Le Sacré, la puissance
et la ferraille dissidente
Météo, Mulhouse Music festival, vendredi 26 août 2022.
Lucie Railton & Kit Downes / Subaerial
Drone et battements, voila pour ce qui entre en jeu entre Lucie Railton et Kit Downes. Carrément plus versé dans l’art simple que dans le tunning de série TV, Kit englobe de basses et de touches précises ce que Lucie invente de cordes frottées. C’est Olivier Messiaen et György Kurtág devisant de la progression harmonique chez Ellington. C’est un appel au sacré en laissant le dogme au fond du missel, chaque musicien prenant le relais de l’autre dans la production d’éclaircissements, de lenteurs exégètes pouvant agacer mais aussi d’épiphanie minuscules. L’impatience et la vertu. Forcément, entre les murs d’un Temple. Le déséquilibre physique des deux instrument, place haute et large pour l’orgue, basse et frontale pour le violoncelle, s’efface très vite du fait de la complicité prenante qui veille sur ce set. Railton et Downes dialoguent comme des carmélites et rivalisent de secrets tout juste murmurés, de mystères à peine dévoilés. Et, de ceux-ci, bercés par des dynamique de jeu aussi soigneuses que contradictoires, naît un espace sonore sobre et instable, percé de mille récits, proche de ceux qu’on susurre à l’oreille amoureuse à ce moment de bascule où elle s’endort.
MOPCUT & Kaffe Matthews
Julien Desprez, tiers de Mopcut, relance les débats là où son Agora de la veille les avait laissés. Ce soir, les échanges se font à quatre, Mopcut invite l’électronique selon Kaffe Matthews. Énergisante et peu propice à donner le sommeil, Mathews vient compléter les skills d’un trio qui pourtant n’en pas. C’est franc et aussi tranchant que l’attaque de Pantani dans le Mortirolo en 94. Mopcut a tout misé sur l’eau claire et les murs de sons. Après les maçons du cœur, voici les maçons de la fureur. Ce cluster est sans doute même le plus puissant de ces 3 derniers années, avec une musique plus intense que les clap-clap de 20h, plus harmonieux que les cris de bonobo des antivax. Du cluster sans confinement ? Bien au contraire. Tout se resserre sur un axe vissé par Kaffe Matthews, axe qui incite d’aucun à s’enfouir, qui invite d’aucune à plonger dans la matière du trio devenu quartet pour ce concert à Météo. À plonger la tête la première dans la densité, les dents en avant dans la masse sonore. Ne serait que pour goûter au grain de la voix d’Audrey Chen, au bois des baguettes de Lukas Koenig dont le drumming, tapageur et soutenu par l’électronique, ouvre des espaces à scandales. Le genre de scandales qui vous met à genoux, avec le sourire.
Star Splitter
À fracasser des étoiles, convenons-en, il y a de fortes chances de se prendre de la poussière dans l’œil. Or, ce qui ferait pleurer même le plus érudit avec Star Splitter, duo formé par Gabrielle Mitelli / Rob Mazurek, c’est la naïveté ancestrale avec laquelle la musique se stratifie. Jouerie puis boucle, loop puis jouerie. C’est l’histoire de la vie, le cycle éternel. Et dans cette éternité entr’aperçue, jaillit du chamanisme spatial, des facilités cosmiques, de la croyance interstellaire, des nappes sensuelles, des attaques de thème façon post-Bop, des assauts de cuivre et d’autres choses plus fragiles. « Un exercice d’équilibriste au pied d’un mur d’escalade » soufflera, en verve, Viviane M., présidente de l’Ensemble des percussions corporelles de Mulhouse à sa voisine. Pas meilleur résumé. Le fragile est ici constitutif de cette longue phase suspendue sans être ralentie pour autant. La battue est lente, ample mais de cette lenteur et de cette amplitude qui bercent les connexions mondiales, le fessier des reines et les symphonies lunaires. Dans son mêlisme 2.0 de trompettes (bugle, cornet, pocket etc) qui répond aux beats et aux drones les plus charnus, Star Splitter ne semble disposer à ne vouloir tutoyer rien d’autre que la stratosphère, loin, là-haut. Là-haut où se sont réfugiées l’âme de Jaimie Breezy Branch, et les notes suraiguës soufflées de colère et de tristesse par un Rob Mazurek effondré. On parlait de pleurer plus haut. Quelques larmes ont été versées dans le silence qui a suivi.
Prangers
Prangers. Wranglers. Wankers. Pranksters. Banksters. Bangers. Springers. Pringles. On pourrait continuer longtemps de vider es caves de l’Urban Dictionnary à l’écoute du set du trio mancunien. Manchester, Manchester, so much to answer for. À commencer par ce mystère qui laisse entendre l’accent popu, sournois et peu fiable de la ville au sein même de la musique. Joe Tatton, Maryanne Royle et Dan Watson ont la classe rude et sans appel, le talent de débraillé du combo Bez & Shaun Ryder. ‘Happy Monday’, un vendredi soir, c’est swag. Pour le reste, c’est de la récup’, littéralement, des choses diverses dans les friches de Motoco. De la récup’ de ferrailleur que vient fracasser un sens abouti du bordel percussif. Tout se cale à merveille, extincteur en bout de course, bouteille de gaz, MPC version Manchester, batterie dont il aura fallu rapporter une pédale de grosse caisse en rampant pendant le live. C’est joyeux, très joyeux, les Prangers. Et ça joue très bien. Le genre de broc braque et foutraque, certes, mais furieusement porté sur la danse de sauvageons. De quoi tenir éveillé à jamais tout ministre tenté d’être trop tatillon sur l’Ordre et la Loi.
—
Guillaume Malvoisin
photos © Alicia Gardès
aliciagardes.com / instagram
—
+ d’infos sur le festival Météo
D’autres chroniques de live
pourraient également vous intéresser.
C’est par ici.