Une nouvelle Nouvelle-Orléans ?

Si la musique de jazz est le résultat d’un conflit permanent entre le rappel et le dépassement des traditions, le jazz traditionnel joué aujourd’hui en Louisiane chevauche, et davantage encore depuis la corona-crise, un tandem original, entre attachement à l’early jazz et inscription de cette musique dans la modernité technologique.

épisode 4/4 : VIRUS TIMES, CORONA SESSIONS.

par | 31 Mar 2020 | nolaSérie

Shotgun jazz Band

Shotgun jazz Band © James Sterling (2016)

En ces temps d’épidémie de COVID-19, je suis assez friand des articles qui parlent du monde à venir. Notamment de la possibilité de généraliser, voire de pérenniser le social distancing – ou en bon français, la distanciation sociale, c’est-à-dire, la limitation de nos contacts entre êtres humains. De nombreux secteurs sont impactés par ce phénomène et les métiers du spectacle morflent particulièrement.

Si je parle de cette épidémie dans ce dernier article de ma série sur NOLA, c’est parce qu’elle me semble apporter une conclusion quasi parfaite. J’ai évoqué l’utilisation des outils de diffusion numérique par les jeunes groupes de la scène de jazz traditionnel nouvelle-orléanaise. Les trois épisodes précédents ont bien montré qu’une véritable accoutumance à une consommation et à une écoute numériques avait été entretenue par ces formations. C’était particulièrement le cas pour le phénomène du busking.
La situation pandémique dope cette diffusion numérique. Tuba Skinny, confronté à une annulation de concerts, a décidé de proposer chaque semaine un virtual-busking – comprenez, une prestation de rue visionnable en ligne :

Tuba Skinny

Tuba Skinny © Neal Weinberg

Capture d'écran Tuba Skinny

— « Salut à tous, un évènement très attendu va enfin se concrétiser ! Tuba Skinny sera en concert-streaming ce samedi […] C’est notre première prestation de rue virtuelle [virtual-busking] donc il pourrait y avoir quelques imperfections mais si tout se déroule normalement, comme nous l’espérons, nous réitérons l’expérience toutes les semaines tandis que la Nouvelle-Orléans et le monde se confine face au Coronarivus. » (trad. Lucas le Texier)

Ces Corona Sessions, comme le groupe lui-même les appelle, dégainent ce que les artistes ont imaginé pour se produire dans le moment si particulier que nous vivons – le groupe compte beaucoup sur le tip en ligne, comme d’habitude. Mais cette fois, c’est loin de la rue, loin des bars, loin des festivals… Ces concerts se déroulent dans les jardins des musiciens. Un simple plan fixe au cœur de leur intimité.

Vu que la pratique est toute nouvelle, il est difficile de répertorier les groupes qui proposent ce type de concert. Je suis tombé sur un autre groupe, les Royal Street Winding Boys qui se produisaient également dans leur jardin selon les mêmes critères – on reconnait d’ailleurs le clarinettiste régulier de Tuba Skinny, Craig Flory, à droite.

D’autres initiatives numériques ont aussi permis à ces groupes de récolter des fonds de soutien. La majorité des formations ou artistes de cette jeune scène sont sur le site d’hébergement musical Bandcamp où ils proposent leurs albums en version numérique : The New Orleans Jazz Vipers, Twerk Thomson, Albanie Falletta, Smoking Time Jazz Club, Bad Penny Pleasuremakers, Cassidy and the Orleans Kids, Tuba Skinny, Shake Em Up Jazz Band, Haruka Kikuchi, The Slick Skillet Serenaders,The Sluetown Strutters…. Le vendredi 20 mars 2020, la plate-forme proposa de renoncer à sa commission sur les disques et le merchandising des artistes – générant 4.3 millions de dollars de transaction.

Sans faire de prévisions divinatoires, il semble que le modèle de production et de diffusion musicale dressé par la nouvelle scène du jazz traditionnel de la Nouvelle-Orléans peut être une réponse possible pour les artistes dans ce contexte actuel. Bien entendu, ces groupes ne vivent pas uniquement des revenus issus du numérique : ils les couplaient la plupart du temps avec des gigs dans des bars très connus de la Nouvelle-Orléans, comme au Spotted Cat ou à The Maison.

— Smiles, The Shotgun Jazz Band, The Spotted Cat Music Club (24 janvier 2018)

Cela étant dit, et s’il s’avère que le monde musical devait changer, le renouvellement de nos façons d’écouter les concerts et de faire vivre les musiciens qui les produisent pourrait s’inspirer de l’architecture construite par ces jeunes groupes de la Nouvelle-Orléans. D’ailleurs, ces épisodes le prouvent, une dissection des scènes musicales par l’écran d’ordinateur est tout à fait possible. À qui le tour ?

Albanie Falleta

Albanie Falleta © Noe Cugny

— Come On Boys Let’s Do That Messin’ Around, Tuba Skinny, The Maison (13 janvier 2019)


Lucas Le Texier

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