Jasmine Lee © Maxim François

les interviews
de pointbreak

jasmine
lee &
marsavril

soul basse

jeudi 16 janvier 2025
en partenariat avec JazzMigration
et de l’Albi Jazz festival

par | 21 Jan 2025 | interviews, articles

Est ce que, mêler le jazz à la culture hip-hop, cest pas un peu comme le franglais, ça ne veut pas forcément dire grand chose mais ça sonne terriblement bien ?
Jouer jazz et hip hop, c’est jouer deux styles qui sont très proches, de par leurs origines communes, c’est comme parler mes deux langues natives. Parler franglais pour moi, c’est donc assez simple. C’est pas jazz ou hip hop, les deux cultures sont une évidence et font partie de moi aujourd’hui.

Tu es originaire de Bristol, en Angleterre, avec un héritage guyanien. Tu as la double nationalité franco-britannique. Comment tout cela se retrouve-t-il dans ta musique ?
La famille de ma mère est guyanienne qui est une ancienne colonie anglaise. Ma mère a quand même grandi en Angleterre. Au Guyana, il y a le soca, la musique de carnaval, mais je n’ai pas trop baignée dedans en grandissant. C’était plutôt avec les musiques pop-rock anglaises, comme les Beatles, Radiohead, The Police, U2, même si ça, c’est plus l’Irlande. J’ai grandi vraiment avec la musique anglaise quoi. Je n’ai pas du tout grandi en écoutant du jazz, ça n’était pas dans la culture de mes parents. Plus tard, j’ai découvert d’autres styles par moi-même. Ensuite, le Guyana, c’est un pays qui a vécu une grosse diaspora indienne et africaine. Les premières nations, c’est un peu ça que je suis allée chercher, comme héritage. Ce sont des musiques qui m’intéressent et m’inspirent beaucoup, la musique de l’Asie du Sud et de l’Est, et du continent africain, même si je n’ai pas l’impression de le maitriser complètement parce que c’est une musique très complexe.

Quand tu joues, elles prennent quelle forme, ces inspirations ?
Je n’y réfléchis pas trop. Ce sont des choses que j’ai plus ou moins dans l’oreille, que j’ai écoutées, que j’intègre dans les sonorités, ce sont des emprunts. Je pense que ces différents aspects sont plus présents en musique improvisée. Avec la liberté, on peut faire ce qu’on entend. Cependant, je n’écrirai jamais un thème s’inspirant de ces origines guyaniennes, ce n’est pas assez dans ma culture pour que je me sente à l’aise de le faire.

Tu es au Québec en ce moment, là où tu as en partie étudié la musique. C’était où la formation ?
J’étais d’abord en musicologie à Tours, spécialité jazz et musiques actuelles, avec une toute petite promo de 10 personnes. Pour la troisième année, il y avait un pont d’établi avec le Québec, que j’ai franchi, en interprétation jazz. Là-bas, à l’Université, tu peux aller super loin dans ce cursus, et au lieu de rendre un devoir écrit tu rends un EP ou un album. J’étais à l’Université, mais au final je ne faisais que de la musique. À part un cours de théorie de la musique, c’était harmonie, analyse, impro.

Revenons à ton enfance, c’était quoi la musique à la maison ?
J’ai vraiment énormément écouté Radiohead. Mon père lui écoutait énormément Led Zeppelin. Et ces deux styles très différents, ça m’a apporté beaucoup d’influences. Kate Bush, aussi…. Que des trucs anglais, encore une fois…

Et comme es-tu passée du rock anglophone au jazz ?
C’est un peu étrange comme parcours. Je ne baignais pas dans le jazz, et c’était un truc qui me semblait vraiment difficile et inaccessible, pas trop pour moi. Puis, ça s’est fait un peu tout seul. En musicologie, à Tours, où on en faisait un peu mais j’étais pas trop dedans, et les profs n’étaient pas hyper pédagogues. Ça ne m’avait pas trop trop marqué, mais j’avais un pied dedans. C’est vraiment au Québec que c’est venu, avec une toute autre manière d’enseigner. Hyper claire, hyper accueillant. Fallait vraiment que je travaille beaucoup pour apprendre les standards, l’impro, les gammes… Mais les gens étaient hyper accueillants et voulaient même jouer avec moi. Et j’ai commencé à me dire que c’était possible. J’ai l’impression que c’est plus populaire au Québec, l’approche du jazz, un peu moins snob, moins élitiste qu’en France. Ça peut faire un peu peur, surtout en tant que femme, parce qu’il y a peu de modèles, évidemment. En France, ça reste souvent très blanc et très masculin.

Tu remarques cela aussi dans l’ambiance des jam au Québec ? 
Je me suis sentie hyper bien accueillie au Québec, en tant qu’instrumentiste. Je me faisais inviter, j’ai pu trouver des concerts. Mais j’ai l’impression que c’est plus dur pour les chanteuses. Il y a toujours ce truc de la chanteuse qui fait chier, jamais dans la bonne tonalité, etc. Et ça c’est pas un problème de chanteuse, c’est un problème de sexisme. La question des femmes dans le jazz, c’est un vaste sujet, mais on va essayer de faire bouger les choses. Par exemple, j’ai une amie qui va monter un jam en mixité choisie.

On reviendra sur ce point plus tard, mais avant je voulais te demander comment tu en es arrivée à choisir la basse comme instrument ?
J’ai commencé, vers 7 ans, par la flûte traversière. C’était l’instrument de ma mère et de ma maîtresse d’école, et quand on est enfant, on a tendance un peu à copier. J’ai fait ça pendant quatre ans avant d’arrêter. Au Conservatoire, j’étais tombée sur un jury un peu dur, qui considérait que je n’étais pas assez dévouée à mon instrument, même si je jouais tout parfaitement. J’avais 11 ans… J’ai donc complètement arrêté la musique pendant deux ans. J’avais juste fait, lors de ma dernière année au Conservatoire, une initiation rapide à la basse électrique, et j’avais beaucoup aimé. Je voulais faire de la basse électrique, parce que dans le film School of Rock, il y a une fille bassiste ! Deux ans après avoir arrêté le conservatoire, mon frère, qui a deux de plus que moi et qui est batteur, monte un groupe de rock avec ses amis au lycée et il m’a demandé de tenir la basse.

Contrebasse, ensuite ?
Oui, bien plus tard, après être rentrée du Québec. C’était Jazz à Tours, en 2020, juste avant le COVID. C’est mon prof, Jean-Baptiste, qui me dit pour un atelier : « Tu vas pas aller chercher la contrebasse là-haut, ça sonnera mieux ! ». Et effectivement c’était mieux, pour avoir un bon swing. Donc merci à lui.

Tu es attachée aux deux instruments de la même manière ?
Quand je fais de la basse électrique, il y a les côtés un peu guitare, accords que j’adore. Et c’est très facile d’avoir des effets de pédales. Et la contrebasse, il y a le plaisir de l’acoustique. Je trouve que c’est bouleversant comme instrument. Le bois qui vibre…

 Mais c’est à la basse électrique que tu rejoins MARSAVRIL ?
Ça fait presque trois ans. J’ai d’abord rencontré Benjamin. On jouait ensemble dans le projet du DEM d’une amie à Tours. Et puis j’ai rejoint les autres. Ils jouaient déjà ensemble avant, et sont devenus de super copains.

Comment vous vous partagez le travail ?
On a commencé par les compositions de Mathieu et de Pierre. On a fait quelques compositions communes. J’ai récemment amené une compo, pas encore enregistrée ! En tout cas, c’est flexible. Je
considère comme un de mes deux groupes principaux, avec mon quintet Naïram, donc je m’investis le plus possible. J’ai beaucoup composé pour ce quintet, il y a 9 titres qui sont prêts pour l’enregistrement.

MARSAVRIL s’amuse à faire pas mal de mélanges. Selon toi, cest générationnel ?
Ça peut. Le côté électro, sans doute. Mais après, même par le passé, on a toujours pioché dans différents répertoires, différents registres. Peut-être que MarsAvril a un côté moderne, je ne sais pas trop… C’est vrai qu’il y a un peu un déclic en ce moment sur « c’est quoi le jazz ? ». À Londres, il y a des gens qui ne veulent plus appeler ça jazz. Ezra Collective, Nubya Garcia, etc, c’est loin du jazz traditionnel mais ça reste jazz dans les codes, mais avec tellement d’influences différentes.

Comment faire face à certains retours de lancienne génération qui pense le jazz cest fait de pleins de solos compliqués ?
Oh, je comprends très bien, hein ? Moi aussi, je suis passé par là. Mais pas d’inquiétude, ça n’est pas toujours le cas. Je peux envoyer à ces gens-là des trucs qui sont sympas.

© Maxim François
© Maxim François

Tes projets, notamment ceux du collectif Sous Blister, te permettent également de mêler les langages : arts visuels, spectacle vivant.
C’est très important pour moi les visuels de groupes et d’album. C’est une vrai partie de la direction artistique. J’aime que les artistes aient leur mot à dire, qu’ils aient une vraie liberté. J’aime travailler avec eux de manière assez proche, échanger, discuter. Et puis ça crée des rencontres. Notre collectif accueille par exemple des vidéastes, des musiciens, des stylistes… ça fait de belles collaborations, et ça fait du bien de trainer avec des non-musicien·nes, ça permet d’utiliser d’autres langages, d’avoir des regards extérieurs.

Tu es très engagée, par ailleurs, dans la cause féministe, la question de linclusion. Tu participes notamment au Dispositif Women in Jazz / Wizz 2023 porté par Anne Paceo et Airelle Besson, tu cofondes le collectif Sous Blister permettant je cite « la promotion dartistes féminines, racisées, avec peu de moyens financiers et jeunes ».
C’est un engagement, le rassemblement. Avec Sous Blister, on est plutôt du genre militants, et le collectif est paritaire, on prend soin de la mixité. En fait, c’est marrant, des fois j’ai presque l’impression de ne pas être engagée, mais, déjà le fait d’être une femme musicienne, bassiste, contrebassiste, tu es un peu obligée de militer. Le collectif Sous Blister, c’était aussi pour combattre un peu les clichés.

Sens-tu une pression supplémentaire, en jouant un instrument peut-être trop peu joué par les femmes  ?
Oui, quand même. Quand j’arrive dans un nouvel endroit, ou en jam, les gens sont là : « oh super, je vais vraiment t’écouter ! ». Et alors ils te regardent, ils t’écoutent. Et sur cent personnes, ils se souviennent de toi parce que tu es presque la seule fille. Ça peut être un avantage, mais il y a ce truc aussi, dans les clichés : « Est ce qu’elle est là parce qu’elle joue bien, ou parce que c’est une fille ? ». Mais, il y a besoin de plus de filles dans ce milieu. Notre représentation est nécessaire, et importante face aux lacunes.

Aujourdhui, les esprits ne sont-ils pas censés avoir évolué sur cette question un peu mieux médiatisée ?
Parfois je suis surprise quand ça se passe bien. Et, en même temps, rien que ça, c’est hyper bizarre à dire. Et puis, parfois, y a un petit rappel, genre quelqu’un qui se dit hyper inclusif et qui vient nous dire : « hey, c’est super, les nénettes, hein ! »

Sinon, toi, tu as d’autres modèles bassistes que celle de Rock At The School ?
Mes profs de fac m’ont fait découvrir Meshell Ndegeocello et Esperanza Spalding. J’étais contente car ils ne m’en ont pas parlé parce que ce sont des femmes, mais parce qu’elles sont de grandes artistes. Meshell Ndegeocello, j’ai beaucoup aimé son coté très groove presque hip hop. Esperanza Spalding, elle a eu un parcours d’études assez compliqué, notamment financièrement. C’est drôle, parce que pendant un temps, je n’osais pas dire que j’adorais cette artiste. Quand j’arrivais en jam, on me disait : « dis, ton idole c’est Esperanza Spalding ? », et moi je disais : « mais nonnnn…. tu dis ça parce que je suis une fille… »  Pourtant, en vrai, mon idole ultime, celui qui est vraiment à la première place, c’est Charlie Haden. J’ai jamais été autant touchée par un compositeur et un musicien.


propos recueillis par Selma Namata, 16 janvier 2025
photos © Maxim François / AJC
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MARSAVRIl enconcert à l’Albi Jazz Festival,
le samedi 1er février, à 22h30

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