orgueils, spirit
et tendresse infinie
Météo, Mulhouse Music festival, jeudi 24 août 2023.
Thibaut Florent / Ben Lamar Gay : Deux solos
Salle de la Fraternité. Pas mieux. Étrennées un peu avant par un Thibaut Florent en solo-solaire, brut et théâtral, les boiseries du 18 rue d’Alsace font le lit des imprécations sans forfait ni procès. Deux solos. Tradi du 12h30. Délicat et saccageur, c’est ce qu’on notait du très beau disque So-lo-lo #3 de Florent. On reprend les mêmes épithètes pour ce live. Mise au clair patiente de chacun de ses sons, propulsés par un artisanat fragile et personnel. Puis destruction du tout après une mise à l’épreuve solide. Inspiré par l’Indonésie, ses îles et ses gamelans, ce solo en porte aussi la marque. Celle du bon vieux principe que rien ne se perd sans s’être transformé.
Voix nue, flûte obsessive en ouverture du solo de Ben Lamar Gay, rentré en pleine forme de sa Separatist Party de la veille à Motoco. Jeu avec le lieu, boiseries, reverb, sans doute avec l’essence même du lieu : solo à la liturgie païenne affichée, protest impro comme mise à feu de la quarantaine de minutes d’un live sans défaut. Bien meilleur décollage qu’une Arianne en perdition à Kuru. C’est une folie à la Rahsaan Roland Kirk qui alimente le moteur du set et emplit peu à peu l’espace. Faire du son de toute source, répéter les patterns jusqu’à forer les tympans d’une certaine réalité et lui ouvrir des ailleurs. Pas de discours sonore, juste de l’action. Action, action, et pensée en action. Souffle, scansion, pieds frappes au sol, pour lever des ponts-levis et laver quelques habitudes locales au Chicago Spirit. Insolent, oui. Radical, oui. Créatif, toujours. Forcément. Healing rituals et invocation des absents ou des disparues, présents au creux du pavillon, sous la peau du tambourin de Lamar Gay. Présences gonflées tout entières d’orgueil et de magie pour repousser les limites du silence de cette salle. Pas loin d’une forme de baptême laïque et joyeux.
Sakina Abdou solo
La brutalité à l’infini de la tendresse. Pas meilleur résumé pour une review écrite un jour après ce solo magistral. Sax ténor, sax alto. À peine le temps pris de souffler, entrée dans la matière illico. Sakina Abdou fait corps avec la matière qu’elle fore. C’est la trait des poètes qui se joue ici. On creuse, on creuse on creuse puis on découvre. Ce qui résonne après la lame ou la mèche, ce qui brille par inadvertance après le geste sûr. Ce sole est un chapelet de possibles. Bien mieux qu’un granulaire de grenouille de bénitier, un dimanche de France profonde, salement remise au goût du jour. Ici, rien ne se perd non plus, tout s’invente sur place et sur pièce. Et la nation qui s’illumine ici, c’est la jonction de deux possibles. Ce qui est fait et ce qui est entendu. Au sens premier du mot. Sakina Abdou explore. Sans concession mais avec une délicatesse extrême. Le coup d’épaule des premières notes assénées au ténor se résout dans la bienveillance du motif soufflé à l’envi au sax alto en fin d’impro. Quadrature du cercle en guise de réconfort. Solo qui devrait être mis sur ordonnance de tout un chacun, deux fois par jour. Avant les repas.
EAT DRINK MAN WOMAN
Bonbon Flamme
Bonbon Flamme, c’est pas pour les enfants. Ou alors les enfants de saligauds, ou alors les enfants du soleil qui parcourent la terre le ciel et cherchent leur chemin. Vie, destin et tutti frutti. Hors du sweet and sour annoncé par le nom du combo, Bonbon Flamme prend de cours. Ultra maîtrisé, ultra écrit. Un peu dark, très violent et d’une puissance qui n’a rien de rose pastel. Bien entendu, il y a les motifs acidulés perdus dans la matière bouillante et flottant avec la classe des nouilles alphabet dans un potage. C’est très classe, on peut se reconstituer le récit idoine. Celui qui plaît, qui rit et séduit. Pour le reste, c’est creusé dans la masse, l’acide citrique, la poésie brute et la technique de chacun des quatre gourmets en apnée. Il y a des climats magnifiques, il y a des esthétiques puissantes, il y a des choix discutables mais surtout ce Bonbon affiche un corps commun qui fait sens dans la potacherie tout juste esquissée comme dans l’élégie suspendue, tenue et belle à vous fendre le gosier. C’est ténu, oui, mais tendu aussi. Avec des bordées d’ostinatos amusés et frénétiques, des arpèges et des contrepoints si limpides et jugulés qu’on pourrait y lire l’avenir. Celui d’un petit théâtre sonore jaloux de ses secrets mais généreux dans les beignes qu’il file à l’assistance publique.
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Guillaume Malvoisin
photos © Alicia Gardès
aliciagardes.com / instagram
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