Magny, la Grande
En France, les années 70 n’avaient guère plus qu’ailleurs de limite. Pour le pire ou le meilleur. Dans cette dernière catégorie, le free jazz nourrissait la chanson française. Expérimentation, engagement et rimes riches. Colette Magny savait aussi rugir des chansons-coups de poing.
Un ‘tiens’ vaut-il vraiment mieux que deux ‘tu l’auras’ ? Après Feu et rythme en 1971, la chanteuse Colette Magny réaffirme en 1972 avec Répression les liens entre engagement politique et free jazz. Faut dire qu’elle avait déjà mis le nez dedans, et qui l’eût cru grâce à Mouloudji, en pilotant la direction artistique du « premier » disque de free jazz français : Free jazz (1965) de François Tusques.
Pour Répression, la chanteuse s’entoure de ce qui se fait de mieux dans la team ‘frenchy free’ de l’époque : les complices invétérés François Tusques, Bernard ‘Beb’ Guérin, Bernard Vitet mais aussi le contrebassiste américain Barre Phillips. Ce que Répression propose, à l’instar de l’album Comme à la radio de Brigitte Fontaine, c’est de puiser dans le free jazz ce qui pourra casser et revisiter les structures traditionnelles de la chanson. Que ce soit dans la forme en fracturant le standard ‘radio-edit’ de 3 minutes, l’alternance couplet/refrain/couplet, et dans le fond en réinventant le rapport aux paroles, à la diction et aux ambiances musicales de la chanson française.
Fête du PSU, La Courneuve (1975)
© Jean-Pierre Roche
— Repression, Colette Magny (Le Chant du Monde, 1972)
— Free Jazz, François Tusques
(Disques Mouloudji, 1965)
— Comme à la radio, Brigitte Fontaine
(disques Saravah, 1969)
« La marche éponyme reproduit dans une atmosphère faite de tumulte et de pesanteur, les bruits des pas
des soldats et des flics. »
— Repression par Colette Magny (1972)
Le Black Panther Party lors d’une manifestation.
Dans cet album, Colette Magny évoque les révoltes africaines-américaines des années 60 et 70, n’hésite pas à reprendre et à insérer des extraits des discours du Black Panther Party (BPP). Leurs expressions nourrissent également ses textes – les ‘pigs’ américains, façon d’évoquer les forces de l’ordre outre-Atlantique, deviennent, traduits en français, les ‘cochons’. L’iconographie de l’album, avec une gigantesque panthère noire, affiche sans se cacher le symboles du BPP. Le free et toutes les ambiances bruitistes fournissent un background concret aux textes de Colette Magny. La marche éponyme de l’album, Répression, reproduit dans une atmosphère faite de tumulte et de pesanteur, les bruits des pas des soldats et des flics.
Cependant, ce qui rapprocherait le plus Magny des artistes de la ‘free music’ tient dans l’utilisation de tous les effets possibles de sa voix : elle growle, grogne, gémit et hurle… Reproduisant sur son instrument ce que les artistes du free expérimentent sur le leur, elle explore toutes les possibilités offertes par son instrument (a.k.a le chant). En 1969, Brigitte Fontaine sortait son Comme à la radio en compagnie de l’Art Ensemble of Chicago. Là aussi, des textes se fondaient parfaitement dans les atmosphères bruitistes d’un groupe de free jazzmen. La production du disque était elle-aussi rugueuse bien que ficelée. L’énergie du live et de l’unité y régnait également. Mais la comparaison avec le Répression de Magny peut s’arrêter ici. Sur un mode de jeu similaire, se crée un corpus de textes engagé, frontal et radical. Pas moins radical, le disque de Fontaine choisit de poser son engagement dans l’incongru poétique et sur une certaine fausse légèreté face aux enjeux contemporains, comme en témoigne la voix frêle et chétive adoptée pour l’ensemble du disque. Aujourd’hui, pourtant, les deux pépites ont le nerf solide et les salves, imprécations et autres avertissements sonnent toujours, avec une vivacité redoutable. On nous aura prévenus. Au moins deux fois.
L’Art Ensemble Of Chicago
— Comme à la radio, Brigitte Fontaine et l’Art Ensemble Of Chicago (Paris, 1969)
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Lucas Le texier
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