Fanny Meteier

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Météore
— Jazzdor Strasbourg
jeudi 14 novembre 2024

par | 20 Nov 2024 | interviews, articles

Tu joues dans Météore, en compagnie de Maëlle Desbrosses. On y entend de l’alto et du tuba. Dans un orchestre classique, ce sont des instruments souvent laissés pour compte. Est-ce que votre duo, devient alors un peu la revanche des plus forts ?
(Elle rit) Avec Maëlle, on s’est rencontrées il y a trois ans, on a vite accroché. On a des parcours assez similaires, une éducation classique qui a viré vers le contemporain, la musique improvisée et le jazz. Du coup, je ne me considère pas vraiment comme jazzwoman. On est très attachées à ce mélange des genres. Effectivement, le tuba et l’alto, dans l’orchestre, c’est souvent une sorte de « liant » pour le reste des pupitres, surtout le tuba. Normalement, en classique, on n’est pas censé l’entendre, mais plutôt le remarquer lorsqu’il n’est pas là. Avec Maëlle, on a donc ce détachement face à la tradition purement classique, on a cet attachement à mélanger l’impro et le répertoire. C’est donc une rencontre de personnalités et de timbres, qui se mélangent très bien, parce qu’ils sont assez chauds, dans un registre large, ni trop grave, ni trop aigu.

Le tuba, c’est ton premier instrument ?
Depuis l’âge de deux ans, je voulais faire de la trompette. J’en avais vue une dans une fanfare dans la rue et j’ai tanné ma mère mais j’étais trop petite. Vers 5 ans, j’ai commencé la guitare classique. À 7 ans, une fois que mes dents de laits étaient tombées et que les définitives avaient poussé, j’ai commencé le tuba parce que ma mère ne pouvait pas m’amener au cours de trompette, les seuls créneaux possibles, c’était soit ça, soit le cor. Aujourd’hui, je suis contente parce que je pense que j’aurais été insupportable avec une trompette entre les mains.

Qu’est ce que tu écoutais, petite, à la maison ?
Ma mère est prof de danse classique, donc beaucoup de musiques de ballets, forcément. Mais, très tôt, elle m’a donné une radio pour pouvoir écouter ce que je voulais : beaucoup de musiques urbaines, françaises ou américaines, R’n’B, soul, latino pop, et beaucoup d’afrobeat aussi. Evidemment, j’écoute les oeuvres que je dois travailler. Parfois j’ai de petites hyper-fixations, genre que du Stockhausen pendant un mois. Mais, c’est vrai que j’aime beaucoup ces musiques confortfood pour le cerveau.

Quand tu joues, as-tu l’impression d’être influencée par tes écoutes de tous les jours ?
Pour l’instant, c’est encore assez cloisonné, entre ce que j’aime écouter et ce que j’aime faire. C’est pas du tout la même chose. Pour le coup j’ai un bagage assez varié à force d’expérimenter à gauche et à droite, mais entre ce que j’écoute et ce que je joue, c’est encore en chantier.

Meteore © Aurore Fouchez

Toi avec le tuba, Maëlle avec l’alto, Sophie Bernado avec le basson. Il y a de plus en plus d’instruments assez éloignés du strict instrumentarium jazz, présents notamment via une nouvelle génération de musiciennes.
La question des femmes est effectivement de plus en plus présente auprès de notre génération. Après, pour la représentation du tuba, on a quand même quelques illustres sur la scène française. Michel Godard qui vient jouer souvent ici, ou François Thuillier avec qui j’ai étudié. Que ce soit classique ou jazz, l’école du tuba est quand même assez développée. Au-delà de l’instrumentarium et des proportions de genres, il y a surtout une ouverture, un décloisonnement. De plus en plus de projets sont mixtes. Ça nous permet de naviguer entre les scènes.

Je reviens un peu sur cette question de nouvelle génération. Tu es une musicienne plutôt connectée sur les réseaux sociaux. Quel est ton rapport à ces outils ?
C’est vrai et j’ai grandi avec. À un moment, il y a eu un switch. Je m’y suis moins intéressée pour le « fun », que comme plateforme de communication. J’ai pas encore de site internet, ni de newsletter, donc je fais des stories sur instagram, et des posts, autant que je peux. Pas vraiment comme support d’actualité, plutôt comme portfolio. Si quelqu’un cherche ce que je fais, il y a un peu un catalogue de mes dernières expériences et je trouve ça assez vivant, assez parlant. on peut aussi mettre des photos un peu marrante.

Est ce que tu y vois une plus-value ?
Ça me parle plus qu’un site internet un peu édulcoré, un peu lisse. Pour moi c’est un peu plus fun, à faire et à entretenir. Certaines personnes — dont la génération importe peu d’ailleurs — ne sont pas du tout réceptives, et se disent que c’est de la pub, que c’est trop superficiel. Ensuite, on aime ou non le style que j’utilise. Ça me permet une plus grande liberté, d’exprimer davantage l’atmosphère, l’état d’esprit de ma musique. J’essaie d’être le plus possible moi-même. Après, je ne sais pas si c’est une question de génération ou de média, mais c’est un choix à faire. Soit on est complètement soi-même, quitte à plaire ou non, soit on essaie de faire un truc plus « professionnel ». Moi j’essaie de naviguer entre le fun et le professionnel, de trouver une forme de consensus, entre mon métier et les médias.

Tu donnes des cours, et certains de tes concerts sont à visée pédagogique, tout un pan de ton travail se tourne vers la question de la transmission.
C’est super important de donner des cours. Déjà j’adore ça, j’ai commencé assez tôt, et c’est peut-être aussi assez courant en musique classique. C’est là que j’apprends le plus sur moi-même et sur mon instrument, parce que l’on doit trouver comment expliquer les concepts ou voir la musique. Par exemple, pour D’Jazz Nevers, on a mené des ateliers avec Paul Jarret. On a créé une composition collective, en sound painting. C’était pas moi qui dirigeait, mais les élèves. J’avais un peu peur parce que le groupe était composé d’enfants et d’adultes, de niveau variable, mais on a réussi à faire quelque chose ensemble qui leur corresponde, où chacun et chacune puisse insérer ses idées.

photo © Maëlle Desbrosses (fb)

Tu voyages beaucoup, c’est une part de ton métier. Est-ce que tu aimes cela ?
Je suis même devenue accro à cela. J’ai grandi en région parisienne, fait toutes mes études à Paris, et j’ai loupé la case Erasmus à cause du Covid. Je suis très attachée à cette ville et tout ce qui s’y passe, mais forcément, au bout d’un moment, j’ai eu besoin de voir autre chose. J’ai commencé à aller en Suisse pour la musique contemporaine, en Allemagne avec des spectacles de danse que j’accompagnais. Avec l’ONJ, on a pas mal tourné en France. C’était des expériences géniales. On a pas toujours le temps de voir les villes et de rencontrer les gens, mais ça fait du bien de sentir d’autres énergies, d’autres atmosphères.

Est ce que tu arrives à te sentir chez toi ailleurs que chez toi ?
Je me sens évidemment chez moi à Paris, mais je suis de plus en plus attachée à l’Allemagne et à la Suisse. Par exemple, à chaque fois que je me retrouve dans un train suisse, j’adore ça. On prend des petits repères, des choses bénéfiques à gauche à droite. Quand on retourne plusieurs fois au même endroit, même si c’est pas chez soi, on se sent plus à l’aise. Je suis très contente et chanceuse. Par exemple, j’ai la chance de pouvoir rester assez longtemps à Strasbourg comme je joue deux fois à Jazzdor. Aujourd’hui je peux profiter de la ville, aller voir d’autres concerts. Quand on bouge beaucoup, c’est ce qui me manque le plus.

Ton tout premier contact avec l’improvisation, très présente dans ton métier ?
C’est quelque chose qui découle du contemporain. J’ai toujours eu plus de facilité à m’exprimer via ces partitions que via les concerto classiques, ce que mes profs ont encouragé, heureusement. Cette recherche de timbres précis, de techniques étendues, ça m’a menée vers l’impro libre que j’ai beaucoup travaillée avec Timothée Quost. Il a été un mentor pour moi parce qu’il a une superbe méthodologie. Il travaille l’improvisation comme pratique, texture. Pour moi, c’était juste de la musique contemporaine pas écrite, et ça ouvrait, encore davantage le champ d’expression. Et puisqu’on avait pas le support de la partition, on avait encore plus d’écoute commune, de lien humain.

Est ce que tu as un souvenir de la première fois où tu as improvisé, ou une sensation ?
Ça s’est fait petit à petit je pense. Mais, ma mère dirait que je fais le clown sur scène. Donc finalement, même si joue une partition écrite, je mets tellement de moi-même à l’intérieur, ou bien la manière dont je dis bonjour en arrivant, que pour moi c’est un espèce de package global, où je me permets de faire des blagues, d’instaurer un personnage. C’est une sorte d’impro.

Meteore © Aurore Fouchez
Meteore © Aurore Fouchez

Tes visuels sont particulièrement liés à un langage, une esthétique pop. Là encore, ce n’est pas forcément habituel pour le répertoire jazz, classique ou contemporain.
Je suis vraiment contente que tu me poses cette question, parce que c’est quelque chose que j’essaie de mettre en place depuis quelques mois. Je suis très attachée à ça, peut-être parce que j’ai cette culture du spectacle total. Pour le théâtre, le ballet, la comédie musicale, voire même le rap US, il y a un truc hyper important d’identité, avec des références qui ne sont pas forcément du style concerné, mais qui s’y raccroche. Pour moi, ça permet d’ouvrir des univers, de participer à ce que la musique soit reçue comme une oeuvre, un tableau complet, que ça la mette en valeur, que le public se retrouve un peu plus immergé. J’adore le son, mais dans certains contextes, il y a besoin d’amener un peu plus. J’aime beaucoup mettre de la couleur, apporter de la joie, du contact, que les choses soient chaleureuses.

Ça se voit aussi dans les tenues de scène de Météore.
Oui ! On travaille de la même façon avec Andrea Giordano, pour un autre duo, plus noise. Elle est italienne et vit à Oslo, elle joue du piano et de l’électronique. Là, on a carrément une scénographie, du maquillage. On a sorti un EP cet été, et avant cela, pendant une résidence pendant trois semaines, on a pas mal parlé et testé cette question de visuel, d’images.

Pour Météore, comment êtes-vous arrivées à ces photos de groupe ?
On voulait quelque chose qui nous représente au mieux. On est arrivées à un endroit mixte, pas vraiment jazz, pas vraiment free. On voulait un visuel qui puisse parler au plus grand nombre sans être dénué de personnalité.

Vous avez sollicité, pour l’écriture des morceaux, des compositeurs.
Pour nous, c’était assez évidemment de mettre à la fois la musique d‘autres gens en valeur, et de se donner des pistes communes de travail et d’impro. On a donc fait appel à ces artistes. Déjà, super sympas de s’intéresser à cette instrumentation bizarre, mais ce sont des musicienne et des musiciens qu’on admire et qui ont aussi des projets un peu originaux. Sarah Murcia, par exemple, a un quartet avec François Thuillier donc, évidemment, elle sait écrire pour le tuba.

Est ce que vous leur avez indiqué d’autres contraintes que votre instrumentarium ?
On a demandé à Sarah Murcia et à Elodie Pasquier, une écriture pour la voix. Ensuite, comme on aime la musique de tous ces gens, on leur faisait totalement confiance. Aujourd’hui, on travaille une version encore plus contemporaine, avec une commande d’une jeune compositrice, Suiha Yoshida, qu’on va créer à Radio France, en décembre, pour l’émission d’Anne Montaron.

Comment arrivez-vous à lier l’écriture des compositeurs et vos propres personnalités musicales ?
Dominique Pifarély a écrit avec des endroits précis pour l’impro. On a complètement éclaté la pièce de Bruno Ducret, en en gardant l’essence. Ça dépend des pièces, mais aussi des contextes. Pour Jazzdor, on jouait au planétarium et on a fait un concert sans pause. On a enlevé pas mal de paroles, parce qu’on voulait quelque chose de plus éthéré.


propos recueillis par Selma Namata, Strasbourg novembre 2024
photos © Aurore Foucher, Teona Goreci / Jazzdor

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