Cowboy Bebop, cosmic blues

Jazzdataz. Animés, pixels, OST et claques syncopées. Ici, on cause de space opera et de jazz recomposé. Sixième épisode, Cowboy Bebop, 1998. Mythique.

par | 14 Mar 2022

Cowboy Bebop

Tank! (opening title)

par The Seatbelts | Cowboy Bebop OST (1998)

Space Lion

par The Seatbelts | Cowboy Bebop OST (1998)

logo titre Cowboy Bebop
Samurai Champloo

Space jazz reverie. Sun Ra, magicien des magiciens jazz, avait prédit l’irruption de Cowboy Bebop. Juré. « When the person Myth meets the person Reality, the spirit of the impossible-strange appears in dark disguise. » Le mythe-réalité qui apparait sur les TVs en 1998 est vêtu, lui, d’un costard croisé couleur blues. Épaulettes au carré, clope au bec et regard matois complètent la silhouette en triangle. Du fond du cosmos, Spike Siegel déboule dans le game du polar et le ‘dark in disguise’ de Sun Ra le menace. Lui et son combo de chasseurs de primes loosés, toujours à contretemps de la fortune, sans cesse rattrapés par des fêlures intimes à faire pleurer un Manneken-pis.
Cowboy Bebop dégaine donc, en 98, ses 26 épisodes pour le studio Sunrise. Son géniteur est Shin’ichirō Watanabe, futur réal’, 6 ans plus tard, d’une autre masterpiece, Samurai Champloo. Ici aussi, les héros sont errants, balancés tout entiers dans une quête aussi personnelle que nébuleuse : faire de l’argent en chopant des bad guys n’est qu’un prétexte de subsistance pour les badass. Mais la voie des samouraïs du Bebop, leur vaisseau spatial, mènent ailleurs. Nous sommes en 2071. Le monde est ultra capitaliste, dispersé dans un système solaire mélancolique, en plein déni de réalité. Dans ce monde, s’ébroue Spike Spiegel accompagné de Jet Black, meccano aux gros bras et au grand coeur, et de Faye Valentine, gitane interstellaire joueuse et amnésique. Complètent l’ekip, Ed et Ein respectivement môme-genius hyperactive et chien corgi supra-intelligent.

Cowboy Bebop

Cowboy Bluesbop Sunrise

Recréation de la bande son à la sortie de la version film live de Cowboy Bebop © Netflix

Yoko Kanno

Yoko Kanno au pays du Cowboy levant © DR

Intelligent, ce space-polar-opera l’est gravement. Complexe et malin, aucun pied tendre ne disputerait à Cowboy Bebop son statut de quintessence du cool métaphysique. Shin’ichirō Watanabe a digéré le blues, la SF, les katanas, le western, Hiroshima et les légendes du jazz et les codes fictionnels américains. Tout est assemblé avec une précision réaliste pour faire vibrer un mythe structuré autour de clichés. Cowboys, chasseurs de primes, bandits en imper, vamps badass et vénéneuse, musiciens solitaires et grands espaces. On explore, on étudie, on réassemble. Chaque titre d’épisodes renvoie plus ou moins à un standard, ou évoque même Sun Ra avec Jupiter Jazz (épisodes 12 et 13). Bebop est le nom d’un vaisseau, l’harmonica accompagne les drogues 2.0 les plus violentes, les étoiles s’activent sous les assauts d’un jazz funk parfaitement télévisuel. Car, évidemment, l’OST de l’anime n’est pas une anecdote. Complexe, matoise, elle aussi.
C’est Yoko Kanno, pianiste et compositrice, qui décroche les ceintures de ses Seatbelts pour habiller l’intrigue. Intrigue, le mot est parfait. Tout y ramène. Intrigue des épisodes, intriguant caractère du moindre élément de l’anime. La série joue avec les genres et les paradoxes. Cela s’affiche dans le logo-titre qui convoque icône US fifties revue par le jap-space d’un jeu comme Wipeout sorti 4 ans plus tôt sur la prems des Playstation®. Les 23 musiciens réunis par Kanno adoptent la même règle du jeu. Faire ‘comme si’ sans ‘faire pareil’. Dès le générique, Tank! explose dans ses cuivres 70’s conga-compatibles cousins du Lalo Shifrin de Mannix. Le jazz annoncé par le Bebop du titre, n’est pas straight. Bad Dog No Biscuit va chercher un autre voleur, le Tom Waits de Rain Dogs. avant de finir en J-Ska brûlant. Cat Blues invite le trompettiste Steve Bernstein, seul ricain des sessions hormis, crème de la crème, Rudy Van Gelder, producteur mythique des sessions Blue Note. Il enregistre ici notamment Cosmos qui gobe de son pavillon bouché la grille de The Thrill is Gone. Ailleurs, The Egg and I convoque les fifres martiaux du jazz primitif et Space Lion met dans sa crinière des airs de Every Time You Say Goodbye. Il en est souvent question de goodbye dans Cowboy Bebop. La mélancolie de ‘l’impossible-strange’ qui enserre chaque personnage et chaque intrigue se répand dans des blues résilients et prenants. Tout juste balayés du dos de la main sur l’épaule par le cool personnifié dans l’écrin génial d’une rêverie cosmique. Play It Again Sam.


Guillaume Malvoisin

screens © Sunrise, 1998

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