Floating Points x Pharoah Sanders,
promesses ténues
En mars dernier sortait une pépite. Une vraie. Libre et stylée. Pas une montée de sauce du moment, un vrai truc qui croise les esthétiques. Un truc important, qui va durer. Durer. Longtemps. Longtemps.
C’est quoi la combine ?
Simple. Un producteur électro briton bricole avec une légende du Free Jazz. Ils finissent par enregistrer un album prodigieux avec le London Symphonic Orchestra. Le prod’ c’est Sam Shepherd alias Floating Points, la légende c’est Pharoah Sanders, saxophoniste céleste. L’album est titré Promises. Euphémisme réglementaire, mon cher Watson.
C’est qui déjà ces deux-là ?
Sam Sheperd se fait connaitre sous le blaze de Floating Points. Il est anglais et DJ. Après avoir frappé un grand coup avec le très lettré Elaenia (2015), il sort Crush en 2019 (Ninja Tune) et continue de fouiner les recoins d’une musique éthérée mais toujours rigoureusement sensée. Autre joli coup, il aide à la redécouverte d’Alain Bellaïche et de son album Sea Fluorescent dans sa compile calée pour la série Late Night Tales.
Dans cette album-ci, Promises, les éléments rythmiques manipulés par Floating Points sonnent comme autant d’obsessions claires. Des obsessions nées d’un paysage intérieur aussi dense que la canopée amazonienne un soir de pluie. C’est fluide, savant et immédiat à l’oreille. Chercheur invétéré, Sheperd combine les influences avouées de Messiaen (écoutez le Movement 7 du disque) et de Bill Evans dans une musique électronique qui vient chopper autant l’esprit que les tripes.
De son côté, Farell Sanders a fêté cette année son 80ème anniversaire. Certains se font vacciner à l’EHPAD, lui enregistre en Californie. Avant cela, c’est le parcours parfait d’une vie dédiée au Free et à la musique universelle. Élève de John Coltrane et de Sun Ra, qui lui a filé son surnom, Pharoah Sanders a été décrit par Ornette Coleman comme probablement le meilleur joueur de ténor au monde. C’est très subjectif mais ça claque. Quant à John Coltrane, Pharoah le côtoie en studio depuis Ascension (1965) jusqu’à la mort du saxophoniste en 1967. Depuis, Sanders n’a jamais complètement abandonné leur son commun, abrasif et hurleur, mais l’a tempéré d’une douceur atmosphérique, notamment avec Alice Coltrane et Leon Thomas. Fidèle au Free Jazz, celui qu’on surnomme aussi Little Rock, sa ville de naissance, lui a greffé un paquet de gimmicks vintage façon bop ou funk. Son jazz céleste est taillé pour les étoiles, s’enflammant très souvent après de longues intros cathartiques. Son œuvre couvre 50 ans d’enregistrements et de concerts dont la Symphony For Improvisers de Don Cherry (Blue Note, 1967), son séminal Karma (Impulse!, 1969) ou beaucoup plus récemment, en 2014, avec les groupes Underground assemblés depuis Chicago et Sao Paolo par Rob Mazurek, autre chercheur stellaire. Coqueluche de la nouvelle scène saxée, Shabaka Hutchings dit à son sujet : « La première fois que j’ai vu Pharoah en concert, j’ai été frappé par son équilibre, comme s’il était enraciné dans le sol et capable de puiser de la puissance dans tout son corps pour la canaliser à travers le saxophone. On a l’impression que la musique est à la fois du ciel et de la terre, aussi bien en haut qu’en bas. »
C’est bien ce disque ?
Promises réussit à réconcilier les jazzeux et les électroniciens. Et, ce qui éloigne cette sortie d’un coup marketing, c’est son histoire même. Pharoah Sanders, assis dans un taxi, de retour d’un studio entend Elaenia à la radio. Coup de force. Il est séduit par le velouté et l’éclat céleste de la musique de Sheperd et demande à bosser avec lui. Jeff Mills avait convoqué l’esprit de Coltrane, Floating Points aura reçu le compagnonnage de Sanders. Pas mal. In vivo (et sans la présence encore un peu inexpliquée d’un Émile Parisien). S’en suit 5 ans de préparation et 9 mouvements d’une musique dévouée à la lumière et à la visite de celui que Little Rock nomme The Creator. Fruit du Free, Sanders joue abrasif parfois mais joue peu, chacune de ses notes contiennent une énergie-monde. Le LSO pose le tapis sonore, magique, et Sheperd dilapide avec une science feutrée ses 4 notes hantées. C’est tranquille et c’est pourtant habité. Ça se dirige d’emblée vers l’infini et ça se pose comme un album important. Le genre de truc qui va trôner pour l’éternité dans les étagères comme une masterpiece. Tout près du Love Supreme de John Coltrane
Stone & Chard… Pharoah Sanders & Floating Points
Ok , mais après les 46’33 du disque, on écoute quoi ?
> Elaenia
de Floating Points (2015).
L’envoûtement à ses débuts chez le Mancunien.
Léger, lettré. Le jazz y côtoie l’indolence suspendue.
> Black Unity (Impulse!, 1972)
> Pharoah (India Navigation, 1977)
> Moon Child (Timeless Records, 1990)
de Pharoah Sanders
3 pierres angulaires dans la recherche du son universel. Celui qui vous réconforte tout en vous donnant des envies d’ailleurs, la nécessité de ne jamais s’arrêter de bouger.
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Guillaume Malvoisin
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C’est par ici.