les portraits de pointbreak
Delphine joussein
calamite sonore
Avant ses concerts pour les 15 ans du collectif Coax le 21 septembre et nos Journées du Matrimoine le 22 septembre, retour sur le parcours d’une flûtiste prompte aux embardées sonores commet aux effets de manche.
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Delphine Joussein, 39 ans, écume le collectif Coax, cartonne avec Nout, bouillonne avec Boolvar, bichonne Calamity. Sourires pour nous autres, à l’écoute de cette histoire qui aurait pu se passer autrement. Car, c’est un peu une success story. « J’ai commencé la flûte gamine, à 8-9 ans. Je savais déjà au fond de moi que je voulais être musicienne ». Il faudra attendre. Delphine entame des études de gestion hôtelière, puis bosse comme sommelière dans la restauration gastronomique. Direction l’étranger pendant dix ans, en Angleterre et en Afrique du Sud. Le virus de la musique n’est pas loin, et le lien avec son collectif de cœur, Coax. « Je ne jouais pas trop, mais j’allais tout le temps aux concerts. Quand je rentrais en France, j’allais voir Coax et Yann, mon frangin. Je voyais tout ça et je me disais “Mais c’est quoi cette musique de fou ?!” ». Jusqu’à cette opportunité : un poste d’administratrice au sein du collectif. Et hop, un pied dans la porte.
De Coax jusqu’à sa propre structure Gigantonium, on compte cinq ou six ans. Créée en 2016, cette plaque tournante est dédiée à la création d’évènements pluri-disciplinaires. « Ça s’appelait ‘’La Culture avec un Gros Q’’, en hommage aux conférences gesticulées de Franck Lepage. De grosses soirées en banlieues parisiennes. J’organisais tout ce qui me faisait tripper, mais je n’y jouais pas ». Sept éditions mêlant concerts, performances, conférences gesticulées donc, mapping vidéo, danses, dégustations de vins naturels… Gigantonium prend du galon et Delphine Joussein accompagne les groupes qu’elle aime et qui viennent jouer. Jusqu’à fonder son label éponyme, terminus logique de cette chaîne de production.
La partie immergée de l’iceberg, c’est pourtant la flûte. Coax, Gigantonium, c’est l’histoire et la décision de se consacrer entièrement à la musique. Et de faire cette musique-là, qu’elle écoute chez Coax entre autres. Comment on fait, avec une flûte ? « Je voulais communiquer avec les bassistes, guitaristes, batteur·es. Alors, j’ai connecté des pédales à un système son chiadé, un intra mic dans le tuyau et là, je pouvais jouer très fort avec qui je voulais. Aller en dehors de la musique de répertoire écrite pour la flûte ». Le son de Delphine Joussein, c’est ce subtil mélange de contrastes, l’ambivalence entre l’acoustique et l’électrique. Double importance, celle de pouvoir ferrailler autant avec Blanche Lafuente dans Nout qu’avec Sheik Anorak au sein de Boolvar, et celle de faire entendre l’argenterie fine de la flûte. « J’aime ce son naturel de flûte. Et j’aime le défoncer aussi. J’aime qu’on ne le reconnaisse plus du tout, j’aime gueuler dans ma flûte, chanter, scander. Dans mon solo, Calamity, y’a ces contrastes, ces ruptures, cette grosse noise et des loops très courtes ».
2022, année charnière. Jazz Migration tombe pour Nout, power trio jazz-punk, pot-pourri d’influences piochant chez Nirvana, Sun Ra, John Zorn, Frank Zappa, avec Rafaëlle Rinaudo, harpe électrique et Blanche Lafuente, batterie. Même année, le trio est finaliste au concours du festival de Jazz à la Défense. Cerise sur le gâteau, Delphine Joussein remporte le prix de l’instrumentiste. Sa carrière bascule. « Tout ça a mis un gros spot sur le groupe. Jazz Mig nous a beaucoup exporté. Aujourd’hui, c’est fini depuis deux ans et ça ne s’arrête pas ! Ça nous a donné de la crédibilité à l’échelle locale et internationale. Et, en tant que musiciennes, on se fait aujourd’hui appeler à droite à gauche pour de gros projets ». Gros projets, vous avez dit ? De Nout, Delphine Joussein rejoint le big bang européen de free, Fire! Orchestra, créé par Mats Gustafsson.
Histoires de réseau. Le patron du Fasching Club, à Stockholm, invite Nout, puis branche Mats Gustafsson. Le suédois adore. « L’Orchestra, c’est une extension de son trio, Fire!. Un grand orchestre d’une petite vingtaine de musiciens. Quand il m’envoie un mail pour me demander de faire partie de l’orchestre pour les prochaines tournées, je pensais que c’était un spam ! ». Heureux hasard du calendrier, ou preuve supplémentaire de la fame autour de Nout, Blanche Lafuente rejoint le Fire! quelques mois plus tard. L’affinité va plus loin. « Mats a tellement adoré Nout qu’il a proposé de faire des petits feats de temps en temps. On a fini par concrétiser la chose avec plusieurs concerts, notamment à Bolzano (Südtirol Jazzfestival Alto Adige, ndlr). On a mis tout ça sur notre album ».
Nout, c’est un bon point de passage pour la sempiternelle question. Delphine Joussein, de quoi es-tu le nom et le style ? « Ce n’est jamais évident de se définir, mais si on ne le fait pas soi-même, ce sont les autres qui le font. Je dirais que le lien dans tous mes projets, c’est une musique que je n’ai pas envie que l’on étouffe. Le son, si tu l’enfermes, tu le fais mourir. Pour qu’il se meuve, faut qu’il aille se frotter à autre chose ». On s’y frotte. Dans Asynchrone, avec la musique de Ryuichi Sakamoto et du Yellow Magic Orchestra. Dans son sextet free jazz, Moby Duck. Dans son duo, Boolvar, projet de cœur du moment avec son comparse, Sheik Anorak. Boolvar, ça combine un peu tout ce que Delphine Joussein a mis sur pied. Noise, électronique, krautrock. Un duo flûte-batterie, rendu possible par les effets. « Y’a vraiment cette énergie punchy. On tire ce fil de la musique électronique, linéaire, obsédante, quasi hypnotique. Sheik a vraiment ce truc de bête qui trace, sauvage dans la machinerie. Moi, je travaille plus les contrastes. J’adore ce duo car c’est une musique que l’on a sorti de nos deux tripes ».
Boolvar, ça se joue plutôt devant un public debout, d’ailleurs. Tiens, c’est peut-être pas si habituel pour une lauréate de Jazz Migration. « J’adore jouer dans plein d’endroits différents, de la SMAC classique à la cave où tu as 12 personnes torse-poil complètement cinglés. Là, tu as un rapport hyper brut avec le public, hyper spontané, une circulation sans intermédiaire entre toi et eux ». Avec Nout, Delphine Joussein a tout fait, de l’église en Irlande à l’institution : « Moi, j’aime tout mélanger, autant jouer pour des gens assis loin dans des Scènes Nationales avec du beau matos, que dans des coins roots. La musique se nourrit partout où elle est ».
Boolvar, ça se joue aussi par l’espièglerie échangée entre les deux musiciens. Mais Delphine Joussein ne cultiverait pas une espièglerie bien à elle ? « J’ai eu de la chance de ne pas avoir été au conservatoire. (elle rit)… Je n’ai pas été formatée au Sup’, même si j’ai eu une éducation musicale avec un prof — relou car il ne voulait pas que je joue de jazz, mais que je remercie car il m’a donné des bases ». Avoir ce prix d’instrumentiste au festival à La Défense, belle reconnaissance donc pour une anti-académique. Ses armes ? La flûte, l’humour, la (petite) provoc’. « Je pense que j’ai pas trop peur du jugement. Ça, c’est un truc qui me permet d’avancer de tracer mon petit sillon. Ouais, je gueule dans ma flûte dans les trucs de jazz, bah c’est comme ça et je m’en fous. Blanche Lafuente m’a même conseillé d’appeler mon solo : Calamity Chienne. Je lui faisais penser à un cow-boy ». Surnom bien calé dans le holster de celle qui a la gâchette prisée.
Collectif Coax : site web
Gigantonium : bandcamp
Journées du Matrimoine : détail des concerts