Stéphane Clor sait planter des clous
Sur les Bilans Météo de 2020, il y a de sacrées jolies éclaircies. Mulhouse recevait en août dernier un hommie et plusieurs de ses projets. Stéphane Clor, strasbourgeo-Mulhousien, est musicien. Pour le festival Météo, il livrait notamment un set magnifique de son projet Nuits. Il livrait également un peu de lui-même dans une interview. C’est à lire ici, un violoncelle ou un marteau à la main.
Stéphane Clor, copier n’est jouer © Jean-Claude Sarrasin
Quand es-tu remonté sur scène après le premier confinement ?
Le 9 août, dans une Abbaye, pour Météo Campagne. C’était un double solo, enfin solo croisé avec Ross Heselton. Lui fait plus de la folk, on a donc fait deux solos qu’on croisait.
As-tu retrouvé tes repères tout de suite ?
C’est difficile parce que tu es déstabilisé. C’est comme si tu avais perdu un peu d’expérience, que tu es face à un geste qu’il faut te réapproprier. Quand tu as joué face à un mur pendant plusieurs mois et il faut retrouver l’ampleur du son.
Tu avais l’impression d’en faire trop peu ?
J’aime assez l’aspect minimal, la texture. Ça m’a amené à allonger le son comme si le temps avait été dilaté. Comme si on prenait le temps de tout dire. Ça a eu cet effet-là sur moi, essayer de ralentir, de déployer le son. C’est un peu con à dire, il y avait presque un effet solennel vu la préciosité du moment, on rejoue face à des gens, en plus la voûte de l’abbaye était super haute, l’acoustique était parfaite.
Te définis-tu toujours comme contrebassiste ?
En ce moment, je joue aussi beaucoup de violoncelle. J’ai toujours eu du mal à ne me définir que comme contrebassiste, je préfère musicien. On a toujours un rapport à d’autres instruments. J’essaie vraiment de travailler sur le discours musical plutôt que sur la technique instrumentale. Ma question, ce serait plutôt de désapprendre : aller vers violoncelle, vers la musique électroacoustique, les arts plastiques, l’objet sonore, quelque chose de l’ordre de l’organisation du temps dans l’espace.
Stéphane Clor de Nuits © Jean-Claude Sarrasin
Trames Électriques (Motoco, Mulhouse, 2019)
« je joue un demi-violoncelle, fait pour les enfants et accordé une quinte plus aiguë. C’est un instrument un peu bâtard entre le violoncelle et l’alto.»
Comment s’organisent ces changements, pour toi ?
J’avais commencé la musique tard, vers 17 ans. Je suis rentré au conservatoire vers 19/20 ans, donc avec un retard énorme sur la technique. On m’a beaucoup encouragé à développer la technique. Sans background technique, j’ai tout de suite essayé de la détourner avec mes propres gestes, trouver les sonorités intéressantes à développer pour moi. En ce qui concerne le violoncelle, l’instrument que je joue est assez particulier, depuis 2 ans je joue un demi-violoncelle, fait pour les enfants et accordé une quinte plus aiguë. C’est donc un instrument un peu bâtard entre le violoncelle et l’alto. C’était intéressant d’aller chercher cette tessiture d’instrument. Par rapport à la contrebasse, c’est comme une extension.
Comme si tu rallongeais ton manche ?
Exactement (rires).
Te considères-tu comme un musicien chercheur ?
Est-ce qu’on peut être musicien et pas chercheur ?
Nous y voilà donc, à la fameuse question implicite.
Épouser une carrière d’interprète, c’est une autre façon de vivre sa vie de musicien. Souvent ce qu’on critique c’est le côté un peu plan-plan de la musique, qui serait juste un job, et ça me rend un peu triste. J’interprète aussi de la musique contemporaine avec un ensemble qui s’appelle HANTASUmiroir, avec d’autres ensembles, aussi. Pour moi, il n’y a pas de hiérarchie là-dedans, tu peux très bien être créatif dans l’interprétation, mais cette attitude de recherche est primordiale pour moi, quel que soit le terreau exploité. Tu peux faire de la recherche chez Bach, de toute façon, c’est infini.
Je regarde ton boulot et ce qui me frappe avec évidence, c’est la patience et la sérénité.
Ça me fait plaisir que tu me dises ça. Il y a de la patience mais pas forcément une grande sérénité. (rires) Déjà je cherche l’unité dans mon travail et ça a toujours été une difficulté pour moi. La grande question ça a été « dans quoi je m’ancre ? ». L’expérimentation m’a toujours nourri, ça a donné du sens à ma façon de faire de la musique parce qu’au départ j’étais toujours le mec qui savait pas quoi. Par la suite, en allant vers les arts plastiques, j’ai été très influencé par l’art minimal et post-minimal. Tirer une ligne dans l’espace et voir ce que ça raconte. C’est le même rapport que j’ai envie d’avoir en musique. Tirer un son dans l’espace et considérer toute la richesse harmonique, la réponse globale de l’espace.
Quand tu parles de work in progress constant, on dirait que l’univers Clor est une nébuleuse. Il y a des gens qui, toute leur vie, tapent sur un même clou mais toi, au contraire, tu frappes tous azimuts.
Je crois que je suis parti avec mille clous et que maintenant j’arrive à taper sur peut-être seulement 30. Si j’arrive à réduire encore leur nombre à 5, ça serait pas mal (rires). C’est encore cette question de ce que tu veux raconter, c’est un long processus. Il y a toujours ce doute et cette remise en question qui me fait me dire « peut-être que c’est là ou alors cet angle ». J’ai de l’admiration pour ceux qui trouvent un clou, même si j’ai du mal à croire qu’on sache déjà trouver son clou à 17 ans, 20 ans, ou même 30 ans. Je sais pas combien de disques j’ai déjà abandonné à la fin du mixage.
Tu vois où tu vas parfois ?
De plus en plus. Actuellement, je crois que c’est une des premières fois dans ma recherche où je me dis qu’il y a rien qui me ressemble pas. Je n’ai pas réussi à tout combiner dans un seul champ, c’est extrêmement difficile. En ce moment j’explore. Beaucoup de textes, la contrebasse, le violoncelle, l’objet sonore, que ce soit dans sa manipulation ou dans son extension plastique. Ça, ça veut dire travailler dans l’espace avec des objets en autonomie, donc avec le champ de la programmation électronique qui pourra les faire fonctionner. Au fur et à mesure, j’ai quand même abandonné des choses, mais c’est un processus super long, aussi, d’abandonner les choses. Même si c’est là où tu deviens de plus en plus toi-même.
«Tu fouilles
et parfois tu te dis :
« Ça claque ».
Crois-tu qu’une part de ton travail serait de nous révéler
le sens de certaines choses ?
Au sens éducatif ? Pas du tout.
Plutôt dans ta façon de nous offrir des mini-révélations.
Souvent c’est ça, mais des mini-révélations d’abord pour moi. Tu fouilles, et là tu te dis « ça claque » et des fois ça claque que pour toi et ça c’est vrai (rires). Je me donne pas comme mission de faire percevoir des choses que moi j’aurais perçu mieux que les autres, ça c’est certain. Les gens perçoivent des choses, sans doute bien différentes que ce que j’ai en tête. Cette confrontation m’intéresse davantage.
Est-ce que dans ton travail, il y a une part de préparation ?
Je réfléchis beaucoup avant. Parfois, tu as des intuitions fulgurantes mais le plus souvent, c’est un long processus de recherches fastidieuses, avec la pelle et la pioche. Tu creuses dans le rocher, tu trouves une forme qui t’intéresse. Et là, elle met du temps à mûrir. Il faut réfléchir, lire, revenir à la théorie. Il y a du défrichage, de l’intuition, un passage par l’intellectualisation. Et j’aime me confronter à ce qui a déjà été fait. Par exemple, là, je lis David Le Breton, Disparaître de soi, et il y a des questions que je me pose depuis des années : la distorsion des sensibilités au temps post-numérique, le rapport aux médias, comment ça change les sensibilités, comment on repense les espaces, le rapport à l’autre. C’est ça qui m’intéresse, le rapport à l’écoute et à la patience.
On a utilisé beaucoup de mots pour définir ton travail. Comment cette musique qui naît d’un procédé assez intellectuel se révèle-t-elle aussi organique et sensitive ?
J’ai une technique très simple. J’amène mes parents. S’ils chopent des trucs, c’est que je suis sur la bonne voie. C’est pas une blague. Je ne viens pas du tout d’un milieu qui connaît la musique et l’art, même s’il y a des sensibilités. Mon père était chef étoilé, donc il avait un rapport à la création mais qui restait éloigné de la musique contemporaine. Ma famille c’est un bon thermomètre pour garder mon rapport à la création accessible. Le rapport à une œuvre est hyper complexe aussi parce que tu dis que cette œuvre se suffit à elle-même pour rayonner sur tout le monde. J’aime bien penser qu’on est seulement un entremetteur d’idées.
Musique Actions (sept. 2020)
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propos recueillis par Guillaume Malvoisin en août 2020 au festival Météo à Mulhouse.
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Festival Météo
À L’IMPROVISTE live
Chronique du concert de Nuits au Festival Météo 2020 : chronique de PointBreak
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