Martin Schiffmann, en noir & blanc.
En avril dernier, PointBreak avait accompagné la sortie d’Inicial, album du trio mené par le contrebassiste Vladimir Torres. On prolonge la rencontre avec le pianiste du combo bisontin. Martin Schiffmann : deux F, deux N et 88 touches-à-tout.
© Johann Rousseau
Comment tu l’occupes, toi, ta crise sanitaire ?
J’écoute beaucoup, beaucoup de disques et je passe du temps à travailler au piano un tas de choses que je n’ai jamais eu, ou pris, le temps de travailler.
Tu te considères comme un jazzman, toi, Martin ?
Non, je ne me considère déjà pas comme un pianiste… Alors comme un jazzman ! Je dirais que je me considère comme un musicien plutôt !
Il y a une vidéo de toi sur YouTube jouant Someday My Prince Will Come.
Bill Evans, forcément ?
Ah mince, elle est encore sur YouTube celle-là ?! C’est vrai que c’est un standard qu’il a beaucoup joué. Oui Bill Evans, bien sûr. Il est dans le top 3 des pianistes que j’ai le plus écoutés avec Herbie et Jarrett. Il a révolutionné la formule en trio. Et puis le son, l’harmonie, le rythme… C’est quand même quelque chose. J’ai eu la chance d’étudier à la Bill Evans Piano Academy à Paris avec des profs incroyables qui ont eux-mêmes été élèves de Bernard Maury, un ami de Bill Evans.
C’est qui, selon toi, le plus grand pianiste de jazz ?
Ah… Grande question… Qui peut répondre à ça ? J’aurais quand même plusieurs noms qui me viennent tout de suite en tête : Herbie Hancock, Keith Jarrett, Bill Evans, Monk, Chick Corea, Duke Ellington… Pffff… Laisse tomber, je n’arrive pas à m’arrêter… Sans dire que c’est le plus grand, je crois quand même que c’est Keith Jarrett que j’ai le plus écouté. Quelle maitrise quand même, il est capable de tout jouer.
— Inicial album sorti en avril 2020.
Chronique à lire ici
— Inicial album sorti en avril 2020. Chronique à lire ici
C’est quoi les influences piano de Martin Schiffmann ?
Tous ceux que j’ai cités plus haut. Évidemment, beaucoup d’autres pianistes qui ont fait l’histoire du jazz, d’Art Tatum à Robert Glasper. Je suis aussi un grand fan de Paul Bley, de John Taylor, de Fred Hersch, de Marc Copland. Plus récemment, Kris Davis, Kevin Hays, Glenn Zaleski qui sont moins connus mais que j’adore. J’en ai sûrement oublié mais il y en a énormément.
D’autres influences ?
Ça a été d’abord le hip-hop, US et français. J’ai rayé quelques disques de Cypress Hill, par exemple. Puis sont arrivés le reggae et le dub, j’en ai écouté énormément. D’ailleurs c’est pour faire du reggae que j’ai commencé le piano, dans un groupe au lycée. Sinon, j’ai écouté un peu de tout, j’ai baigné dans la musique classique grâce à mes parents même si je ne m’y intéressais pas vraiment à cette époque. Pour le jazz, ça va principalement de la période be-bop jusqu’au jazz d’aujourd’hui. Avec Miles Davis, Wayne Shorter ou John Coltrane…. Le second quintet de Miles – avec Tony Williams, Ron Carter, Shorter et Herbie – est sans doute le groupe qui m’a le plus influencé, c’est un peu ma référence.
Le piano et les Rhodes, c’est vraiment deux intrus différents ?
En dehors du fait qu’il y a des touches noires et des touches blanches, oui, c’est quand même très différent. Les sensations ne sont pas du tout les mêmes, et si je joue un morceau identique au Rhodes et au piano, je le jouerais de manière totalement différente. Un piano, aussi, c’est vachement plus lourd !
— nouvelle vidéo : Sweet Gaza II par le Vladimir Torres trio.
Jazz franc-Comtois versus jazz bourguignon, y’a une réelle différence ?
Je suis assez bien placé pour en parler. J’ai passé mon DEM à Chalon et désormais, j’habite à Besançon. La seule différence, c’est que les bourguignons nous piquent tous nos musiciens parce qu’il n’y a pas de cursus jazz à Besançon !
Le trio de Vladimir Torres, dans lequel tu joues, est soutenu par le Centre Régional du Jazz en BFC, pour cette année. C’est important selon toi ?
Oui très important. Ça veut dire que le projet plaît et c’est tant mieux. Ça nous aide beaucoup dans le développement. Ensuite, je pense que ça n’implique rien de particulier. Missionnés ou pas, on aurait défendu le projet avec la même envie.
Comment tu décrirais les climats de votre musique ?
J’ai du mal à mettre des images ou des mots sur la musique. C’est assez varié, notamment sur le disque, avec des titres très énergiques, d’autres plus doux. Certains sont très arrangés, d’autres très spontanés. Damien Groleau et Christophe Panzani n’y sont pas pour rien.
Inicial, c’est le ‘début’, ok. Mais c’est le début de quoi, selon toi ?
J’espère que c’est le début d’un long voyage musical, fait d’expérimentation, de création et d’improvisation.
Comment ça bosse au sein du trio ?
Vladimir arrive souvent avec une compo plus ou moins avancée, on la joue ensemble et on adapte, on arrange en fonction de nos idées à chacun. Il est très à l’écoute et nous laisse beaucoup de liberté. C’est agréable pour travailler. Ensuite, bien sûr, les compositions murissent au fil du temps et des concerts.
« Pour l’équilibre du trio, on ne se pose pas vraiment la question. On joue. »
Vladimir Torres revendique le fait d’être autodidacte. C’est beau mais ça peut être relou, non ? Un autodidacte, ça parle souvent beaucoup.
J’ai commencé moi aussi comme autodidacte. Puis je suis allé prendre des cours, on se comprend donc à ce sujet. Par exemple, on est tous les deux de très mauvais lecteurs alors forcément, oui, on passe beaucoup de temps à parler !
Comment on se fond dans les sources d’inspiration d’un leader ?
Je ne sais pas si on peut se fondre dans les sources d’inspiration d’un autre. Leader ou pas, le fait de jouer avec d’autres musiciens fait qu’on puise forcément dans les inspirations de chacun, on partage parfois nos dernières découvertes.
Et avec un leader comme Vladimir Torres ?
Justement, on découvre des musiciens grâce à lui pendant les longs trajets en voiture. Récemment, il nous a fait découvrir Petros Klampanis que je ne connaissais pas et que j’aime beaucoup.
Torres, il vous oblige à regarder toutes ses vidéos de solos en intégralité ?
Ahah… Non, heureusement, sinon j’aurais déjà quitté le groupe ! Plus sérieusement, c’est un exercice difficile, alors bravo à lui.
À propos, vous venez de sortir une nouvelle vidéo, sur le morceau Sweet Gaza II, content ?
Je suis surtout content qu’on ait réussi à l’enregistrer. La compo était toute neuve, on a eu que deux ou trois répètes pour la bosser ensemble et c’était ‘tricky’ comme on dit !
C’est difficile de garder l’équilibre quand vous jouez ?
On fait ce qu’on peut pour que ce soit le plus équilibré possible. C’est difficile à dire, je crois qu’on se pose pas vraiment cette question. On joue, on est à l’écoute et après, il se passe ce qu’il se passe.
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propos recueillis par Guillaume Malvoisin, février 2021.
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Cette interview accompagne la sortie, sur le webzine Tempo, d’un dossier en 3 parties signé par Lucas Le Texier, La Relève du Jazz est consacré à la jeune génération du jazz en Bourgogne-Franche-Comté.
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