The wiz, king conte

Comment un film ouvre la voie au génie de la Pop.

par | 18 Avr 2024 | articles

The Wiz

Un objet multicolore et quadridimensionnel. The Wiz, c’est un film posé quelque part entre le trop ancien, le complètement pété, l’enfantin, le déjà pop et le carrément loupé. La surenchère naît du plaisir de sa fabrication où se mêlent Sidney Lumet, Diana Ross, Quincy Jones et Michael Jackson. C’est le King of Pop qui en parle le mieux : « Quand vous faites partie d’une équipe composée des meilleurs, peu importe ce dont il s’agit, vous pouvez être sûr que le résultat sera bon ». The Wiz, célèbre ainsi la blaxploitation à l’heure où le genre est en déclin. Mais autre chose se joue sur le plateau. La production, régressive et sucrée, voit naître une collaboration explosive. C’est le début de tout. À bas le rock, le funk, le black great bop intello, vive l’anti-case pop. Tout est permis quand on a le permis, vive Quincy et Michael Jackson.

« L’époque est venue de renouveler le genre des contes merveilleux. » 1900, Lyman Frank Baum s’emporte déjà dans l’intro de son bouquin. Son Magicien d’Oz sera un récit moderne, conçu pour plaire, ce sera un divertissement. Plus tard, le livre devient un premier film. Chez Fleming, c’est de l’entertainment version âge d’or hollywoodien. Reprise à Broadway en 1972, la fable s’écrit en comédie musicale avec des acteurs noirs uniquement. Au début, le public est frileux, bien entendu, puis c’est un carton. Banco, c’est pour Berry Gordy, le patron de la Motown. Gordy veut son film. Tout en chansons, tout en danses, tout en succès. La machine est lancée. 6 ans et 24 millions de dollars plus tard, et hop, The Wiz s’allume sur les écrans en 1978.

On le confie à Sidney Lumet, le metteur en scène de 12 Hommes en colère et du claquant Serpico. Lumet est pas super à l’aise avec la rythmique musicale groovy arrangée par Quincy Jones. « Bof », c’est ce qu’on dit dans les milieux autorisés. 46 ans plus tard, on s’autorise toujours à dire que c’est pas bien dynamique, un peu mollasson, pas trop à la hauteur de la comédie musicale qui a servi de modèle. Pourtant le casting est au sommet. Diana Ross en premier. Le rôle est retaillé pour elle, quitte à ajouter une bonne dizaine d’années à l’héroïne du conte. Et puis il y a Michael Jackson, le talent à l’état brut.

Au scénario, c’est Joël Schumacher, le mec de Broken Arrow, de Chute Libre et de Batman et Robin. Va comprendre. Mais on s’adapte, on décentre. C’est Harlem, loin du Kansas original. Dorothy est désormais une maîtresse d’école de 24 ans, jamais sortie de son quartier. Un soir, elle poursuit son chien toto. Boum, la voilà happée dans un tourbillon avant d’atterrir au pays d’Oz. Dans ce monde étrange, elle rencontre un épouvantail en recherche d’une cervelle, MJ himself, un homme de fer à la poursuite d’un cœur, et un lion qui manque sérieusement de courage. Ensemble, iels partent à la rencontre du magicien. Seul à pouvoir exaucer les souhaits de cette racaille, selon ses propres mots, y compris le vœu de Dorothy : simplement rentrer chez elle.

Côté réalité, The Wiz est une incompréhension totale : tournage dans le froid au pied des Twin Towers du World Trade Center, Michael Jackson qui met mal à l’aise l’équipe en apprenant trop vite les pas de danse, accueil du public carrément hostile, flop commercial. Surenchère, on l’a dit plus haut. Beaucoup de costumes, beaucoup de danseurs, beaucoup de couleurs et beaucoup d’univers trop différents. Des bas-fonds d’un centre-ville miteux d’où gigotent des personnages sortant d’un tag mural, on bascule dans une fête foraine, puis dans la cérémonie très classieuse animant un quartier d’affaires. The Wiz, c’est des fées, des sorcières, des singes à moto, des poubelles avec des dents qui agressent les gens dans les bouches de métro. Bien plus urbain que l’histoire originale de Frank Baum, l’esprit du film reste cependant très proche. Ce récit vante l’aventure et la découverte, le dépassement de soi. C’est l’esprit pop, du juvénile où s’agglomère du tendre, du rude, du bestial, de l’amusant et du plaisir.

Logique, c’est Quincy Jones qui joue au centre. L’arrangeur mythique qui passe du be-bop au hip-hop en contournant le rock, en surfant sur le Rythm’n’Blues, le Funk et la Disco. Il impose sa patte sur la musique de Charlie Small. S’il y a des envolées vocales, elles sont maîtrisées, avec de la belle vibration gospel. L’interprétation est scandée, ça mitraille avec engagement, la fée speeche en phrasant sévère hip hop soul. Bien sûr, le piano easy-jazz s’installe, le vibraphone s’impose pour donner de l’enchanteur et du magique. Et pourtant, ça sent le flegme à la sauce du Roy Ayers de Coffy. Cuivres, basse et funk seventies pressante, mélodies et frénésie des corps auxquels s’ajoutent les voix claires des plus beaux dignitaires du pop : Diana Ross et Michael Jackson.

Et, c’est justement là, en 1978, que commence l’histoire. Une autre histoire. Celle de la pré-pop. Quincy rencontre un Michael survitaminé, ultra-perfectionniste. Le musicien-producteur-arrangeur reprend le jeune Jackson sur sa prononciation de Socrate. Pas mal pour commencer. La suite va être à la hauteur. Quincy fourbira la production des 3 albums les plus ravageurs de Jackson. Le magnifiquement disco et soyeux Off The Wall (1979), le plus vendu de tous les temps, Thriller (1982), et l’explosif et terriblement eighties Bad (1987). De cette collaboration naît la pop moderne, une musique moins limitante que la comédie musicale signée Motown. Le génie pop naît de la liberté trouvée, un moment de grâce dans la grande histoire de la petite musique. Habitué du cinéma, nourri de ses rencontres, de Ray Charles à Henri Salvador, Quincy Jones a trouvé la clé vers les superlatifs, les plus gros succès et ses exploits gravés à tout jamais dans le marbre musical.

The Wiz est peut être un loupé, un rendez-vous manqué avec beaucoup de talents et d’argent, mais c’est aussi un marchepied vers le monde d’après. Le film joue des coudes avec les codes anciens. On prend du presque rance et on recommence. Vinrent, alors, la libération et l’émancipation par la pop. Plus de blaxploitation, plus de charts blacks. Juste de l’efficacité dédiée au plaisir de toutes les oreilles.


Aurélien Moulinet
Screenshot © The Wiz, Sidney Lumet, Motown Productions (1988).

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