Limsa, rappeur de woof
Limsa d’Aulnay est un rappeur qui s’est construit années après années, de freestyles en freestyles. Comme tout bon spiritueux, il se bonifie avec le temps. Juillet 2020, c’est la maturité, il sort le volet 1 de Logique, son premier projet. Décembre 2020, le volet 2. En attendant, le troisième et dernier shot, on fait le point sur sa place dans le rap jeu.
screener Le ptit Limsa / clip © Grünt (Théo Couvidat & Benjamin Chevallier)
Comme beaucoup, je t’ai découvert avec les freestyles Grünt, notamment le 11 où tu étais l’invité de Georgio. C’était en 2013, est-ce que tu as été surpris de cette invit, vous aviez déjà échangé avant ça ?
Georgio et moi, on se connaissait déjà depuis peut-être 2 ans. Il traînait beaucoup à Aulnay et il rappait avec un mec qui s’appelait Wallaz qui était d’ailleurs dans la Grünt. Mais la connexion réelle, c’est mon voisin LI2S qui est dans ma Grünt, lui pour le coup, il connaissait Georgio et c’est lui qui m’a présenté. Ça s’est fait comme ça, à Aulnay-sous-Bois.
Plus tard, Georgio dans ta Grünt.
La boucle est bouclée.
Tu pratiques pas mal le freestyle, est-ce que ça te permets de tester des trucs avant de rentrer en studio ?
Je sais pas, c’est sûr que ça a influé sur ma technique d’écriture. Je crois que c’est un exercice de style différent, freestyler et écrire une chanson, tu vois. J’écris pas pareil mes couplets pour des freestyles et mes couplets pour des morceaux, même si des fois dans les freestyles je rappe des couplets de morceaux tu vois ce que je veux dire. Par exemple, pour ma Grünt y’a des couplets que j’ai écrit pour l’occasion. Je les construis pas pareil. Les couplets de morceaux, c’est des couplets qui vont être mis en miroir avec un couplet du deuxième refrain alors que pour le freestyle c’est juste des seizes mesures qui se suffisent à eux-mêmes.
Tu es très proche de la 75ème Session, est-ce que ce sont ces gars qui t’ont ouvert des portes sur le rap, peut être justement des studios, du matos ?
De ouf, de ouf, de ouf. Je serais pas le rappeur que je suis si je les avais pas rencontrés. La 75ème Session, c’est vraiment des gens qui font se connecter les gens. Pour beaucoup d’entre nous, on a été amenés à aller là-bas grâce à Georgio. Par exemple, Sopico c’est Georgio qui l’a ramené au Dojo, moi c’est pareil. Vesti, c’est pareil, Inspire c’est pareil. On s’est à peu près tous connectés via lui et on a commencé à traîner là-bas, à faire des sons. On était tous différents, on venait d’endroits différents. Ça s’appelle 75ème Session mais à part les membres fondateurs, on venait pas du tout de Paris, moi je suis du 93, Hash 24 vient de Normandie, Georgio, c’est un mec de Rennes ou d’Angers et Sanka, pareil. En vérité les vrais parisiens c’est Sopico, Inspire, M le maudit maintenant et à l’époque le regretté Nepal.
Le Dojo, ça a été le point de ralliement.
Une grande baraque où on allait se poser comme ça. Il y avait un studio, on faisait pas tout le temps du son. Moi, j’en faisais quasiment jamais, j’étais que dans le divertissement, je m’amusais. Ça a créé des liens. Y’a beaucoup de groupes de rap qui se sont connus jeunes et ils ont progressé ensemble et je respecte ça à fond parce que c’est la manière la plus naturelle. Nous, on s’est connus à un âge déjà avancé. La plupart des mecs, ils avaient déjà des années de rap dans les pattes. Franchement, on a été formés quasiment comme un boys band, ça a pris des mecs à droite à gauche, comme ça tu vois. Ça arrive en vérité assez rarement, sans se connaître on a tous kiffé à peu près le style de rap de l’autre. On avait des identités assez distinctes.
Le boys band du 75, ça sonnerait bien.
J’espère que je serais Adel dans les 2Be3.
— Starting Block feat. ISHA (2021)
— Le ptit Limsa (Freestyle Live Sessions Views, 2021)
7 ans plus tard, tu as enfin ta Grünt est-ce que tu aurais pu l’imaginer à l’époque ?
Je t’avoue que le rap j’y croyais moyennement, je voyais pas comment ça pouvait marcher. Peut-être que dans un coin de ma tête, je me disais que ce serait cool d’avoir une Grünt. Je pensais ni la mériter ni rien d’autre.
Dans les Grünts et même dans tes morceaux tu es super balaise en punchlines. Tu penses qu’il peut y avoir du rap sans punchlines ?
Ça dépend. Après, le mot punchline, tu connais maintenant, il est un peu galvaudé. Tu penses peut-être, je sais pas moi, à des jeux de mots à la con et tout, mais si une punchline, c’est dire une phase qui reste en tête, bah du coup, ça fait partie de l’écriture. Et l’écriture, c’est un paramètre du rap qui peut faire qu’on écoute cette musique pour cette raison. De la même manière, y’a plein de mecs qui font du rap qui sont archi forts et leur écriture, c’est pas forcément quelque chose d’impressionnant. Un mec qui écrit archi bien mais qui à une manière de poser qui est chiante, bah tu vas te dire il écrit bien mais je vais pas écouter ses sons. Ça va être désagréable et, à l’inverse, un mec qui écrit pas très bien mais dont les mélodies sont cools, le son tu vas le mettre en ambiance, en soirée, mais tu vas pas l’écouter tout seul, le soir. Y’a tellement de cadres pour écouter de la musique. Tout est possible.
Dans ta Grünt, on découvre Zek qui est là « grâce à toi » comme il le dit avec cette punchline « j’voulais surtout pas r’mettre les pieds dans ce rap de merde merci à s’connard de Limsa d’Aulnay », tu me parles de cette connexion ?
Zek, c’est un mec qui rappait à l’ancienne, qui était super fort. Je l’ai croisé la première fois, si je dis pas de connerie, au Planète Rap de Lomepal. En 2019, il m’a envoyé un message sur insta en mode « ouais ce que tu fais c’est cool, je serai chaud qu’on se capte ». Comme je suis méfiant avec les gens que je connais pas, je lui ai répondu un peu comme ça en mode « ouais ok pas de soucis et bonne soirée à toi » et je l’ai plus recalculé. A l’époque, je bossais dans un collège à Epinay et un matin je le croise à la Gare du Nord. On a pris le train ensemble, on a discuté, ça a peut être duré le temps de 3 arrêts, et on s’est bien entendus. On a commencé à faire du son ensemble. Quand y’a eu l’histoire de la Grünt, je lui ai mis gentiment la pression. Je lui ai dis : « j’ai envie que tu fasses des couplets, c’est trop chaud, fais moi plaisir ». Parce que, en plus, je suis un lâche et je l’ai pris par les sentiments. Je suis qu’une merde, je suis qu’un manipulateur. (Rires)
En plus, il a sorti le son Mystère avec la punch, sur les plateformes ?
Avant, je me faisais insulter sur youtube, maintenant c’est sur toutes les plateformes.
Avec Zek, vous avez sorti Tondeuse pendant le premier confinement sous la forme d’un faux live insta. Comment c’est né le concept ?
Zek, il commençait une série de freestyles où il faisait du bruit avec des instruments, des objets et il m’a dit « ouais gros, je suis trop chaud de t’inviter sur le prochain ». A l’époque, on rigolait pas mal sur le live de Bigflo & Oli où ils insultaient des mecs et tout. Et on voulait faire la même chose. On s’est dit « ça peut être stylé de faire un faux live ». Enfin, c’est Zek qui a eu l’idée. Moi, j’avais envie de faire tout comme BigFlo et Oli, j’ai envie d’être leur troisième frère tu vois, Bigflo et Oli et Limsa, ce serait génial. Mais c’est Zek le génie, moi j’ai juste fait quelques rimes rigolotes et des commentaires, pas les plus subtils en plus… Je suis qu’une merde, je te dis.
« Y’a des rappeurs qui ont trouvé la recette ultime, juste en changeant des rimes, des machins, tu sais exactement à quoi t’attendre mais ça va être tellement bien. »
Tu as quand même sorti deux projets, Logique partie 1 et Logique partie 2, en juillet et décembre 2020. C’est bien pour une merde, non ?
Ah tu l’as dit, Antonia, ça y est, tout le monde m’insulte ! Après, c’est des 5 titres, j’ai pas sorti une mixtape de 10 titres. Mais je les adore, en vérité, je te dis ça, mais je suis trop content de ces projets et limite, là, la seule question que je me pose maintenant, c’est est-ce que je vais réussir à faire aussi bien. Ma dynamique, elle a changé et moi, je suis un rappeur qui doute beaucoup. J’essaye toujours de me renouveler, enfin, j’espère que sur Logique 1 et 2 y’a pas trop de sons qui se ressemblent ou, comme ça, des flows que t’entends 18 fois dans plein de morceaux. Y’a des rappeurs qui « rappent » toujours de la même manière, qui ont la même recette. Je respecte ça à fond parce que je trouve que c’est l’objectif ultime d’arriver à trouver une recette tellement stylée que même si t’en manges tous les jours t’arrives toujours à apprécier. Moi bon, j’pense, à part le rhum, y’a rien que j’peux consommer comme ça tous les jours.
Logique, ça devait à la base être un seul et même projet. Tu les as sortis séparément, on sent une évolution entre les sons, non ?
La difficulté, c’était d’essayer de faire des sons différents sans que ça soit la Foirefouille. Je voulais que ce soit un voyage, que tu puisses écouter de la première jusqu’à la dernière minute et que t’aies pas l’impression de changer de décor. La forme change. C’est pas les mêmes BPM. Des fois c’est des prods plus trap, des fois plus boom bap et des fois je chantonne. Mais vraiment, je l’ai pensé comme un seul projet et du coup quand j’ai dû le diviser en deux, je voulais que, dans le 2, tu sentes une évolution, une espèce d’ouverture. Par exemple, c’est un peu cliché mais dans le 1 y’a quasiment que des morceaux rappés alors que dans le 2 je me permets des petites chansons. ASB c’est une chanson et Le ptit Limsa, encore pire.
« Je recevais plein de soutiens, plein de messages mais c’était vraiment une niche parmi la niche, enfin là je suis une niche. Je suis archi pas une super star, loin de là mais y a plus de gens qui me connaissent. »
Ça faisait un moment que tu avais rien sorti. Ton projet Les Fleurs en 2015, puis quelques sons FF, Woof en 2018/2019. Avec Logique, tu avais en tête de faire une sorte de projet de présentation ?
Je l’ai plutôt réfléchi en mode « j’commence à avoir un âge avancé, je suis pas tout jeune ». Je me suis dit que ça serait quand même relou que je m’arrête et que le seul truc qui reste, ce soit « ah lui il était chaud, tient écoutes faut que t’ailles à la trente deuxième minutes de ce freestyle ». C’est là aussi que l’ego rentre en compte, j’voulais pouvoir me prouver que j’étais capable de faire un projet correct. En tant que rappeur, j’ai toujours coché les cases comme si j’avais rempli un objectif. La première fois que je suis allé à un Planète Rap, j’étais comme un dingo. Une fois que tu le fais, voilà t’as coché une case, t’es content. Pour moi dans les cases manquantes, y’avait « je fais un bon projet ». Et à ma petite échelle, je me suis retrouvé dans des classements des meilleurs EP de l’année. J’me suis sentie belle, et ça fait du bien de se sentir belle. J’ai reçu beaucoup d’amour et tout, ça m’a mis une motivation aussi. C’est comme un footballeur, jouer au foot avec les plus grands et être seul dans ton jardin à dribbler ou à faire des jongles, c’est quand même différent. Moi, je suis dans mon jardin et mes voisins, ils savent que je suis fort au foot, mais c’est que mes voisins ça dépasse pas les deux maisons d’à côté. Là, avec Logique, j’ai l’impression que ça parle un peu plus de moi dans le rap.
Dans ta manière d’écrire y a beaucoup de choses sensibles et d’un autre côté des phases plus provocantes.
Ouais faut pas que ça soit trop larmoyant. En fait le pire, c’est que des fois quand je dis des trucs marrant bah je dis des trucs sérieux.
Dans le son 4 décembre qui ouvre ton projet Logique part.1, tu as cette phase « À 16 ans t’écoutes plus Temps Mort que ta mère », c’est quoi les albums qui ont marqué le petit Limsa ?
C’est pas très original. Mauvais Oeil de Lunatic, Temps Mort de Booba, le premier album de Rohff aussi, Le Code de l’honneur, incroyable. A mon époque, y’avait pas internet, tu pouvais pas chercher comme ça pour trouver exactement la musique qui te correspondait. T’étais un peu tributaire de ce qui passait à la radio, des CDs ou des cassettes qui tournaient à la cité. Un album de rap, on pouvait l’écouter 2 ans. Moi, mon père, il m’avait acheté L’Ecole du micro d’argent d’IAM. Franchement, je crois que encore aujourd’hui je le connais par cœur. C’est un classique, mais je me dis que peut-être que dans l’époque dans laquelle on vit, il aurait fait un score incroyable, mais sa durée de vie aurait été moindre. On écouterait pas encore 3 ans après, Demain c’est loin. Entre temps, il y aurait eu 30 CDs qui seraient sortis. Logique 1 et 2 ont passé une certaine période et les streams baissent. Entre Logique 2 et aujourd’hui, 4 mois se sont écoulés et tous les vendredis, y’a plein de sorties rap français. Dans toutes ces sorties, y’en a souvent des très bonnes et puis voilà, y’a beaucoup de rappeurs, y’a beaucoup de gens qui écoutent du rap. Les places y’en a pour tout le monde, mais elles sont chères.
La baseline du mag c’est jazz libre et groove à plaisir. T’en écoutes du jazz, toi ? C’est quoi ton groove à plaisir ?
J’adore la Funk, la Soul aussi. A la base, j’écoutais parce que y’avait une émission sur Générations qui s’appelait Sampleur samplé et il passait beaucoup de Soul, des sons que je kiffais. Ça me faisait découvrir plein de chanteurs. C’est comme ça que j’ai découvert genre, je sais pas les Isley Brothers parce que c’était samplé par Ice Cube, par machin… J’ai découvert plein d’artistes, mais même ça c’est via le rap.
Quand tu me parlais de ta rencontre avec Zek, tu me disais que tu allais travailler dans un collège, est-ce que les élèves te connaissaient ?
Ils me connaissaient quasiment tous parce que le Planète Rap de Lomepal, il a tourné sur Snap et que les petits l’ont partagé. Je vais pas t’apprendre comment ça se passe dans un collège. Dès que y’a une histoire, ça va tellement vite. En 24 heures, j’étais sur tous les téléphones.
Tu te poses la question des fois d’être un modèle ?
Je pense qu’il n’y a aucun être humain qui est un modèle. L’inspiration, tu peux la trouver n’importe où. J’ai pas l’impression d’être, comme ça, un puits de savoir. On peut être une source d’influence mais en vérité, l’influence, c’est très dur à quantifier. Sans parler de la frontière entre l’influence et la copie quand on parle de musique. C’est quelque chose sur lequel j’ai du mal à me situer. Si vous voulez faire de moi le nouveau Rimbaud ou le nouveau Baudelaire, allez-y : Comme Arthur Rimbaud, à l’alcool j’carbure plein pot. Voilà. Spéciale exclu.
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propos recueillis par Antonia Barot, avril 2021
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