Legraux Tobrogoï, musique à jouïr
Fondé par des traces de pneus de mobylettes, nourri à l’appétit de vivre, Legraux Tobrogoï besogne les tympans comme d’autres font leur beurre. Avec un goût prononcé pour la joie. Pantagruel Résolu, le deuxième album du sextet vient de sortir, on tente d’en chopper la recette auprès de Colin Jore.
Legraux Tobrogoï © Claire Hugonnet
Tu me files un indice sur le sens de Legraux Tobrogoï ?
Tobrogoï, c’est le nom d’une fanfare à mobylette qui a ensuite accouché d’une version orchestrale avec un line-up jazz. Un album est sorti en 2003, Nikalitipoï, 20 saisons dans les festivals de rue en France et en Europe. Le caractère burlesque et « néo tziganne » nous collait aux basques, on a donc voulu caractériser la version scène. Par égard à la taille augmentée, on a ajouté Legraux à Tobrogoï qui avait un certaine et relative notoriété.
En 2018, vous sortez Volume 1, quels sont les changements ici ?
La version 2020 est bien évidemment liée au contexte qu’on connaît. L’équipe s’est renouvelée, on a connu un regain de créativité avec l’arrivée de Nicolas Poirier, guitariste. Il a apporté 5 des 8 compositions de l’album. Nous avons décidé de revoir entièrement le répertoire en s’affranchissant définitivement des influences de l’Est qui trainaient encore dans Volume 1. Tout s’est élargi avec une seule consigne : pouvoir « taper du pied ». C’est l’âme de ce groupe, l’idée de pouvoir partager avec le corps une musique instrumentale furibarde. C’est très écrit mais sans clichés, sans exclure quiconque à cause d’une « musique de musiciens pour musiciens ».
Pourquoi pas Volume 2, tiens ?
C’est venu sur la table mais vite écarté. Il nous fallait trancher, nous verrons ça plus bas…
C’est volontaire cette histoire de sonner à vous 6 comme pourrait sonner un big band ?
Non, mais clairement nous sommes très adeptes de sortir l’artillerie lourde. Quel bonheur d’avoir cette impression de masse ! Je crois aussi que nous sommes aussi unanimement influencés par Duke Ellington et ce caractère très puissant, sublime et totalement populaire. Assurément, on défend le statut d’orchestre et de son objectif d’entertainement.
Comment ça bosse entre vous ?
Très simplement. Un de nous propose partitions et audios et le couperet tombe. Soit la compo est Tobrogoï soit elle ne l’est pas. On ne joue jamais un morceau qui déplairait vraiment à l’un des nôtres. Si la proposition est adoptée collectivement, on recherche comment l’interpréter efficacement sans remettre en question l’écriture. La vie collective est fondamentale, elle renforce l’idée de groupe et nous y sommes très attachés. C’est une soudure nécessaire pour restituer de l’énergie sur scène. C’est une alchimie subtile.
« cet album est né de la volonté de vivre la musique malgré le confinement. On a souffert de grandes frustrations qu’on a comblées par l’écriture. On s’est retrouvés comme des morts de faim. »
Pantagruel Résolu sorti le 17 sept 2021 (Alfred Production/ InOuïe Distribution)
J’ai l’impression qu’il y a beaucoup de cinéma, de bande-son, dans la musique de ce disque ?
Je crois que, par nature, la musique instrumentale génère de l’imaginaire. Cependant, ce n’est pas une volonté dans ce groupe.
J’avais beaucoup aimé le disque de Nilok, celui-ci aussi. Il y a pas mal de croisements, d’échos entre eux.
Merci ! Legraux Tobrogoï est un groupe collectif alors que Nilok procède d’une écriture intime. Ici, le cadre est dessiné mais assez ouvert. Immanquablement, avec les 3 loustics qui sont aussi dans Nilok, Fabien Duscombs (batterie), Yvan Picault (sax) et moi-même (contrebasse), il peut avoir quelques points de comparaison. Mais je ressens ici un investissement plus dans le groove, alors que Nilok4tet donne lieu à beaucoup plus d’impro et d’interplay.
Il y a un plaisir patent à la rupture au sein des morceaux, c’est pour leur préserver une part d’énergie ?
Oui, le contraste, les ruptures c’est bien pour la vie d’un titre. Peut être est-ce ce genre de construction qui te fais penser au cinéma ? Le rebondissement n’est-il pas un ressort nécessaire pour captiver une audience ? Oui et ce procédé permet aussi à chacun de s’exprimer dans la nuance pour mieux repartir comme des bourrins.
Ce disque joue bcp avec les répertoires, les étiquettes. Ça vient de ton parcours de musicien, de touche-tout ?
NOTRE parcours. Ça n’est pas mon groupe, même si je l’anime depuis ses origines ! Il y a un background de rock pour une bonne moitié d’entre nous et un apprentissage plus académique pour d’autres. C’est quand même une tendance très courante, et heureusement, dans le jazz actuel, cette possibilité de faire feu de tout bois. Mais on ne se pose que rarement ces questions. Les références sont multiples, assumées et on veille vraiment à notre patte originale.
Une des première impressions d’écoute, c’est que ce disque est vivant. C’est un peu banal sans doute mais il y a vraiment quelque chose ici qui joue avec l’oreille, toujours un peu en avance sur notre écoute. Tu valides ?
Oui, oui, oui complètement. Je l’ai dit plus haut, cet album s’est construit autour de la volonté de vivre la musique malgré ce confinement. On a souffert de grandes frustrations qu’on a comblé par du temps disponible pour l’écriture. On s’est retrouvés comme des morts de faim et l’été 2020 a été vraiment salvateur pour nous. Une dizaine de concerts nous a permis d’éprouver ce répertoire. Pour l’enregistrement, l’idée de vie et d’énergie est notre préoccupation principale. La sélection des prises de studios est déterminée par ce seul critère. On a eu une belle session au studio de la Lune Rouge, grâce à Simon Baconnier.
Le titre de ce disque appelle d’évidence Rabelais. C’est peut-être ça aussi ce côté vivant, musique pour jouisseurs ?
Le titre, on l’a trouvé tardivement et avec beaucoup de difficulté. C’est le fruit du hasard et une anagramme de Planète Rouge, en référence au studio. Oui, on est une bande de bons vivants, cette dimension Rabelaisienne qui évoque l’appétit est toute indiquée. Pour nous, cette musique est clairement destinée à la fête.
Facile d’être hédoniste en faisant cette musique, aujourd’hui avec le bordel ambiant ?
(Soupirs) On se heurte à de nombreux obstacles. Le maudit pass clivant et son inévitable effet sur les fréquentations à venir, un gros entonnoir de reports en 2022 qui va rendre difficile la diffusion, et ce coté « chaise entre deux culs» de notre proposition : trop jazz pour certains et pas assez pour d’autres. Et merde tiens !
Il y a enfin ce ‘résolu’ du titre. Dans le sens de ‘déter’ ou alors d’une ‘équation terminée et enfin comprise’ ?
Ah, Ah ! Complètement déterminés et jusqu’au dernier souffle ! Rien de fini, notre recherche est éternelle.
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propos recueillis par Guillaume Malvoisin, septembre 2021
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