le matrimoine
de PointBreak :
fanny lasfargues

Nouveau shot du Matrimoine de PointBreak, garni par les musiciennes qu’on adore. Rencontrée au festival Météo à Mulhouse, Fanny Lasfargues versait quelques éléments personnels au dossier Repères et Pierres angulaires.

par | 20 Juin 2024 | articles, Journée du Matrimoine

kurt cobain
& nirvana

C’est connecté à mon adolescence et à toutes sortes de vagues émotionnelles très intenses de cette époque. Mal de vivre, hypersensibilité et cœur à vif, nostalgie, rébellion et jubilation des énergies libérées. Dans le trio QonichoD! avec mes amies Blanche Lafuente, aux drums, et Morgane Carnet, au sax, on a monté un set hommage qu’on a (très finement) appelé Nirvanana. On fait ça à notre sauce, et il y a beaucoup d’impro, mais quand même, je pense que ce serait très difficile voire impossible pour moi de jouer, sur scène, une musique incluant des reprises et de me sentir intègre si ce n’était pas du Nirvana(Na!).

Ludwig
van Beethoven

Première raison : sa 6e symphonie, la Pastorale, est restée dans mon top 5, de mes 8 à 12 ans. Deuxième raison : à 27 ans, il est déjà sourd, il a composé toute son œuvre malgré ce handicap. Je suis moi-même atteinte de surdité unilatérale depuis la petite enfance, je n’entends que d’une oreille. Ça m’a toujours rassurée de me dire que, même si je venais un jour à perdre totalement l’audition, ça ne signifierait pas pour autant la fin de la musique. Troisième raison : il fallait que je parle de la musique classique, élément essentiel à la découverte de ma sensibilité musicale. J’ai eu la chance de pratiquer en orchestre symphonique avec d’autres enfants, de mes 11 à mes 16 ans. Jouer une note à l’unisson avec les autres contrebassistes du pupitre, avoir la sensation de soutenir toute la verticalité de l’orchestre, ça m’a donné goût au geste de précision dans la connexion collective au service d’une œuvre musicale. Sensation mystique qui m’a laissé un souvenir très vif.

Lauryn Hill

Quand The Score des Fugees sort en 1996, j’ai 14 ans. J’écoute déjà les quelques stars du rap français à l’époque, j’aime les punchlines, le rythme des mots et leurs discours revendicatifs et dénonciateurs. Mais c’est avec ce son que je prends ma claque et tombe dans le black hip-hop from USA. Le groove, les samples, tout me fait vibrer. Lauryn Hill, sa voix grave, son flow, elle assure DE OUF. à l’époque, dans la musique, il y avait très peu d’artistes femmes médiatisées auxquelles je pouvais m’identifier. La plupart des chanteuses à la mode étaient des poupées à l’air fragile et superficiel qui chantaient des textes niaiseux. Au milieu de tout cela, Lauryn avait, à mes yeux, des allures de grande prêtresse, authentique, badass et sensible à la fois. C’était l’incarnation de la puissance du féminin. Aujourd’hui je retrouve cette énergie chez des artistes comme Sampa the Great et Little Simz que j’écoute régulièrement.

Thelonious ‘Sphere’ Monk

Jouer du jazz à été mon premier pied en improvisation. Dans l’univers du jazz, Monk a sa propre planète : singulière, unique et merveilleuse. Il a d’abord été formé à la musique classique et maîtrisait un jeu instrumental très technique. Mais poussé par cette envie de trouver autre chose, il a exploré son instrument autrement et développé ce jeu non-académique si personnel. En plus d’avoir été profondément touchée par sa musique, je me sens très proche de son parcours : trouver son propre langage au milieu des codes.

Tomoko Sauvage

Les sons qu’elle fait sortir de ses waterbowls sont merveilleux. Mais au-delà de ça, son travail me touche parce qu’il a un lien direct avec la Nature. Je me souviens de l’intensité de mon émotion en déambulant dans cette salle où étaient suspendus des blocs de glaces aux formes et tailles variées, leur fonte libérait des gouttes qui tombaient dans les bols dans lesquels étaient placés les hydrophones. Visuellement déjà, quelle beauté que cette installation ! J’ai été extrêmement sensible à cette trame électro-aquatique qui tient un équilibre délicat entre contrôle et aléa, ordre et désordre, éphémère et répétition… Le propre de la vie.

Bintou Dembele

La présence au corps, le geste-mouvement et la danse sont essentiels à mon équilibre, à une libre circulation des énergies et étroitement lié à ma créativité. « Je suis Bintou Dembélé, mi-homme mi-femme, ni homme ni femme », c’était l’entrée en matière d’un temps d’échange qui suivait une de ses performances à laquelle j’avais assisté au Mucem, à Marseille. Effectivement, son corps en mouvement n’avait rien de féminin, ni de masculin. Ou alors, il était tout à la fois. C’était très puissant, très beau et ça sublimait la force de la narration. Ses parents sont d’origine sénégalaise, Bintou est née, comme moi, en banlieue sud-parisienne. Elle vient de la danse hip-hop, de la rue, d’ailleurs elle nomme sa compagnie « Rualité ». J’ai grandi dans une cité sur un territoire multiracial, ce vivre ensemble a valeur de normalité pour moi. Aujourd’hui encore, quand je suis dans un espace public en France, majoritairement voire exclusivement blanc, je le vis comme très malaisant. Bintou Dembélé décolonise la danse, elle parle de gestes marrons : « Des esquives, une manière d’esquiver l’oppression, des manières de groover, groover malgré tout, prendre l’espace malgré tout, continuer à être debout, continuer à groover à danser, continuer à être en mouvement, en déplacement malgré tout. »

Casey & Kae Tempest

Je triche un peu en faisant un binôme d’artiste. Mais il fallait que je parle de la suite de mon cheminement avec le groove, les mots, le féminin qui devient ici un questionnement sur les normes du genre, la poésie, et l’acte de création comme acte de résistance (#GillesDeleuze). ça fait sans doute beaucoup à la fois, mais tous ces éléments résonnent très profondément et intimement en moi. Ils sont étroitements liés dans l’œuvre de ces deux artistes dont je suis de très près le travail. Après des années à ne jouer uniquement que de la musique instrumentale, je suis aujourd’hui dans des projets qui redonnent une place au mots, parfois sous forme de chansons, parfois dans des formes plus expérimentales et improvisées. J’aime explorer ces possibilités où sens-langage et sensation-son peuvent œuvrer ensemble pour porter une émotion, une narration. Ça suit son chemin, et pour tout dire, je rêve d’une collab’ avec les deux, enfin pas en même temps, encore que, pourquoi pas.

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