Lucas Le Texier l’avait déjà repéré, l’an passé, en live à Nevers, ce blues tord-boyaux qu’est I’ll Get By, dans la version de Bribes 4. Gesser y incendie son sax, et Olàh lance en faux laid-back, quasi réconfortant, avant les micros déflagrations noisey qui vont suivre. Incendie et intranquillité, calme à la puissance d’airain, Bribes 4 est un groupe paradoxe. On l’a dit et redit, en suivant les travaux du ténor au sein de Coax, d’Umlaut de Fluxus ou encore de Bribes. Paradoxe, donc, comme dans cette entame du standard des standards suicidaires, Gloomy Sunday : « Sombre dimanche, les bras tous chargés de fleurs ». Mortel, non ? Perfection du choix d’un chant en traduction FR, sur ce track, et pour d’autres : génie tranquille de ne pas se laisser happés par les interprétations que d’aucuns qualifieraient d’indépassables. Ce disque est une relecture très personnelle d’un matériau d’Histoire commune. Soit l’alpha, l’oméga et le bêta, au sens grec du mot, du blues féminins et féministes. Soit la sainte trinité parfaite : Ma Rainey, Bessie Smith et Billie Holiday. Ainsi pour ce Strange Fruit plus vénéneux qu’exotique. Il faut dire ici que la noirceur à l’œuvre dans The Sky Is Crying est de celles qui allument des feux de forêts, des étincelles jusque dans les yeux des plus bigleux d’entre nous. Gesser est coutumier de genre de cabrioles intellectuelles.
Coax, n’est pas en reste pour faire trembler. La rage est là, on devrait même sans doute, davantage recevoir les entrelignes ou les frontalité de ces femmes-auteures de leurs propres reconstructions après avoir été maltraitées, battues, violées, méprisées, voire adulées parce que méprisées. La haine de genre est une chose dense et complexe à traiter, rapportée au racisme endémique des USA, elle nous obligerait à jongler avec de la nitro. Si l’on reste sur le terreau musical, sur ce disque, l’amour et la douleur cohabitent dans une série d’émotions inexpugnables, déjà officieusement inscrites au matrimoine de l’humanité. Des femmes ont chanté, et un quartet de petits suédo-frenchy blanc·hes rejouent leurs scansions. Pour les poser ailleurs, bien plus loin que sur le seul terrain de la reprise ou de l’hommage. Mais sur celui d’un blues d’aujourd’hui, malin, beau, un blues poppy, He’s Got Me Goin, mâtiné d’un son de groupe précis, de dialogues tendres, de sons bruts, de perfection sale et rudimentaire, d’ornements frondeurs aux machines et à la batterie, d’un art de la syntaxe émotive impressionnant. Ce disque va nous rester longtemps sur l’estomac. Petit prodige de musique.
Coax Records : bandcamp