Gauthier Toux emboîte le pas
Petit pas pour l’humanité mais grand pas pour Gauthier Toux. Son nouveau disque The Biggest Steps mixe recherches sonores, influences pop et introspection. Rencontre avec un pianiste fan d’électronique.
To be free or not to be ? © Stanislas Augris
The Biggest Steps. Grand pas pour l’humanité et Neil Armstrong sur la Lune ou les Giant Steps de Coltrane ?
Je me suis douté qu’on allait me poser ce genre de question… J’ai commencé à écrire la musique en plein confinement. Je me suis dit que c’était le bon moment pour une introspection sur les dix dernières années. J’ai vraiment pris le temps de me poser et de comprendre les étapes importantes qui ont fait ce que je suis devenu aujourd’hui, musicalement mais aussi humainement. Le confinement était cool pour faire ça parce qu’on avait le temps. The Biggest Steps, ça vient simplement des étapes importantes que j’ai vécues. Chaque titre de l’album parle de ces étapes. Quand j’ai quitté mes parents pour aller étudier en Suisse à Lausanne, puis les rencontres qui m’ont amené à faire des disques en trio, jouer avec d’autres gens, jouer du synthé etc. C’est vraiment une introspection, ce disque.
C’est seulement le confinement qui t’a donné envie de faire ce disque ?
Non. J’en avais déjà envie dans le passé. C’est le deuxième confinement qui m’a donné le temps de le faire. J’étais enfermé, comme tout le monde. J’ai vraiment eu le temps de me poser. Ça a été le moment de faire un bilan musical. De synthétiser le mieux possible tout ce que j’ai pu faire en tant que leader mais aussi comme sideman puis d’essayer de le mettre dans un trio complètement acoustique. C’était l’idée de garder cet aspect acoustique. Contrairement à ce que j’avais fait dans For A Word qui était très électrique.
Que vient faire Jenny Wren de McCartney dans cette introspection ?
Je trouve cette chanson magnifique. Je suis un gros fan de McCartney et des Beatles depuis assez peu de temps. Des potes me les ont fait réellement découvrir. J’ai choisi ce morceau parce qu’il représente ce que j’aime dans la musique. La mélodie est un bijou. L’harmonie ça pourrait être du baroque mais, en même temps il y a toute cette partie instrumentale au milieu avec le duduk, un instrument arménien. C’était important pour moi de mettre une chanson. Sur le disque précédent, il y avait une chanteuse et j’ai accompagné pas mal de chanteuses. Jenny Wren est réinterprétée de manière complètement instrumentale, sans parole.
Pourquoi les jazzmen reprennent beaucoup de sons pop ?
Effectivement depuis une trentaine d’années, il y a beaucoup de reprises de chansons pop en jazz. Brad Mehldau et E.S.T faisaient beaucoup ça. Ils traitent les chansons pop comme un standard de jazz. Ils relèvent les mélodies pour en faire des solos. L’idée pour ce disque, c’est que Jenny Wren soit dans la couleur du disque. On développe un concept tout au long du morceau et on se le réapproprie vraiment. Le but était de le jouer d’une manière assez originale plutôt que de le jouer comme si c’était une chanson lambda. On le joue pas très fort. Juste c’est très tendu, juste il y a cette fin avec une sorte de grande montée tout au long de la chanson. Pourtant le matériau mélodique et harmonique est celui de McCartney. On a rien changé.
— For A Word, Shipwreck (Live @ Nancy Jazz Pulsations, 2020) © Stanislas Augris
« Quand on nous voit sur scène, les gens passent un bon moment parce qu’ils voient qu’on se kiffe et qu’on partage d’autres choses que la musique. »
Simon Tailleu a un jeu de contrebasse très mélodique, comment tu composes avec ça ?
Ce qui est super avec Simon c’est qu’il a une grande connaissance de la musique, de la funk, de la soul. Il connaît très bien le jazz, il a joué avec pleins de gens. Effectivement, il a ce côté mélodique et en même temps il est capable de garder la même ligne pendant longtemps dans les graves et c’est intense. C’est ce que je cherchais. Quelqu’un qui puisse me compléter dans les aigus ou dans le médium, ce qu’on fait dans quelques uns des morceaux. On se complète, on s’écoute et ça se développe. C’est ça qui m’a attiré chez lui en plus du fait que ce soit un mec en or. Comme Maxence Sibille, le batteur. On s’entend super bien tous les trois et ça marche.
On a interviewé Léon Phal qui nous a balancé que tu es fan de techno. C’est toi qui as apporté les sonorités électro de Dust To Stars. Ta came c’est plutôt house, électro ou techno ?
J’ai pas vraiment une came particulière. Je découvre la musique électro au fur et à mesure. En Suisse, j’ai plein de potes qui connaissent cette musique mieux que moi. J’ai commencé par la techno, pas la hard tech ou la transe. Vraiment la techno, celle de Berlin. J’aime pas quand c’est trop rapide. Depuis quelque temps, j’écoute plus de house. Ça se rapproche du jazz, dans les couleurs et l’harmonie. A la base c’est de la black music que ce soit la house ou la techno. Puis, l’Europe se l’est réappropriée. Il y a aussi cette transe dans la techno ou la house qu’on a un peu perdu dans le jazz aujourd’hui mais qui était là avant. J’écoute aussi pas mal d’ambient, je suis un gros fan de Aphex Twin et de la pop complètement psyché comme Bon Iver, James Blake ou encore Brittany Howard. C’est l’électronique dans la pop qui m’intéresse.
On parle d’électro dans tes projets mais tu tiens à garder ce côté acoustique dans ce trio et depuis le début.
Mon idée, c’était de ramener les influences de l’électro dans un projet complètement acoustique. Dans deux, trois morceaux, il y a ces influences là, notamment dans The Biggest Steps. Je tiens des ostinato, la contrebasse aussi et ça se développe comme si c’était de la techno sauf que c’est complètement acoustique. Je voulais aller chercher le plus de sonorités possibles. Je trouve ça intéressant d’aller chercher ces sonorités avec un instrument acoustique. L’idée c’était d’aller à l’essentiel. J’ai ajouté d’autres sonorités, c’était un piano droit que j’ai ajouté sur un piano à queue. Pour Jenny Wren, il y a un thème qui est joué avec une basse électrique mais qui n’est pas branchée. On a juste mis un micro devant la basse pour l’enregistrer acoustique. C’est le même modèle de basse que McCartney, la Höfner. Rien n’est branché.
Piano à queue, Rhodes ou synthés ?
Le piano à queue reste mon premier amour et le retrouver ça me fait un bien fou. J’ai toujours travaillé dessus même quand je faisais autre chose. Après les Rhodes et les synthés, ça fait juste faire autre chose, ça amène ailleurs. Quand on est aux Rhodes, d’avoir fait du piano ça fait gagner un temps fou sur la compréhension du clavier. Mon jeu de piano a aussi évolué depuis que je joue des synthés et ça me donne envie de faire d’autres trucs.
— The Biggest Steps, sortie le 25 février 2022 sur Kyudo Records.
« On est plus dans le débat : “Est-ce que c’est
du jazz ou pas ?”. »
Tous les projets où tu es présent marchent dans les médias ou auprès du public, c’est quoi ta recette magique ?
Je ne sais pas si c’est moi le facteur X ou quelqu’un d’autre. Je kiffe la musique, être avec les copains. J’ai décidé de tout donner quand il s’agit de faire de la musique. Je sais pas si c’est cette impulsion de vouloir tout donner qui fait qu’à un moment ça participe à une réussite ou pas.
On lit souvent que tu fais partie de la “nouvelle scène jazz”. Tu la définirais comment ?
Je ne sais pas si c’est juste un terme utilisé par les médias ou si c’est quelque chose qui va exister. En tout cas, je considère être partie prenante de la scène jazz de ma génération. Cette génération qui grandit à la fois avec le jazz, la musique classique mais aussi la pop, le rock, le hip-hop, la techno, l’afrobeat. On est plus dans le débat “Est-ce que c’est du jazz ou pas ?”.
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propos recueillis par Ellinor Bogdanovic, février 2022
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