Dave Rempis, equality wanted

5 x Dave. 5 dates en conjonction quasi-inédite pour une tournée du Percussions Quartet de Dave Rempis. 5 occasions de voir le Chicagoan à l’œuvre dans une musique posée sur ses bases habituelles : puissante et fièrement fraternelle. Rencontre avec la tête froide d’un souffleur à chaud.

par | 8 Mar 2023 | interviews

Extrait de Never Stop

Station To Station © DR

Ton premier souvenir de jazz ?
Wooh.. (un temps)… C’est marrant parce qu’une des raisons de mon lien au saxophone, vient d’un personnage des Muppets. Je regardais ça, enfant, et ils avaient un groupe pour le show. Je ne sais pas pourquoi mais j’adorais Zoot, le saxophoniste. Mais mon tout premier de jazz, date d’après avoir commencé à étudier le saxophone à 8 ans. Ma mère m’a emmené voir Sonny Rollins en concert, j’avais dix ans, ce devait être vers 1985, dans un jardin pas loin de chez nous, avec plein de statues. Ça ne représentait pas tant pour moi, à l’époque (il rit)… Voir Sonny Rollins en concert ! Je n’avais aucune idée de ce qu’il faisait alors, je ne comprenais rien à ce qu’il jouait mais c’est venu plus tard, quand je me suis engagé en musique.

Le saxophone a été ton premier instrument ?
Oui. J’avais sans doute joué de deux ou trois trucs en plastique à l’école avant cela, mais sinon, oui, c’était mon tout premier choix d’instrument. Mon frère aîné jouait de la clarinette, à cause d’un ami très proche de la famille. Mon père est grec et lui et ses amis jouaient de la clarinette dans des mariages, des fêtes, dans les environs de Boston, où j’ai grandit. Ça a été ma toute première expérience de la musique live.

Un souvenir des sensations de ta toute première improvisation ?
Je crois que quand j’avais 12 ans, je jouais déjà dans le jazz band de l’école, et il n’y avait pas tant d’improvisation, tout était plutôt assez écrit. Quelques années plus tard, un nouveau directeur est arrivé avec l’envie de nous laisser faire. On jouait un blues, sans doute un blues d’Oliver Nelson, en Si bémol. C’était plutôt chouette, d’avoir cette classe d’âge avec de bons musiciens, pour éviter les trucs un peu pénibles de cette époque. Pour garder un peu d’intérêt, on s’amusait à se challenger en improvisant, sur tout et n’importe quoi.

Quelle impression se dégageait de cela ? La peur de se planter ou la joie de pouvoir enfin jouer ce que tu voulais ?
Au début, forcément, la peur. De ne pas savoir quoi dire. J’écoutais déjà un peu de jazz mais pas assez pour avoir compris ce qui y était dit, le vocabulaire, l’esprit soul, comment construire une phrase avec les gammes, les arpèges et ce genre de trucs… Plus tard, au lycée, j’allais jouer au foyer communautaire, dans un quartet jazz où on jouait des standards comme All The Things You Are. On s’amusait à défier le leader avec des morceaux complexes comme ceux de Sonny Rollins avec tous ces renversements. On se défiait nous-mêmes aussi avec ces trucs-là, à tenter de comprendre ces changements d’accords, où je suis toujours mauvais d’ailleurs (il rit)… Je crois que tout ce que je fais aujourd’hui est d’abord ancré dans cette période pour moi.

Comment définirais-tu ton son à quelqu’un qui ne t’aurais jamais entendu ?
Pour moi, ça change souvent. Si tu parles du son de ma musique, cela dépend de l’alto et du baryton, les deux sax que je joue. Mais je dirais que mes musiciens préférés sont ceux qui ont ce son plein, de Sonny Rollins et Ornette Coleman à Peter Brötzmann. Je n’essaie pas de sonner comme eux, mais trouver ce son énorme m’a toujours motivé. Comment repousser les limites de cette chose où je souffle ? Il y a la puissance, oui, mais aussi l’énergie que tu mets en jeu dans la musique pour voir jusqu’où tu peux aller en tant qu’humain, jusqu’où cette énergie peut te porter, hors de tout contrôle. Là, c’est presque une expérience spirituelle.

Tu continues à repousser ces limites ?
En vieillissant, j’apprends à mieux utiliser mon énergie, de façon plus efficace. Quand j’étais môme, j’adorais jouer des ballades ou le genre de choses virtuoses, en vieillissant, la technique a perdu de son intérêt pour moi. Je suis plus enclin à partager quelque chose qui ne soit plus seulement dépendant de la technique, de la rapidité. Gamin, j’avais du temps pour m’exercer intensément et beaucoup, 6 heures par jour pour améliorer ma vélocité par exemple. Mais tu vois, quand je regarde Fred Anderson ou Peter Brötzmann, je trouve merveilleux comme ils ont changé en vieillissant. Ce qu’ils jouent est réduit à l’essentiel, et d’un sens approfondi, une fois dépouillé des effets pyrotechniques. Les solos récents de Brötzmann, fondés sur le seul souci du son, sont d’une sincérité extrêmement touchante.

Jacqueline Caux

« Que chacun soit engagé à part égale sur scène, pour créer. Je refuse de travailler en tant que leader parce qu’au niveau politique, cela me pose un réel problème. »

Tu as parlé de ton alto et de ton baryton. Aucune réelle préférence pour l’un des deux ?
Ça, c’est une excellente question. Et amusante… Je prends mon alto pour chaque concert, parce que c’est mon camp de base je dirais. Mais les deux sonnent très différemment, ont des rôles très séparés dans un groupe. En jaunt du baryton, je me surprends à ressentir et réfléchir de façon très différente, c’est autre base dans mes relations aux autres. Chacun m’aide à ouvrir mon esprit et ma musique, chacun à sa façon. Donc, si tu me mets devant un choix d’île déserte, j’irais avec mon alto. Aussi parce que c’est le plus petit et le plus léger (il rit)

A-t-on raison de croire que le baryton, en revanche est moins léger ?
Non. Bien sûr, il est très basique, terrien mais il a aussi un aspect sensitif très développé. On peut le jouer de façon très délicate, très calme, avec des notes graves très chaleureuses. Écoute Serge Chaloff par exemple, son jeu fait du baryton un des plus léger et tendre instrument qui existe. L’instant d’après il peut rugir comme un lion, c’est d’une souplesse incroyable.

Tu vis à Chicago. Qu’est-ce que cette ville a de particulier pour toi ?
Ce qui la rends singulière et unique, c’est cette entraide entre artistes de plusieurs scènes et répertoires différents. C’est une ville encore abordable financièrement pour les artistes. Donc tous les champs de la musique peuvent se nourrir mutuellement : jazz, impro, expo, rock, noise contemporain. Tiens, hier, je suis allé entendre Bill Orcutt et Chris Corsano, il y avait des gens issus des scène rock, jazz et noise. C’est magnifique comment on communique ici, ce n’est pas toujours le cas ailleurs comme à New York, par exemple.

C’est aussi une ville importante pour la part politique de la musique.
C’est impossible de s’engager dans cette musique sans se préoccuper de cela, je pense. Elle a été créée par le peuple africain-américain vivant aux States dans des conditions effroyables, qui sous bien des aspects perdurent. Mais ce n’est pas juste une part d’histoire, mais une part de la musique elle-même. L’improvisation offre des modèles uniques pour vivre et travailler ensemble, en tant que groupe. C’est vraiment ce que j’adore dans cette musique, que chacun soit engagé à part égale sur scène, pour créer. Je refuse de travailler en tant que leader, de dire à chacun ce qu’il doit faire, parce qu’au niveau politique, cela me pose un réel problème.

Pour ce Percussions Quartet, il y a 2 batteries seulement.
(Il rit)… Oh cela nous a posé plein de problème avec le public venu voir un orchestre de percussions ! «  Oh nan mais pourquoi ce saxophone ?! »… Ce nom vient plus de la façon dont j’avais envie que les musiciens interagissent. Cela a à voir encore une fois avec cette idée d’équité. Le sax n’est pas leader, on est plus à écouter comme un ensemble, moins comme un groupe de jazz avec des solos etc. Ce qui était derrière la création de ce groupe tenait plus aux percussions d’Afrique de l’Ouest.

Tu as étudié au Ghana, non ?
Oui. Trouver une façon de jouer ensemble vient des groupes de percussions entendus là-bas, où chacun est une part nécessaire d’une ensemble plus large, qui le dépasse. C’est ce qui nous a fait quitter les structures classiques du jazz. On est dans une forme de longue méditation, si je puis dire cela ainsi, une progression très lente qui se développe sans cesse.

Quelle place accordes-tu à la basse dans ce quartet ?
Deux raisons. Elle peut libérer les deux batteurs, à un moment donné, car elle peut devenir la low voice d’une bass drum. Elle peut aussi prendre le relais mélodique du sax qui peut devenir fatiguant au bout d’un moment. Vraiment, je pense qu’Ingebrigt est un des plus puissants bassistes au monde. Il a une énergie et un drive incroyable mais aussi un talent de mélodie magnifique.

C’est presque un paradoxe, figure dont tu sembles plutôt familier.
Oui, ce groupe existe à cet endroit. À la croisée de genres et d’influences. Il se transforme en un mur du son violent puis juste après se fond facilement dans le groove le plus pur. C’est peut-être ça le paradoxe dont tu parles.


propos recueillis par Guillaume Malvoisin, février 2023

La tournée du Percussions Quartet :
Mardi 14 mars – Petit faucheux – Tours
Mercredi 15 mars – Le Confort Moderne – Poitiers (par Jazz à Poitiers)
Vendredi 17 mars – Mac Orlan – Brest (par Plages Magnétiques)
Samedi 18 mars – Pannonica – Nantes
Dimanche 19 mars – Le Périscope – Lyon

D’autres interviews pourraient
également vous intéresser.
C’est par ici.

Share This