Une nouvelle Nouvelle-Orléans ?

Si la musique de jazz est le résultat d’un conflit permanent entre le rappel et le dépassement des traditions, le jazz traditionnel joué aujourd’hui en Louisiane chevauche un tandem original, entre attachement à l’early jazz et inscription de cette musique dans la modernité technologique.

épisode 1/4 : un monde de fans.

par | 13 Nov 2019 | articles, nolaSérie

Tuba Skinny

Il est fascinant, et assez enivrant, de constater qu’aujourd’hui Internet fournit à tout amateur un peu curieux une masse musicale numérique pratiquement inépuisable. Or, ce réseau a cette spécificité d’être relativement accessible par tous, que ce soit pour écouter ou visionner du contenu, mais aussi pour en produire : cette plasticité invente alors de nouvelles voies tout à fait originales par lesquelles la musique circule.
La diffusion en ligne de ce qui est joué sur la scène du jazz traditionnel, aujourd’hui, à la Nouvelle-Orléans est tout à fait remarquable puisque ce sont les fans eux-mêmes qui prennent en charge une grande partie de cette circulation. Par « jazz traditionnel », j’englobe ici tous les genres de jazz qu’on pouvait entendre au début du XXe siècle à la Nouvelle-Orléans et que l’on désigne sous plusieurs noms (Dixieland, Early Jazz, New Orleans…). Sans gommer les différences subtiles qui existent entre ces genres, je préfère mettre en avant leur unité et ce qu’ils partagent de caractéristique comme la prédominance d’instruments acoustiques, des cuivres sur les bois et d’instruments typiques (banjo, washboard, soubassophone, tuba) voire aujourd’hui atypiques (comme la contrebassine ou le kazoo pour ne citer qu’eux).
La forme la plus visible de l’engagement des fans est le relais des concerts en salles ou dans les rues auquel s’adonne régulièrement une bonne partie de ces jeunes groupes. Ces vidéos représentent une bonne accroche pour le curieux, puisqu’elles excèdent rarement la durée moyenne d’une chanson, entre 3 et 5 minutes, et sont généralement captées avec du matériel vidéo de très bonne qualité.

Tuba Skinny

Tuba Skinny © Sarah Danziger

Some Kind-A-Shake de Tuba Skinny

Tuba Skinny, Some Kind-A-Shake (2019)

— Going Back Home par Tuba Skinny (2012)

— Charleston par Smoking Time Jazz Club (2012)

Il faut aller au-delà de l’aspect introductif de ces vidéos puisqu’il semble exister une véritable communauté qui apporte une plus-value sur ces contenus. Il y a d’abord tout un ensemble de chaînes YouTube qui se consacre principalement à l’enregistrement et à la diffusion des concerts (digitalalexa, CANDCJ, kassiniru, RaoulDuke504, Wild Bill, jazzbo43). Souvent, ce contenu vidéo est complété par quelques données sommaires – titre du morceau, nom de l’orchestre, nom du lieu et la date de celle-ci – afin de situer la prestation.
On trouve aussi des fans qui s’engagent au-delà du simple relais des interprétations. La chaîne TheWsm a rassemblé, ainsi, dans une liste plus de 2.000 liens qui renvoient aux prestations du groupe Tuba Skinny, précisant pour chaque vidéo, le titre, le lien, la chaine qui l’héberge, la date de son hébergement (et si possible de son enregistrement) ainsi qu’un petit commentaire descriptif sur la prestation en question.

Autre activité dans laquelle les amateurs peuvent s’investir : le blogging. Une des figures qui fait autorité dans la connaissance de cette nouvelle scène du jazz traditionnel à la Nouvelle-Orléans est un anglais surnommé Pops Coffee. Pops a tenu un blog dédié à ce sujet jusqu’en 2018. Patiemment, il a entretenu les connaissances sur le répertoire des premiers standards de jazz tout en mettant en lumière les jeunes interprètes qui l’animent de nos jours. Ces posts de blog participent à organiser les savoirs sur ces groupes et à recenser ce qui correspond, selon Pops Coffee, aux meilleures prestations filmées.
YouTube offre également des espaces qui permettent aux fans de s’exprimer et d’échanger. Souvent, sur les différentes performances de musiciens, dont certaines sont considérées comme particulièrement uniques – comme cela est discuté dans les commentaires au-dessous du morceau What A Little Moonlight Can Do chanté d’Albanie Falletta.

Certains choisissent de communiquer de façon plus directe grâce à l’onglet communauté à l’instar de James Sterling qui invite ses abonnés à donner leur avis sur le contenu à mettre en ligne ou sur la manière dont celui-ci le sera. Le rôle des amateurs de jazz dans la diffusion de cette toute jeune scène est donc décisif. Reste à comprendre ce que signifie aujourd’hui pratiquer le répertoire des débuts du jazz au sein de la Nouvelle-Orléans pour toute ces jeunes formations constituées au cours des années 2000.

Too Late par Tuba Skinny (2018)

Albanie Falleta

Albanie Falleta © Noe Cugny

 Black Coffee Blues d'Albanie Falletta

Albanie Falletta, Black Coffee Blues (2012)

What A Little Moonlight Can Do par Albanie Falletta, Chloe Feoranzo, Kala Chandra, John Joyce (2016)


Lucas Le Texier
photo © May Photography

Tuba Skinny website
Albanie Falleta website

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C’est par ici.

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