Forever Pavot
Le 13 mai 2023, voit l’arrivée d’Emile Sornin en concert à La Vapeur pour l’Extra Festival. Rencontre avec cet artiste pour parler des 70’s et de ses inspirations à la fois hip hop, dark, punk. Un micmac sur la jante.
Forever Pavot © Antoine Magnien
Tu es fan des 70’s, on commence avec des questions Apostrophes. Ta dernière claque musicale ?
Oh (un temps)… Je dirais ça, Expo Botanica du Cosmic Analog Ensemble.
Ça vient d’où?
D’un artiste franco-libanais, il s’appelle Charif Megarbane. C’est vachement bien, très influencé par la musique italienne, par la Library Music. Il habite à Lisbonne mais vient très régulièrement à Paris. On est un peu de la même famille musicale. Lui ne chante pas mais c’est une sorte d’homme orchestre qui joue plein d’instruments tout seul. J’adore le son de la production. On a un point commun qui est d’avoir pas mal écouté de hip-hop. Dans sa manière de composer, de produire les morceaux, on a l’impression qu’il fait des boucles avec une MPC hip-hop. J’adore sa manière de faire. C’est devenu un copain. Il était dans mon studio, il y a quelques jours, pour me ramener ce disque-là.
On continue avec Apostrophes. Ton tout premier souvenir de musique ?
Je pense que c’est le conte musical Pierre et le Loup, quand j’étais en maternelle. J’ai des souvenirs de siestes… Alors, je ne sais pas si c’est moi qui fantasme un truc mais j’ai le souvenir de faire la sieste dans un gymnase en école maternelle et d’écouter ça. J’étais pas loin d’être terrorisé par le loup représenté avec les cors. C’est le truc qui t’empêche un peu de dormir, quoi. Enfant, il y a eu deux trois trucs que je trouvais assez tordus. Le Roi et l’Oiseau, La Planète Sauvage. Quand tu les re-regarde aujourd’hui, c’est quand même assez angoissant. Peut-être que ça vient de là, mon amour pour la musique un peu flippante.
D’un trauma d’enfance ?
Ouais ! Je sais pas d’où ça vient mais je suis fasciné par la musique qui fait peur, la musique de films d’horreur. Je te parlais de La Planète Sauvage, j’ai pas de souvenirs de l’avoir vu enfant. Je l’ai découvert beaucoup plus tard. J’ai une attirance pour la musique un peu sacrée, la musique de Morricone m’a toujours plu parce qu’il y a un truc un peu tordu dans ses accords, c’est très sacré, presque une musique de prières avec les orgues d’église, les clavecins.
On retrouve chez toi, en sous-texte, ce côté dark, un secret un peu sombre…
C’est marrant parce que c’est souvent des discussions que j’ai avec JB de Born Bad. On se dit souvent que sur Idiophone, le dernier disque, ça me ferme pas mal de portes, ce côté un peu dark. Je l’ai eu au téléphone, il y a une heure ou deux. On discutait notamment des médias. J’ai jamais eu autant de presse et de radios que sur cet album et pourtant il y a certains trucs plus « populaires » ou des plateaux TV auxquels on a pas accès. L’explication qu’on nous en donne, c’est que ma musique n’est pas assez pop, trop sombre… Mais j’y peux rien. C’est ce qui ressort de ma musique. Je ne suis pas quelqu’un de très triste dans la vie. Mais je ne suis pas quelqu’un de très heureux non plus, comme beaucoup d’artistes sans doute.
“Je fonctionne comme ça, par lubies et obsessions. J’en ai eu plein dans toute ma vie. Ça a nourrit la musique que je fais.”
Tu parles de média, il y a ce morceau qui s’appelle Les informations sur le disque. Il sonne un peu plus 80’s que le reste, avec un côté ultra dramatique des synthés. Pas loin des génériques de 7/7 ou du journal télé de TF1 pour le 20h dans les même années. C’était aussi des trucs violents, hyper dramatiques.
Justement, ce morceau-là, un peu à part dans ma discographie, est trop anxiogène pour passer en radio. On nous dit : « c’est chaud ce que tu racontes, la musique est un peu trop dark ». L’histoire de ce morceau-là est intéressante. J’ai eu une commande de deux metteures en scène, Louise Hémond et Emilie Rousset, qui m’ont demandé de composer un générique de JT assez 70/80. Je me suis mis à faire des recherches et je me suis rendu compte que je trouvais ça hyper beau, ces cordes hyper dramatiques, dures et acides. Je me suis amusé à leur proposer un générique et ensuite j’ai décliné ce thème pour en faire un morceau. Je suis passionné par la musique de film, la musique de générique, les jingles et ce genre de choses. Les génériques de JT me passionnent aussi, leur composition m’intéresse parce qu’il y a des pépites. C’est comme dans la recherche sonore, dans la Library Music ou dans l’illustration sonore. Ces musiques sont très présentes dans l’inconscient collectif.
Ce qui te plait dans cette époque, c’est pas aussi la grande porosité entre l’expérimental, avec le GRM ou les frangins Cohen-Solal par exemple, et la création grand public ? Une porosité qui s’est un peu perdue aujourd’hui ?
À l’époque, il y avait une liberté extraordinaire, un truc hyper expérimental. Ils tentaient des choses. En plus il y a eu l’arrivée des synthétiseurs. Au début, ça créait des trucs complètement fou. Cette période-là me fascine, la musique concrète, la musique de recherche. Je pense au générique de Chapi Chapo écrit par François de Roubaix qui était quand même hyper avant-gardiste, même pour l’époque. Il y a là encore un truc hyper terrorisant. Toute cette partie avec des voix pitchées dans les aigus avec des voix d’enfants un peu hantées. Il y a un truc de hanté quand même dans la musique de cette époque, dans le son, les textures… Est-ce que c’est juste un truc nostalgique je ne sais pas. Je suis trop jeune pour connaitre Chapi Chapo mais il y a un truc qui me plait dans cette époque lié à cette liberté, au début des synthétiseurs que je n’ai pas connu. Je suis plus un enfant des années 90, du grunge, du rock et j’ai découvert le reste plus tard mais il y a un truc qui me fascine. Le cinéma de cette époque-là me plait aussi, je ne sais pas pourquoi aussi. Je suis un peu fétichiste. La texture visuelle, la pellicule, le CinémaScope.
Plus qu’une nostalgie, ça peut être aussi un vrai lien esthétique ?
C’est même devenu une obsession avec le temps. Je fonctionne comme ça, par lubies et obsessions. J’en ai eu plein dans toute ma vie. Ça a nourrit la musique que je fais. Je reviens aux Informations, il y a un truc presque post-apocalyptique dans ce morceau. Il y a eu une partie de ma jeunesse où j’ai eu une obsession pour les films de séries Z et les films post-apocalyptiques. Quand je pense à ce morceau-là je pense à cette période où je collectionnais les VHS. Je faisais les brocantes, les Emmaüs. Quand je pense aux infos, je pense aux images de VHS qui dégoulinent. C’est toute une DA (direction artistique, ndlr) qui m’enveloppe.
Tu parles des années 90. j’imagine qu’on retrouve derrière le côté dramatique de ta musique, presque théâtral, le hip hop de MF Doom ou de Madlib.
Le Hip-Hop évidemment. Ce truc de jingles, d’extraits de films. Je me souviens des premières fois où j’écoute le Wu-Tang… Il y a un disque qui est hyper important pour moi c’est Liquid Swords de GZA où il y a des samples d’un film de kung fu qui s’appelle Shogun Assassin. La texture de la VHS qui a été samplée. Pareil, pour Madlib. Je trouve que ça ouvre un truc dans l’imaginaire. J’essaie de faire en sorte dans ma musique qu’il y ait des bruitages, c’est ça que j’appelle les idiophones aussi. Tout ces trucs qui font appel à notre inconscient, à notre enfance, du passé… Ça ouvre quelque chose d’hyper poétique qui m’inspire aussi pour raconter des petites histoires, qui aide à rentrer dans un univers.
Forever Pavot © Joëlle Rasoarivelo
Bon, on est en 2023. On parle beaucoup de tes influences 70’s mais la technologie a beaucoup beaucoup changé. Est-ce que tu luttes parfois contre la manière de produire de la musique aujourd’hui ?
Je suis en plein dans ce questionnement. J’ai commencé avec les quatre pistes à cassettes sans utiliser un métronome : « Je reste purement analogique ! ». En même temps, je te dis ça mais mon premier 45 tour, Christophe Colomb, c’est un mélange. Comme j’étais dans mon petit appart, toutes les batteries ont été enregistrées à la main avec un espèce de pad controller et une batterie virtuelle. Mais je faisais semblant que c’était une vraie batterie pour coller au son des années 70 et 60. Ce que j’ai essayé de faire dans L’Idiophone, c’est mélanger le côté Hi-Fi et Lo-Fi. J’utilise une table analogique des années 60 que j’aime beaucoup, mais je l’utilise pour sa qualité qui n’est pas Lo-Fi du tout. Il y a une compression qui est très belle, des pré-amplis qui sont très beaux qui permettent d’avoir un son que j’aime. Mais j’utilise Protools qui est un ordinateur… Là, ça fait 6 ans que je suis dans ce studio, que j’ai tout le temps les mêmes méthodes. Je me remets en question dans ma manière de continuer à produire et enregistrer parce que je suis quelqu’un qui se lasse très vite. Il faut que je trouve des contraintes techniques, parce qu’elles sont là pour donner des impulsions à la création. Je te parlais justement de mon copain du Cosmic Analog Ensemble qui, justement, m’indiquait de différentes nouvelles techniques pour enregistrer, d’une manière plus hip-hop.
Te renouveler ça passe peut-être aussi par l’utilisation de la voix, ça te rapproche encore du théâtre et du récit. Il y a aussi le passage du ‘faire seul’ au ‘faire à plusieurs’.
Tu parles de deux choses. Le chant, en effet, a évolué au cours de ma carrière des trois albums que j’ai fait. Ma voix est de plus en plus présente et de plus en plus intelligible, digeste. C’était le gros boulot de cet album-là et c’est pour ça que je me suis entouré. Je passe à autre chose parce que j’ai commencé en enregistrant mes trucs tout seul. Je m’entoure de plus en plus parce que j’ai envie d’avoir la vision d’autres musiciens, d’autres artistes. Sur ce disque-là, c’était très important de mettre le chant en avant pour raconter. Samy Osta, Maxime Daoud et Vincent Taeger m’ont beaucoup poussé dans cette direction. Après, je sais pas si c’est à moi de faire ce truc avec le chant. Le prochain disque sera peut-être instrumental.
Pourtant, ton écriture te permet de faire des grands écarts assez intéressants, comme faire rimer polar avec Debussy sur Dans la voiture. Ça défend ton univers ou ça vient contredire les chansons un peu auto-centrées d’aujourd’hui ?
J’ai beaucoup de mal avec le terme de chanteur (il rit). C’est pas du tout ma culture musicale, ou alors des trucs bien précis, les mêmes trucs que je cite tout le temps, Gainsbourg ou Brigitte Fontaine. J’ai même une réaction presque adolescente avec ce truc-là. Je viens d’une musique qui déteste ça. C’est du snobisme pur. J’essaye de me soigner avec les années. Benjamin Biolay, par exemple, vraiment ça, je trouve ça horrible, ça fonctionne pas sur moi. Je ne sais pas très bien d’où ça vient…
Marrant, Benjamin Biolay se revendique lui aussi de Gainsbourg, certes en se vautrant sur ses plates-bandes…
Justement, peut-être que c’est ça qui m’énerve un peu. Je trouve qu’il n’y a pas tout le côté grinçant et acide, voir un peu punk que pouvait avoir Gainsbourg. Biolay, c’est un faux punk. C’est pas parce qu’il met un perfecto et qu’il chante un peu comme ça (il ronronne)… Je trouve qu’un mec comme Julien Gasc aujourd’hui est bien plus punk et bien plus proche de cet héritage. Ou même Katerine qui est plus populaire, j’arrive à voir une sincérité. Avec un mec comme Biolay, j’ai l’impression de me faire berner, tu vois les ficelles. J’ai un côté un peu snob en moi. Je viens de la culture punk, métal où si t’aimes la chanson, t’es mort. Je suis plus touché par des trucs tordus. Le premier degré, les choses du quotidien. Je ne sais pas, ça m’emmerde parce que ça ne me touche pas. Parce que j’ai ce côté punk en moi, mais aussi dans la manière de faire les choses. Les trucs qui me touchent sont des trucs tordus, les gens qui souffrent sont hyper poétiques et ça me plait parce que moi-même je souffre (il rit) Merde quoi !
J’ai pas l’impression que ce soit snobinard non plus. Ça te rapproche juste un peu plus de la production même des chansons des 70’s, encore une fois… des chansons de Béatrice Arnac ou d’Anne-Marie Coffiney, les petites pépites qu’on trouve justement dans les compiles Born Bad. Il y a des trucs qui sont tordus parce que la vie quotidienne est tordue, elle aussi.
Si mon disque est dark, et je disais ça à JB, c’est aussi que la vie n’est pas facile, ce qui m’entoure, ce que je vois. Je ne vais pas commencer à raconter que tout est beau. Non. La vie, c’est difficile. C’est pas simple d’être heureux tous les jours.
En fait, t’es complètement normal.
Ouais, peut-être, je pense ! J’aime bien la musique triste parce que me sentir triste ça me fait me sentir vivant, je trouve ça important. Au-delà du côté poétique, c’est un sentiment que j’aime. Moi je chiale tout le temps, je suis un mec qui chiale au cinéma, en écoutant de la musique, je peux verser ma petite larme très rapidement.
Du coup, ça fait de toi presque plus un bluesman qu’un punk.
Putain on me l’avait jamais sortie celle-là (il rit)… Mais ouais, je crois que c’est ça. Je suis un putain de bluesman… De Roubaix disait dans une interview : « je ne suis pas du tout intellectuel, la musique c’est uniquement de la sensibilité ». Ça fait écho à ma manière de faire la musique et à la manière dont j’ai appris la musique. Je ne sais pas ce que je joue. Tout passe par ce que je ressens, je n’ai aucune technique : « Ah ? Ok, cet accord est joli, je vais en faire quelque chose ». J’ai jamais fait de conservatoire, je ne suis pas quelqu’un de littéraire. Je dois lire trois bouquins par an. J’ai une certaine culture cinématographique parce que j’adore le cinéma, mais j’ai du mal à en parler. Je reste dans mon coin…
Ton côté instinctif pourrait paradoxalement te rapprocher d’une forme de littérature spontanée.
Je suis fasciné par ça aussi, ce côté de la musique un peu élégant, un peu emprunté à la musique classique, parfois au baroque. J’adore cette imagerie. C’est une DA qui me plait parce que ça me fait rêver. Je trouve ça beau. La musique baroque, la musique sacrée et tous ces trucs-là, c’est tellement visuel… C’est un truc qui me fascine. Pourquoi ? Parce que c’est ce qui m’a marqué dans le cinéma, dans la musique, dans la littérature aussi.. J’adore l’imagerie des compositeurs du début du siècle, les Debussy, Satie, Ravel. Pourtant je n’y connait rien mais je suis sensible à cette musique, à la musique de Chopin et de Bach. Le point commun de tout cela c’est qu’il y a un truc très… il y a soit du romantisme, et je pense être quelqu’un d’assez romantique, soit… C’est pas de la nostalgie mais…
De la mélancolie ?
Oui, de la mélancolie. C’est un sentiment qui me plait. C’est ça qui me rapproche de tout ça.
Dernière question au punk que tu dis être. Cite-moi une B.O pourrie faite pour un film génial. Un truc que tu aurais envie de refaire.
Je te parlais tout à l’heure de ma fascination pour les films de séries Z. Il y a un réalisateur qui s’appelle Norbert Moutier qui avait une boutique de VHS. J’étais allé faire dédicacer ma VHS dans sa boutique dans le 9e, il y a quelques années. Il a fait un film qui est extraordinaire mais qui est impossible à regarder. Tu pourras trouver deux ou trois extraits sur Youtube, ça suffira amplement. C’est un film qui s’appelle Ogroff. J’ai écrit un morceau qui s’appelle Dans le Jardin d’Ogroff qui est une forme d’hommage à ce film-là. C’est un film en super 8, un peu film d’horreur, un peu slasher vraiment dégueulasse et nul à chier. Il y a très peu de musique, peut-être seulement sur le générique. Je crois que c’est Moutier qui l’a faite, hyper maladroite, avec un synthétiseur un peu pourri. Si un jour je pouvais faire une musique de nanar comme ce film, ça me plairait. Ogroff, c’est un film qui m’a hanté. Au point que je l’ai transformé en expression. Quand on cherchait des VHS avec un copain et on faisait les brocantes en disant « je cherche de la Og ». Aujourd’hui j’utilise encore beaucoup cette expression avec mes proches, avec ma compagne, avec les gens qui me connaissent. Quand je dis que quelque chose est « Og » c’est quelque chose qui dégouline, qui est poussiéreux… J’avais même créé un label pour que le tout premier 45 tour que j’ai sorti, il s’appelait La Og Records.
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propos recueillis par Guillaume Malvoisin, le 9 mai 2023 (retranscription Florentine Colliat).
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