VINCENT PEIRANI
Dijon, ABC, Théâtre des Feuillants, mardi 5 novembre 2019.

Jazz, l’accordéon ? Fêté, demandé, applaudi et récemment honoré, Vincent Peirani semble peu se soucier de l’importance de la réponse. Sans doute une trace d’atavisme dû aux origines de son instrument, réelles ou fantasmées mais toujours un peu malmenées dans les coulisses de l’histoire de la syncope. Living Being joue des coudes avec les cadres et balance avec élégance sur le fil qui séparerait les répertoires. Set au cordeau, ourlet impeccable. Peirani pratique le jazz, oui. Et par la face populaire. Plutôt bien foutu, jamais trop méchant. Joliesse des courbes, claires emphases de jour de fête, tensions a minima. De quoi s’exprimer franchement, de quoi compiler ce qui fait un tel musicien. Il faudrait alors reconsidérer les albums Living Being (Act, 2015) et Living Being II (Act, 2017), remis ici en liberté par le live, comme les parties d’un autoportrait en creux d’un quasi-quadra maîtrisant l’héritage comme la jubilation à brouiller les pistes. Personne n’attend jamais vraiment l’accordéon dans le jazz, raison de plus pour en faire une arme d’explorateur. Et aller se balader ailleurs. Aller jouer avec les clichés, en déjouer la plupart. Convoquer reprises tubesques, jazz, rock et ballades bleutées cinématiques. Et, sans cesse, ouvrir des espaces sonores aux assauts d’un quintet qui, en scène, a une jolie gueule de clan aux aguets.
La défection matinale d’Émile Parisien apporte à cette date dijonnaise le bugle et la trompette de Sylvain Bardiau. On perd un peu de l’énergie déconstructive du sax. On gagne en retour, au bugle surtout, un lot rapporté de l’arrière-pays d’italiennités populaires. Dans les moments plus ouverts, c’est le Frioul, le Pasolini précoce, Enrico Rava et Fellini qui montrent le bout de leur museau. Pour les autres soufflets à passer une tête par la portière : on pense parfois à Clifton Chénier et à Pete Jolly, on pense souvent à Gérard Barraud, bien trop sous-estimé et magistral chez Louis Sclavis, entre autres. Ainsi pour l’histoire du Clown sauveur de la fête foraine. Récit parfait. Construit court et concis, précis sans raccourci. Sentant la canaille et le franc-tireur. Peirani est joueur, on l’a dit. La diagonale tracée par deux morceaux comme Le Clown… et Enzo, ballade elliptique très classe, soufflée à l’accordina, le montre sans peine. C’est beau, c’est très beau. L’écriture a le même souci de la mélodie qu’un Jacques Anquetil pour le sprint. Ça va vite mais toujours avec une classe certaine. Même si Yoann Serra s’applique régulièrement à démontrer l’effet du drumming sur la fragilité des châteaux de cartes. Et fort de cette classe, et hors de toute mignonnerie, Living Being, le quintet, rameute ce que son leader aura su accrocher à son pédigree. Le baroque from Purcell et son King Arthur ou sur Nightwalker, où la basse de Julien Herné pose une base solide au dépôt d’une mélodie ciselée. Peirani ramène sa science du contrepoint, aussi, poussé du bout de l’épaule par les Rhodes de Tony Paeleman, impérial dans les cahots de groove comme dans les traces plus étranges ou plus éthérées de l’AUM Grand Ensemble ou du combo menée par Anne Pacéo, formations où il officie avec une humilité constante. Le scat bop, enfin, où la voix se met à l’unisson du soufflet pour inventer des gitaneries scandinaves, pour tisser une longue intro gadjo-planante à la reprise du Kashmir de Led Zep’, fidèle à la corpulence du dirigeable éponyme et diablement enchaînée à l’intro de Stairway To Heaven que tous les kids ont saignée. Alors, jazz, l’accordéon ? La réponse est-elle seulement nécessaire ?
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⊗ Guillaume Malvoisin
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