Alberta Hunter, comeback queen

Tinashe

Alberta Hunter, Memphis, 1977 © Mike Maple

Dans l’héritage du jazz, il y a deux types de types. Et c’est sans doute plus vrai quand ces types sont des femmes. Parmi elles, il y a celles qui s’échinent, réinventent les contraintes qu’on leur imposent. Il y a celles qui se révèlent comme des fers de lance, par exemple icône queer avant l’heure. Il y a aussi qui savent disparaître pour revenir. Inlassablement, avec une forme de joie inexpugnable, chevillée au plexus. C’est peut-être un des plus grands retours de l’histoire de la pop music américaine, joué par Alberta Hunter, femme de chambre, infirmière, actrice de cinéma, animatrice de bordel, animatrice du réconfort des troupes armées, mais surtout blueswoman africaine-américaine.

Alberta Hunter naît en avril 1895 à Memphis, Tennessee, ville de musique, futur berceau d’Aretha Franklin, de Charles Loyd ou encore d’une jeune blanc bec gominé qui révolutionnera le rock’n’roll. À la fin du 19ème, être une femme noire et chanteuse n’est pas simple. On vous cantonne dans les bordels, vous jouez le blues, vous faites la poussière. Alberta ne cède pas, elle part à Chicago où elle pousse les clients des maisons de passe à monter aux étages, là où on lui a imposé une scène. C’est Chicago et c’est le début des années 1910. Son crédo ? Une voix puissante et le répertoire des chansons populaires. Le succès est au rendez-vous : le label Black Swan l’enregistre au début des années 1920 ; elle se produit avec Louis Armstrong, le chef d’orchestre Fletcher Henderson et le pianiste de ragtime Eubie Blake. Elle enregistre avec l’Original Memphis Five, groupe de jazzmen blancs, phénomène rarissime à une époque où le cross-over est quasi inexistant. Alberta Hunter compose, également.  Son Down South Blues est repris par Bessie Smith. Jusque dans les années cinquante, ça roule pour Hunter. Elle tourne en Europe, joue dans des films, prend la tête du USO, service de divertissement de l’armée américaine sur le front. Tous les voyants sont au vert.

Alberta Hunter

The Darktown Strutters' Ball

par Alberta Hunter | Amtrak Blues (1978)

I Got a Mind to Ramble

par Alberta Hunter | (1962)

Alberta Hunter

Côté bio, Alberta Hunter naît donc en 1895 mais c’est la mort de sa mère, en 1957, qui va bouleverser la carrière de la chanteuse. La disparition de cette ombre, partner et inspiratrice, pousse Alberta à abandonner la scène et à emprunter une nouvelle voie qu’elle suivra pendant près de vingt ans : infirmière. Elle s’invente un diplôme, ment sur son âge et intègre le staff du Goldwater Memorial Hospital, bordé par l’East River à New York. Quand l’hôpital la pousse à prendre sa retraite en 1977, l’administration se rend compte de l’embrouille sur son âge, la croyant âgée de 70 ans. Elle en avait en réalité 82. Oups. Autre moment charnière, et Alberta Hunter renoue définitivement avec la scène et entame une troisième vie. Bon, en réalité, elle n’avait jamais réellement quitté la première. Dès les années soixante-dix, elle avait repris timidement le micro. Au début de la décennie, l’agent qui pèse, John Hammond, impressionné par la chanteuse et les critiques de presse, la fait signer au sein de la Rolls-Royce des maisons de disques, Columbia Records. En 1978, Alberta Hunter grave Amtrak Blues, un des plus grands comebacks de l’histoire de la musique. Dans Darktown Strutters Ball, vieille chanson populaire américaine, elle répète le seul couplet de la chanson. « Je serai à l’heure pour t’embarquer en taxi, chérie ; ne sois pas en retard, je veux être là quand le groupe commencera à jouer ». Pas en retard, Alberta. Le monde l’attendait. Patiemment. La sélection, strictement subjective, des 4 titres de cette page devrait suffire à vous en convaincre.


Lucas Le Texier

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