Vincent Lê Quang Quartet

Vincent Lê Quang, saxophones ⋅ Bruno Ruder, piano
Joe Quitzke, batterie · Guido Zorn, contrebasse

Interview. Le Crescent, Mâcon, janvier 2022
Photos, Café Charbon, D’Jazz Nevers, janvier 2022

Vincent Lê Quang Quartet - D'Jazz Nevers

Vincent Lê Quang Quartet © D’Jazz Nevers

À la première écoute de la musique du quartet, il se dégage d’emblée une impression de calme profond.
Je crois que ce calme provient de notre identité à tous les quatre. On passe de longs moments ensemble et pendant lesquels il n’est finalement pas nécessaire de parler. Je crois qu’on a volontiers une espèce de silence intérieur, qu’on aime, même, cultiver, pour que le moment où on joue ait la plus grande force possible. Pour nous-mêmes, déjà. Peut-être qu’il y a aussi le choix d’aller chercher une musique qui parle à l’imaginaire de l’auditeur, plus qu’au côté spectateur. Quelquefois, on me demande le style de jazz exact que l’on fait. Malheureusement, quand les gens nous demandent cela, on est bien en peine de répondre. La réponse que j’ai trouvée, elle vaut ce qu’elle vaut, c’est qu’il est poétique. Poétique dans le sens où il essaye de susciter une émotion qui pourrait être celle qu’on reçoit quand on lit un poème avec cette voix intérieure.

On parle de musique calme mais ce n’est pas pour autant une musique douce.
Non et je crois même que le live nous permet d’aller jusque dans les éclats, jusqu’au cri, même. Je pense qu’on a besoin de cette plage expressive entre le plus grand calme et puis le cri.

Tu parles de musiciens posés sur l’intériorité dans la vie de tous les jours, est-ce qu’en répétition on retrouve ce calme-là aussi ? Êtes-vous parfois en désaccord ?
Ça se pose jamais en ces termes, d’accord ou pas d’accord. C’est assez unique avec ce quartet, on sait qu’on trouvera les réponses au moment de jouer. La répétition, elle est là pour créer les conditions d’écoute, de disponibilités pour qu’au moment du concert, au moment du jeu, la réponse se trouve. Mais pendant les répétitions, je ne cherche pas à trouver des réponses.  

Juste à poser des questions ?
Peut-être.

Tu joues du sax soprano, tu joues du ténor. Comment tu concilies l’écart de tessiture entre les deux en live ?
De jouer les deux, je le vis vraiment comme une offre des possibilités plus larges, plus riches. Pendant très longtemps, je dis longtemps, c’est presque vingt ans, j’ai joué exclusivement du soprano en me disant qu’en le travaillant à fond et en allant chercher le maximum de son expressivité, j’avais une palette très large. Ça reste vrai. Mais les choses de la vie ont fait qu’à un moment, j’ai dû m’arrêter de jouer pendant plus d’un an, à cause d’un problème de poumons et le fait de se remettre au saxophone, par le ténor, ç’a été une manière de guérir, presque. Et maintenant ces deux instruments, pour moi, sont extrêmement complémentaires. Le ténor apporte une présence à un endroit qui est irremplaçable au soprano.

Bon, soprano, ténor, évidemment on pense à Coltrane, est-ce qu’il est toujours aussi bon Coltrane aujourd’hui ?
Oui, enfin, il est plus que bon. Il est au-delà de beaucoup de choses, beaucoup de musiciens… Beaucoup de musiques, même, en fait.

Joe Quitzke, Vincent Lê Quang Quartet - D'Jazz Nevers

Joe Quitzke © D’Jazz Nevers

Bruno Ruder & Vincent Lê Quang - D'Jazz Nevers

Bruno Ruder & Vincent Lê Quang © D’Jazz Nevers

Revenons au tout début de notre discussion, tu parlais, c’est important, de comment tu avais pensé ce quartet. Tu dis que la musique qui a lieu avec ce quartet, ne peut avoir lieu qu’avec ce quartet-là. Au tout début de ce projet, comment tu choisis le line-up ? Est-ce que tu choisis d’abord des personnes ou des couleurs instrumentales ?
Ce quartet il est ancien maintenant, notre premier concert, c’était 2008… Je ne fais pas un casting, du tout. Je crois que cela tient à des préoccupations communes, lors d’échanges, lors de répétitions et aussi à la complicité très ancienne avec Bruno Ruder. On discute beaucoup ensemble de musique et de tout un tas de choses. Je crois qu’on s’est beaucoup influencés. Même dans notre conception de ce qu’est que de jouer de la musique. Et quand on a envisagé avec Bruno de jouer en quartet, Joe et Guido nous ont semblé être des personnalités indispensables.

Tu parles de Bruno qui est aussi un maître des Fender Rhodes. C’est quelque chose que tu essaies de garder en marge de ce projet-là ?
On l’a fait une fois. Il faut bien avouer que c’étaient des contraintes techniques qui ont fait qu’on a joué plutôt avec un Rhodes qu’avec le piano. J’en ai un très beau souvenir mais il faudrait une nouvelle musique pour ça, ça ne peut pas être… Enfin, ça pourrait être les mêmes compositions, après tout, parce qu’elles nous mettent dans une humeur particulière et nous permettent de partir à l’aventure mais elles n’auraient pas du tout le même récit.  

Quand on est de ta génération, quand on joue du jazz en France, l’héritage américain doit se faire avec des découvertes et des choix. C’est quoi tes choix à toi ?
Ça ne me semble pas très original mais, mon aventure avec le soprano, elle a quand même été initiée par Coltrane et encouragée par Steve Lacy, pour donner deux noms qui m’ont beaucoup nourri, influencé. Surtout dans l’esprit que je sens en écoutant leur musique.  

Tu enregistres Everlasting, l’album du quartet sorti en juin 21 et tu as choisi de l’enregistrer au studio La Buissonne avec Gérard de Haro, qui est un maître, un artisan du son, peut-être le plus grand en France.
Quand on a envie de faire un disque en France, c’est l’endroit rêvé. Ça faisait quelques années qu’avec Gérard on se croisait. J’avais déjà enregistré une fois ou deux à La Buissonne pour d’autres projets et puis, régulièrement, je lui donnais de mes nouvelles, je lui faisais entendre un peu mes projets, et entre autres ce quartet. Un jour Gérard m’appelle : « Ça y’est, j’ai un peu les coudées franches et je voudrais qu’on fasse un disque ». C’est carrément un rêve qui se réalise comme ça ! (claquement de doigts)  

Vincent Lê Quang - © D'Jazz Nevers

Vincent Lê Quang © D’Jazz Nevers

On te parle aussi souvent, et tu en as peut-être un peu marre, de tes compagnonnages avec Daniel Humair et Texier. Est-ce que cette expérience a pu influencer d’une manière ou d’une autre la musique ou même l’interplay au sein de ce quartet ?
Forcément. Forcément et je pense tout autant de manière volontaire qu’involontaire. Cette génération de musiciens qui ont appris cette musique surtout en la jouant en club, en concert, contrairement aux gens de ma génération. Moi je l’ai apprise grâce à la rencontre avec certains musiciens mais aussi à l’école. Et ça, ça change tout parce qu’on se rend compte qu’il y a des choses qu’on ne peut pas pratiquer ni apprendre ailleurs que sur le plateau. C’est au contact de ces gens-là qu’on s’en rend compte.  

Ce sont aussi deux musiciens qui ont une part importante dans l’expérimentation musicale, je pense à la Library Music, par exemple, ou aux musiques dites traditionnelles. Avez-vous parlé de cela quand vous bossiez ensemble ? Gardes-tu cela en tête ou, au contraire, c’est pas ça qui t’intéresse chez ces deux totems ?
Je crois que c’est au-delà d’une quelconque question stylistique, ou même folklorique. Peut-être qu’au lieu de parler des styles, on devrait parler des musiciens et de leurs œuvres, qu’il s’agisse de Béla Bartók, de John Coltrane ou des Beatles. Peut-être que c’est trop… Finalement, créer, à priori, des compartiments entre les choses, je pense que… Par exemple, Bouscatel. C’était un célèbre joueur de cabrette, la cabrette c’est la petite cornemuse auvergnate. En entendant certains enregistrements de Bouscatel, on ne peut pas ne pas penser à Coltrane. Je ne pense pas que Bouscatel connaissait Coltrane et inversement mais voilà. Alors après, moi je reçois ces deux choses-là, je les constate et puis je fais mon truc mais je n’ai pas besoin de me dire : « maintenant je vais faire quelque chose pour Bouscatel ou je vais faire un truc pour Coltrane ». 

“(…) Sans silence il n’y a pas de musique, sans ce moment où les gens arrivent à un concert et tout à coup, se taisent parce qu’ils voient que les musiciens sont prêts à jouer.”

D’où vient ce soin constant du silence et de l’espace dans ta musique ? Est-ce que ça vient autant de ta pratique du jazz que de ta pratique de la musique contemporaine ou même de ton compagnonnage avec les poètes, je pense au projet Yes où tu convoquais Yeats, Emmerson ou Celan, entre autres. Tu parlais d’ailleurs de musique poétique tout à l’heure, enfin, de jazz poétique.
Oui, et ce rapport au silence ou je ne sais pas… Ça me semble juste quelque chose de nécessaire, ça parait un peu trivial de dire ça mais sans silence il n’y a pas de musique, sans ce moment où les gens arrivent à un concert et tout à coup, se taisent parce qu’ils voient que les musiciens sont prêts à jouer. Sans ce temps, plus ou moins petit, eh bien, la musique n’existe pas. Et je pense que c’est presque de notre devoir de musiciens que de le rendre encore plus précieux et de le raviver, de raviver l’écoute et si on imagine gaver, gaver, gaver, gaver sans cesse les gens au bout d’un moment, il n’y a plus de message possible.  

Tu es leader de ce quartet, comment tu définis ce rôle ?
Premièrement, c’est moi qui compose tout donc j’apporte des propositions qui sont, pour certaines, des choses précises pour chaque instrument ou des choses beaucoup plus énigmatiques. C’est une démarche très expérimentale où le jeu avec les quatre musiciens permet de trouver une réponse à l’expérience. C’est dans cette palette d’interactions que je me sens leader du groupe.  

Tu défends un jazz vivant. Question pour tous ceux qui pourraient croire le jazz mort ou alors très malade, qu’est-ce qu’il a encore de vivant, le jazz ?
Il n’est jamais aussi vivant que quand on vient l’écouter, quand on vient constater que ce qu’il se passe sur une scène entre musiciens ne peut pas être capté. On ne peut pas le reproduire. On ne peut pas revivre des moments qu’on a vécus dans notre vie autrement qu’en souvenir. Une photo peut seulement déclencher le souvenir. Il faut valoriser cet aspect vivant des choses. Peut-être que la musique de jazz, c’est celle qui questionne le plus ce caractère éphémère de la musique. Il s’agit d’art, d’œuvre d’art dans cette minute ou cette heure passée à écouter des musiciens qui jouent.  

Guido Zorn, Vincent Lê Quang Quartet - D'Jazz Nevers

Guido Zorn © D’Jazz Nevers

Vincent Lê Quang - D'Jazz Nevers

Vincent Lê Quang © D’Jazz Nevers


Propos recueillis par Guillaume Malvoisin au Crescent, le 29 janvier 2022.

les autres contenus
produits en partenariat
avec le Centre Régional de BFC
sont à retrouver ici.

Share This