Sornette
Yonathan Hes : saxophone · Pierre-Antoine Savoyat : trompette
Jonathan Chamand : contrebasse · Loup Godfroy : batterie
Interview. Rencontre à Nevers, dans le cadre de
la saison D’Jazz Nevers Nièvre, mars 2022
Café Charbon.
Sornette en concert au Café Charbon © LeBloc
Sornette, comme le serpent ?
Yonathan Hes : [rires] On cherchait un nom et de base, le groupe était tourné dans la direction de la musique d’Ornette Coleman. On a aussi des grands blagueurs dans le groupe, Pierre-Antoine a donc pensé à Sornette.
Donc Sornette, c’est pour Ornette. C’est un hommage ?
Pierre-Antoine Savoyat : Pas un hommage dans le sens de la mémoire. On ne va pas rejouer la musique d’Ornette comme elle est jouée dans le quartet originel. D’une part, on n’en serait pas capables et d’autre part, on a différents backgrounds, on est tous européens… En revanche, ce qu’on cherche, c’est l’esprit de la musique d’Ornette. Casimir Liberski, un ami pianiste bruxellois, a vécu 10 ans chez Coleman. Il m’a toujours dit que c’était quelqu’un de très généreux. On le sent dans sa musique : c’est quelqu’un qui partage quand il joue sur scène. Il y a aussi la prise de risques. Parfois on glisse, ça ne va pas être une musique très propre.
Reprendre Ornette et sa philosophie, ça parle à votre génération ?
PAS : J’ai l’impression que la jeune génération de musiciens, au-delà même du jazz, s’intéresse à cette musique et à toute cette époque du free. Peut-être parce que tout le monde se rend compte qu’il y a une énergie communicative. C’est une musique qui a l’air jeune mais récemment, un musicien m’a dit en jam : “Tu sais, la musique d’Ornette, c’est les années soixante… Ç’a déjà soixante ans”.
Est-ce que, paradoxalement, ça ne fait pas de vous des traditionalistes ?
YH : Personnellement, je pense qu’il y a beaucoup d’artistes qui continuent dans cette lignée. En ce moment, je suis beaucoup influencé par Steve Lehman et son jeu fait beaucoup penser à celui d’Ornette, avec un son d’alto très brut, très criard. Au niveau du son, il y a une vraie recherche de liberté et de créer une voix libre, sans artifice. Juste un timbre de voix très concret, très honnête, sans habillement. Pas mal de monde autour de moi refont ce chemin inverse et repassent par Steve Coleman, Ornette puis Don Cherry. C’est plutôt d’actualité, en fait !
Mais comment on qualifie ça ? Un combat contre une esthétique parfaite ?
YH : On peut dire que c’est un combat. Quand on croit très fort à une idée, et qu’on veut aller jusqu’au bout de cette idée. Ce n’est pas forcément un combat contre quelque chose mais c’est plus “believe in what you’re doing“.
Le free de Sornette, c’est plutôt un style ou une façon de jouer ?
YH : C’est plus une attitude.
PAS : J’ai l’impression parfois que le free est un mot valise qui est là pour classer tout ce qui n’est pas d’une esthétique plus traditionnelle. Ça peut être un style, une manière de jouer…
YH : Ce que je retrouve souvent dans les musiques de free, c’est que ça part vraiment du son et de la brutalité de la matière plutôt que d’éléments mathématiques de classification du son comme l’harmonie, la mélodie, le rythme.
PAS : Et paradoxalement, les musiciens de ce courant, comme Ornette, ont cherché d’autres manières de codifier leur musique. Ornette avec le jeu harmolodique ou Steve Coleman qui a inventé ses codes. D’autres ont travaillé sur des langages plus européens comme Anthony Braxton qui va écrire des morceaux avec des règles du jeu très précises.
Sornette reprend des concepts de Coleman ?
YH : Pas trop de Coleman. On a quelques morceaux à concepts mais plus dans l’écriture. Dès que ça passe à l’improvisation, on ouvre les oreilles. Et voilà.
Les autres éléments de votre collaboration ?
PAS : Ça reste quand même assez collectif, dans le sens où chacun peut amener des morceaux.
YH : Pas mal de morceaux qui ont été détruits pour donner quelque chose de différent comme Le Soleil se Lève. Je l’avais très écrit puis on s’est rendus compte que ce thème pouvait être joué beaucoup plus free, comme l’aurait joué le quartet d’Ornette Coleman.
Qu’est-ce que ça vous ouvre comme porte l’absence d’instrument harmonique ?
YH : On entend plus la contrebasse. Pour moi, c’est important. Parfois, le manque de piano ou de guitare peut réduire un peu la densité du groupe, ça peut manquer. Mais je pense qu’on fait face notamment avec Loup, qui a un jeu incroyablement dense. Il sait gérer les cymbales pour passer d’un truc très fin à un truc tellement rempli que tu as presque l’impression qu’il y a un piano. Personnellement, j’entends la contrebasse, les notes jouées, et pas juste une espèce de flou dans les basses. En plus, on a une petite complicité avec Jonathan.
PAS : C’est beaucoup plus contrapunctique. On est moins dans les rôles qu’on aurait avec un polyphoniste, surtout un piano qui peut parfois beaucoup plus diriger la musique. Pour nous, les soufflants, ça peut être compliqué, quand on a un pianiste, on se repose plus facilement. Là, personne ne peut se mettre en retrait, sinon ça s’entend.
YH : C’est assez sportif comme formation. C’est intense, on doit tous rester concentrés tout le temps. C’est en lien aussi avec cette brutalité que cette musique essaye de trouver. Brut au sens de naturel. En gros, le piano ramène de la couleur. Les projets sans harmonie, c’est une musique très squelettique, au sens où il y a un gros accent sur le rythme, sur le groove. Et on aime ce truc très groove.
Vous avec la rythmique de Felsh ! dans ce projet-là. Est-ce qu’il y a des correspondances entre les deux groupes ?
PAS : On connait très bien Clément Merienne, le pianiste de Felsh !. On a aussi joué dans La Si Do ensemble avec d’autres membres de Sornette. Je ne vois pas la musique comme étant quelque chose de cloisonné avec ceux qui jouent du free et ceux qui jouent de la musique classique européenne. À partir du moment où on rencontre des gens, ils nous influencent.
Sornette vous a emmenés sur scène. C’est quoi la suite ?
PAS : On n’en a pas encore parlé mais probablement qu’on va enregistrer cette musique.
YH : Faudra qu’on y vienne à un moment.
— photos © LeBloc (2022)
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Propos recueillis par Lucas Le Texier au Café Charbon, le 10 mars 2022.
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