’ont pas l’habitude de l’être. Je ne sais pas vraiment si l’album est plutôt jazz ou de la pop-indé. Un peu des deux et ça dépend des morceaux. C’est aussi ça le côté ‘dirty’ du disque. C’est une musique impure.
« En étant débarrassé des contraintes du milieu du jazz, je me suis senti plus libre et, sans doute désinhibé, pour approfondir ce projet. »
— Teenage Riot (2022) / Photo © Katherine Kalinin
Ton disque mélange plusieurs genres musicaux : post-rock, indie, jazz et tradition.
C’est quoi au juste, tes inspis naturelles ?
Il y a quelques années, je faisais déjà des chansons un peu indés mais avec des arrangements où je samplais notamment des morceaux d’Art Blakey et où je jouais des cuivres. Je suis aussi photographe et le contexte était particulier. Je faisais une exposition sur une série de photos de fanfare. On m’avait demandé de faire un concert. Ça se passait à Dallas donc je n’avais pas amené de musiciens. J’ai cherché un moyen le faire seul puis j’ai enregistré ça. C’était une performance vidéo et musique. Les arrangements jazz étaient là pour faire écho aux photos de fanfare. C’est quelque chose que j’avais bien aimé faire mais que je n’ai pas beaucoup développé. Puis l’occasion s’est présentée. Pour être honnête, je ne savais pas si j’étais encore capable de jouer du saxo assez bien. Mais il se trouve que j’avais l’impression de jouer mieux qu’avant même si j’en avais pas fait pendant longtemps. Je pense que c’est parce que j’ai fait beaucoup de chant ces dernières années. Le chant aide vraiment pour le phrasé. Le saxo et la voix sont assez proches. Je pense que c’est un des instruments qui se rapproche le plus de la voix humaine parce qu’on peut faire beaucoup d’effet, c’est très malléable par rapport à la trompette ou à la clarinette sans parler du triangle. En reprenant le saxo, je me suis aperçu que j’aimais beaucoup en jouer et que notamment en étant débarrassé des contraintes du milieu du jazz, je me suis senti plus libre et sans doute désinhibé pour approfondir ce projet.
Série Fanfares © Oan Kim/MYOP
Cette année, tu sors donc ce premier album et tu choisis de l’auto-produire.
J’ai contacté quelques labels en pleine année Covid. Je n’ai pas eu de réponses donc je me suis dit je n’allais pas attendre que tous les trains aient fini de passer. Je vais monter mon propre wagon sur les rails.
Chaque morceau a un titre singulier comme Funeral Waltz, Smoking Gun, The Judge. D’abord les titres et ensuite les compositions ou le contraire ?
Hitchcock disait : « Quand on a fini d’écrire le scénario, on peut commencer à écrire les dialogues ». Je crois assez à ça. En tout cas, c’est l’approche que j’ai du songwriting. Je commence par la musique. Les thèmes émergent ensuite naturellement.
— Oan Kim & The Dirty Jazz (2022)
Wong Kar Why?
« J’aime bien le fait de ne pas être que chanteur. »
Tu dis te positionner entre Pharoah Sanders et Radiohead, tu peux détailler plus ?
Radiohead, c’est un groupe qui m’a pas mal marqué quand je faisais de la musique contemporaine, classique et du jazz. Quand OK Computer est sorti, je me suis rendu compte que la musique pop pouvait être aussi sophistiquée que la musique classique. Elle avait par rapport aux musiques que j’écoutais, une sorte de force émotionnelle qui m’a attiré. Pharoah Sanders est un saxophoniste qui a un esprit crossover certain. Dans ces sons, il y a un côté pop et psyché. C’est beaucoup de morceaux qu’on appelle ‘modaux’ c’est-à-dire pas avec des successions d’accords mais joués sur un mode avec un ostinato. C’est quelque chose qu’on entend plus dans la musique pop. Je ne suis pas expert de la musique de Sanders, mais je sens que c’est un musicien qui a fait, à sa façon, un pont entre le jazz et d’autres musiques.
Le batteur Edward Perraud joue sur ton disque. C’est son travail qui t’a inspiré ?
On s’est connus, il y a longtemps, au CNSM. On était en cours d’Analyse musicale ensemble puis on s’est un peu perdus de vu. C’était un copain et je cherchais un batteur pour certains de mes morceaux, un batteur qui ait une sensibilité de percussionniste. Puis, je l’ai contacté. Il a un jeu très mélodique, pleins d’idées puis une énergie. Nicolas Folmer, je le connaissais pas mais j’étais assez fan d’un de ses albums de reprises de Miles Davis. J’adore son son.
Wong Kar Why? est clairement une référence au réalisateur hongkongais Wong Kar-Wai, tu as pensé à sa filmographie en composant ?
Au début, ce n’était pas conscient mais j’adore Wong Kar-Wai et ses B.O avec Xavier Cugat, Nat King Cole. Quand on entend des bongos, c’est quelque chose que j’ai pris à Xavier Cugat que j’ai découvert dans les films de Wong Kar-Wai. C’est plus quand j’ai commencé à écrire les paroles que je me suis dit « à quoi ça me fait penser ? ». Et ça m’évoquait les films de Wong Kar-Wai. J’ai écrit les paroles qui décrivent les clichés de l’héroïne romantique et boudeuse des films de Wong Kar-Wai.
— Mambo, Oan Kim & The Dirty Jazz (2022)
Le clip de Mambo, c’est toi qui le réalise. As-tu écrit ce morceau en ayant déjà les images en tête ?
J’ai commencé par la rythmique à la Nick Cave, à la Tom Waits. Cette atmosphère de soupçon très cinématographique. Le morceau a un petit côté rétro, ça m’a donné l’idée d’associer deux danseurs qui se toiseraient l’un l’autre. J’étais fan aussi des danses de Pina Bausch comme celle du film Pina. Il y a toujours un peu ce rapport ambigu de pouvoir et de séduction, qu’il y a entre l’homme et la femme.
Après être passé par des groupes rock et électro-rock comme Film Noir et Chinese Army, pourquoi tu reviens au jazz ?
C’est un ensemble. Il y a le fait que je réécoute à nouveau plus de jazz qu’avant. Puis, il y a un peu un essoufflement de la scène rock indé et mon rapport ambivalent sur le fait d’être chanteur. J’adore chanter mais être chanteur, ça rend un peu narcissique. Parce qu’on est exposé, jugé autant pour la façon dont on se présente que la façon dont on chante. Je ne sais pas si c’est une cause directe mais j’aime bien le fait de ne pas être que chanteur.
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propos recueillis par Ellinor Bogdanovic, janvier 2022
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