« Ça sonne comme des boucles de CocoRosie, comme les sons d’une Moor Mother assagie, comme les paysages de la New Wave. Un petit feu de camp qui grandit, nourri par les combustibles des trois musicien·nes. »

à propos de Meije, mercredi 12 novembre

pink
DJazz Nevers 2025


textes de Lucas Le Texier & guillaume malvoisin
photos © Maxim François

d’jazz nevers : infos +

hélène labarrière / sylvain kassap

De la Cure d’inefficacité d’entame de set à la dernière note, il n’y aura eu qu’un pas acoustique. Une façon de certitude. Complicité vaut mieux que longévité. Non pas que l’amitié qui fonde le duo réunissant Hélène Labarrière et Sylvain Kassap ne soit pas ancienne et durable. Mais que ce pas acoustique fait ensemble a, comme dirait ma grand-mère, les deux pieds dans le même sabot. Du boisé, donc. Contrebasse et clarinette. Du commun, de l’établi de précision, de la mémoire rejouée in extenso. En soi, c’est fort et fort inépuisable. Chacun·e des deux bretteurs engagé·es dans ce dialogue à les outils du renouvellement à sa disposition. Vigilance et patience pour la contrebassiste, goût des quantités comme des qualités pour son second. Il serait sans doute un peu bêta d’expliquer que l’absence de batterie serait une chance, ici. Ce qui frappe, c’est que l’espace n’a besoin de rien d’autre de le sons des deux bois. Au p’tit bois p’tit bois charmant, chantonnait mon autre grand-mère. Charmant, indeed. Mais avant tout porteur d’une histoire qui impose modestie. Revenons à l’inefficacité du premier titre joué par le duo. Le grand acteur japonais Yoshi Oida racontait comment Peter Brook lui répétait inlassablement qu’il fallait savoir entrer en scène en oubliant toute tentation d’être efficace. Pour rester ouvert au surgissement et à l’étincelle. C’est ainsi que procède le duo Labarriere/Kassap. Le dernier dans ses broderies assurées, la seconde dans un mouvement sonore fascinant. Lyrique, massif rock subrepticement, exploratoire toujours. Duo complice au point que laisser surgir la musique surgir, et possiblement advenir.


guillaume malvoisin

régional days :
ymir / meije

Futur anticipé. Le quartet Ymir anticipe, ce bal d’après, celui sur lequel nous tournoierons au gré des sons bruitistes et bricolés. Un petit cirque sonore, ambiance Chi Congo d’Art Ensemble Of Chicago, avec un bestiaire constitué d’instruments transfuges de rôle. Violoncelle percussif, batterie pourvoyeuse de mélodies, flûte et trombone drones. Interplay par enclenchements rythmiques successifs, quatre autonomies qui nourrissent ce collectif grouillant. Il y a dans cette pêche aux sons une euphorie du minimal, le plaisir de faire naître et de faire grossir cette brousse texturale dans des croisements de lignes qui se chevauchent et se complètent. Au fil du set, le bal se transforme en Freak Show, où le quartet décortique cette ossature fragile et constante, accentuant les silences, brisant le groove en un paroxysme des échanges. Plus qu’à s’essayer aux pas de cette danse à venir.

Meije fait un pas de côté. Face à l’urgence et à l’accélération des rythmes, le trio parigot-tourangeau Ciechelski-Duchosal-François fait un contrefeu. La batterie de Benjamin François est économe en moyens, façon beat de hip-hop, frappant à la même cadence que le supplice de la goutte d’eau. Un coup, un after-beat, un seul pour marquer ces textures lentes qui s’immiscent autour du groupe. Assez pour laisser les longues trames texturales de Léa Ciechelski et de Vincent Duchosal imprégner l’ensemble. Ça sonne comme des boucles de CocoRosie, comme les sons d’une Moor Mother assagie, comme les paysages de la New Wave. Un petit feu de camp qui grandit, nourri par les combustibles des trois musicien·nes. Ce set le transforme en transe incandescente, irradiant alors tout ce tapis sonore qui ronronnait jusqu’alors. Meije brûle de l’intérieur, embarqué dans la force pyromane de Ciechelski et son brasier faits d’éclats de rythmes, de sons, de riffs. Rien ne sert de courir, il suffit de parvenir au point.


Lucas Le Texier

régis huby,
bliss

Suite contemplative, Bliss, en anglais, c’est l’extase, le réjouissement. C’est l’éclaircissement aussi. De quoi diable ce quatuor à cordes revisité est-il la lumière sacrée ? Un violon seul, descendu d’un octave y répond. Celui de Régis Huby. Un violon seul, là où chaque quatuor en convoque deux. Un seul violon et une quête intérieure unique, mise au jour par cette exploration remarquable des graves. Quitte à détimbrer pour aller les atteindre. Les graves ? Basse cello trombone alto, pour les couleurs. Tchamitchian, Petit, Blaser et Morfin pour les patronymes. Loin du peu, tout proche du centre de l’élégance classe. Et physique. Jamais démonstrative pour autant, la musique de Bliss trouve sa joie dans son exécution, sans forfanterie, empruntée à sa génération, à ses recherches, ses errances sans doute, ses réussites beaucoup. C’est beau, Bliss. Léché comme un ours gentil, souple comme un ivrogne à vélo. Pas vraiment à la place où on pourrait l’attendre. Ruptures franches, croisées des idiomes, c’est une musique qui prend le temps. Voix soliste jamais réduites à l’excellence avant d’être reprise par la meute, c’est une musique mouvante, plus qu’émouvante. Bliss, c’est beau. Pas d’une beauté tire-larme mais de sa capacité d’éclaircissement, on l’écrivait plus haut. Aidée en cela par un paradoxe qui rend l’introspection pléthorique grâce aux effets, violon, batterie, électronique. Présence imparable de Michele Rabbia. Le contrepoint créé emporte le sextet, augmenté d’une science du silence qui jouerait les septièmes comparses, vers le terrain labouré par Matmos, par le cinéma. Celui de Alfred Newman sur les westerns de John Ford mixé à celui de Jürgen Knieper pour Wim Wenders sur Les Ailes du Désir. Épique et bouillonnant, le désir par ici. Pas mal, la formule.


guillaume malvoisin

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hélène duret,
fur

Hélène Duret poursuit sa quête dans cette esthétique qu’on connait désormais, dans la résonance des timbres et les traits calmes de son solo De l’Eau, portés en échanges électro-pop dans Couple sympathique. FUR est du même acabit, ce savant mélange entre des riffs pop, l’intention de rockeur et ce soupçon d’émotion. Calme et doux, FUR est une ode au « prendre le temps ». La guitare de Benjamin Sauzereau joue sur les longues textures paysagères comme un Bill Frisell, brossées par le souffle rond et chaud d’Hélène Duret. Maxime Rouayroux se cale dans cette énergie forte mais juste, dans les panoramas de cymbales d’un Makaya McCraven. Le trio ne joue pas avec le temps, il tourne autour, façon je t’aime moi non plus, tortillant les nuances pour stimuler découvertes et trésors sur le chemin. C’est puissant, c’est contenu, comme si l’énergie de l’alternatif avait rencontré la B.O. d’un road trip. FUR donne envie de prendre la voiture et de rouler on-ne-sait-où, pourvu que ça dure.


Lucas Le Texier

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[na]

[NA] est un chamboule-tout, un croisement hybride entre l’impro free et les codes du rock qui auraient gardé le brut et la garage attitude. Biberonné par l’éthiopien Gétatchèw Mèkurya et le post-punk de The Ex, le trio souffle sur les braises de ces énergies contradictoires. Le couplet-refrain du rock devient une force nourricière et anarchique, où les claquements de bec de Rémi Psaume et les coups de Selma Namata Doyen, en pause momentanée des colonnes de ce magazine, sont autant de prétexte à réaligner les puissances en jeu. Rituels et saturation. La guitare de Raphaël Szöllösy est une évocation de cris et de foudre, transformant la puissance de [Na] en une charge de taureau. La musique de [NA] est un joyeux bordel apprivoisé, décapant le jazz à la force des transes du rock, avec une science des déséquilibres de pompiers-pyromanes, prêts à remettre de l’huile sur le feu.


Lucas Le Texier

gautier garrigue,
la traversée

Voyage, voyage. Après les épopées pour The Mood for Love, revoilà l’équipage au quasi-complet de Flash Pig qui nous emmène ailleurs. Aide précieuse ici avec le guitariste italien Federico Casagrande dans cette science des couleurs riches. Casagrande est de ceux qui pourraient être les hobo américains d’aujourd’hui, ceux qui ont remplacé par les carnets par les guitares pour griffonner les étendues sauvages. Americana ? Plutôt Europeana, dans ces loop et slide électroniques, plus méditerranéens que mid-west. Les quatre marins se mettent donc au diapason, alternant entre les lentes textures profondes et les petites mélodies nostalgiques. La musique de Gautier Garrigue s’étend dans l’espace, jouant sur le sustain des différents timbres pour créer cette plénitude du départ. Pas de brusquement ici, mais un départ en mer calme vers l’horizon et l’infini. Et chacun pourra y voir le sien.


Lucas Le Texier

kris davis trio

Figure de l’avant-garde new-yorkaise, Kris Davis, ici dans le même trio vu à Strasbourg, a quelque chose de mystique. Pied-de-nez pour une leadeuse : la canadienne est derrière, textures à la Cecil Taylor, discrète mais au jeu vif et sanguin. Elle joue avec la synchronicité des mains, s’arc-boute sur les médiums. La drum de Jonathan Blake, basse et puissante. Il ne joue pas de la batterie, non. Il l’empoigne. C’est un artilleur du groove, qui allume le champ de tir à coup d’éclats de cymbales et de rimshots de caisse claire. Rien ne semble pouvoir arrêter ces deux titans, qui allument leurs incendies, s’alimentent l’un et l’autre pour éclater et crépiter ensemble. Et puis, il y a Robert Hurst. Pilier des grandes heures des Marsalis, médiateur de ce trio, ancrage au sol, entre le blues et le free. Ce genre de bassiste qui ne met pas le moindre doute, sur lequel tout repose. Jeu rond, profond, avec des grandes lignes de basse, véritable pont entre les deux grandes forces aux extrémités. La musique de Davis navigue dans ces eaux-là, dans l’urgence et la liberté. Jouissif pour eux, jouissif pour nous.


Lucas Le Texier

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