Asynchrone,
“Hommage à Ryūichi Sakamoto”
Jazz à La Villette, cité de la Musique, dimanche 4 septembre 2022.
Faire tribute, en résumé, c’est assez simple. Ça peut être, bien entendu, prendre la voie royale, celle qui pousse à rejouer le connu, le familier de l’œuvre du musicien ou de la compositrice hommagée. Ça peut surtout privilégier l’autre voie. Impériale. Celle qui cherche les détours et les jeux possibles dans la matière que le tributaire aura pris soin de dénicher dans ce qui aura été laissé à sa disposition. Suivre ou déjouer, il faut choisir. On aura déjà croisé quelques têtes de ponts sur voie royale, s’il fallait absolument quelques exemples, Charlie Haden rejouant Ornette Coleman, le Supersonic de Pourquery tutoyant à Sun Ra, ou High Pulp la jouant casual class avec Franck Ocean. Déjouer une œuvre choisie, c’est souvent associer un gros rush d’élégance à de savants petits shots d’inventions intrépides. Il y a cela aussi dans Asynchrone. Ça fouine à merveille dans les merveilles de l’héritage de Ryūichi Sakamoto, ça joue du grand écart entre la formation classique et les improvisations séditieuses du compositeur. Jamais sérieux, toujours soigné. Le set, ficelé par Clément Petit et Frédéric Soulard, avance par climats, par ambiances, distribuants des kicks dans la mélodie, empruntant ce qu’il faut d’émotion pesée à la pop, ce qu’il convient de rage à ce qu’on appelle le jazz. C’est beau et très fort, c’est concentré et jamais sage. Règle d’or. Ainsi le Japon danse avec l’Afrique, l’électronique flirte avec les harmonies à la française.
« Le set avance par climats, par ambiances, distribuants des kicks dans la mélodie, empruntant ce qu’il faut d’émotion à la pop, ce qu’il convient de rage à ce qu’on appelle jazz. »
Ryuichi Sakamoto, 2021 et 1985
De cet hommage jaillit la classe lyrique et coltranienne d’Hugues Mayot, l’âpreté ludique de Delphine Joussein, le pilotage à vue sans être jamais automatique de Clément Petit, cello-contrebasse ou lentes litanies imparables. La triplette claviers/percussions, acoustique et électronique pour chacun des trois autres musiciens, prennent en charge le reste : soit le synthétique suave et poppy (coucou le Yellow Magic Orchestra), le Japon et l’art de la tradition repassée au goût du jour (le son du drumkit, les dramaticules Nô splendides sortis de la clarinette basse). Asynchrone, dans ses équilibres impossibles, dans son petit théâtre sonore et pléthorique, aussi multiple que complexe dans ses structures, fait de jolis doublés. Flûte et clarinette. Clavier et piano, cello et minimoog. Et mille autres encore. Comme celui de pousser dans l’oreille de l’auditeur le décalage nippon et l’impro occidentale, jusque dans la reprise finale du thème de Merry Christmas Mister Lawrence. Tant pis si d’aucuns avaient prévu faire rimer kawai avec aïe aïe aïe. La réussite d’Asynchrone tient beaucoup à la maîtrise sereine de ses plages aériennes où passent Ravel et Satie, légers, flottant au fil d’harmonies vocales à vous endormir une amoureuse.
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Guillaume Malvoisin
photo Asynchrone © Clémentine Poquet
vidéo La Villette © Emma Perrin
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