Le Grio

Antonin Leymarie : batterie · Gérald Chevillon : saxophones
Damien Sabatier : saxophones · Simon Girard : trombone
Fred Roudet : trompettes · Aymeric Avice : trompettes
Joachim Florent : basse, contrebasse · Aki Rissanen : piano

Interview. Rencontre à Chalon-sur-Saône, restitution de résidence,
mai 2022, l’Arrosoir Jazz Club.

Le Grio

Le Grio en concert de restitution de résidence à l’Arrosoir, jazz club © LeBloc

Cette version orchestre, d’où vient l’idée ? Vous vous ennuyiez à quatre ?

Antonin Leymarie : Non, à quatre, on s’éclate toujours. D’ailleurs, on sort un disque dans un mois, All Indians ?. On avait envie d’ouvrir le son du groupe. Le choix des musiciens et de leurs instruments, c’est venu de l’envie d’ajouter plutôt des cuivres et de l’harmonie. Pour les cuivres, on a demandé à Fred Roudet, Aymeric Avice et Simon Girard puis Aki Rissanen nous a rejoints au piano pour l’harmonie.

 

Tu parles de votre prochain disque. Les arrangements pour l’orchestre ont-ils été travaillés en même temps que vous enregistriez l’album ?

A.L. : Oui, et sur un temps assez long. C’est-à-dire sur trois ans. All indians ?, c’est à propos d’un voyage qu’on devait faire à la Nouvelle-Orléans et, dans le Grio, il y a l’influence des Trompes de Centrafrique ou de musiques d’Afrique de l’Ouest et aussi Ellington, Mingus… On s’est un peu donné toutes ces références. On n’a pas réfléchi à ce lien immédiat entre le quartet et le Grio mais, maintenant qu’on en parle, il y a quelque chose.

 

Est-ce qu’Ellington, Mingus, Coleman, Ayler et la Nouvelle-Orléans étaient des points de jonction évidents entre vous et vos invités ?

Fred Roudet : Il y a le son de base du quartet qu’on connaît parce qu’on s’est tous côtoyés. C’était excitant de s’imaginer dans ce son. On connaissait déjà la qualité des arrangeurs et des propositions… Le son s’est calé assez rapidement et on a su très rapidement de quoi on allait parler.

 

Comment se passe l’écriture entre vous huit ?

A.L. : Chacun amène un morceau, qui est une base du travail collective. Chacun ensuite va s’emparer de ces parties et peut-être bouger quelques petites choses pour se sentir bien. On peut fantasmer ainsi que chaque note appartient vraiment à la personne qui la joue.

F.R. : On essaye beaucoup de choses sur les arrangements pour voir quelles combinaisons orchestrales sonnent le mieux.

A.L. : Disons que c’est surtout en répète qu’on va régler ces choses-là. Soit on se les dit, soit il y a des propositions qui sont faites pendant qu’on joue. En concert, il y a autre chose qui se joue, la forme globale, l’intensité et la place de chacun et surtout les espaces de liberté qu’on n’avait pas envisagés en répète et qui se dévoilent en concert.

 

Vous êtes huit, la musique est dense et l’ensemble généreux. Quelle place accordez-vous au silence ?

A.L. : C’est une super question. J’espère que dans un concert, il y a des moments très pleins où ça pourrait presque être un peu trop et qu’il y a des moments où il y a beaucoup d’espace, des sons longs et de belles harmoniques. Je pense que chez nous, ça oscille un peu entre le plein et le vide.

F.R. : Le silence, c’est une question hyper intéressante. Je ne sais pas si on en est déjà là sur le répertoire qu’on est en train de travailler mais ce qu’on essaye d’obtenir, c’est la dynamique. Ce qui est génial à chercher dans un ensemble comme celui-là.

 

Il y a quelque chose d’assez forain, au sens noble du mot, qui rend la musique du Grio très joyeuse. Est-ce que vous faites attention à cette sorte de générosité foraine des choses, qui part donner de l’énergie à celui qui écoute en face ?

A.L. : On n’y pense pas avant mais c’est vrai que c’est bien quand c’est là. C’est vrai aussi qu’il y a l’Impérial Orphéon où on fait ce bal qui est vraiment là-dedans et où les concerts sont souvent assez généreux.

 

Vous le disiez, la tournée commence à l’automne. Là, on est au mois de mai, c’est loin l’automne. Il peut se passer des milliards de choses.

A.L. : Quand on ne se voit pas, je pense que chacun a des moments où il peut réfléchir à ce projet et le faire mûrir. Les moments où on se retrouve, et pas seulement pour les musiciens, c’est jamais simple d’arriver à se retrouver. Après, il y a pas mal de boulot entre les concerts pour que tout cela existe. Il y a donc une forme de quotidien.

F.R. : Et c’est là où on est contents d’être invités.

A.L. : Mais vous n’êtes pas des invités, vous êtes dans le groupe [rires]. L’idéal serait de jouer tous les soirs mais il paraît que c’est difficile [rires]. Mais en réalité, le temps passe vite donc octobre, c’est demain.

 

Dans ses notes sur votre groupe, Mathieu Durand parle de spiritual jazz. Il est où le spirituel dans le Grio ?

A.L. : Il est dans l’amour, le respect et l’imagination propre à notre lien avec la musique. Après, on n’est pas du tout dans une discussion quant à la spiritualité de chacun, ça c’est certain. On a tous envie qu’il y ait quelque chose d’assez fort, d’assez sensible, expressif et si ce n’est pas une forme de transe, ce qu’on joue peut être spirituel d’une certaine façon.

F.R. : L’écoute qu’on a du son de groupe de l’intérieur, c’est hyper important. On a testé plein de configurations différentes. On s’est rendu compte de la magie de ce groupe, juste avant le premier concert qu’on a fait à Alès. On a fait une sorte de sortie de “résidence-commando” devant un bar, en acoustique et là, on s’est tous regardés en se disant “Wouah, le son qu’il y a !”. On a travaillé pendant une semaine avec des micros, avec des retours, sur un immense plateau et là, on s’est retrouvés dans une rue pas très large. On avait la façade d’en face comme retour et on s’est entendus sans les micros pour la première fois et c’est un moment vraiment… Ouais, c’était assez spirituel comme expérience.

 

Il y a autre chose dans votre musique, appelons ça des hymnes. Aujourd’hui, après les présidentielles, pas très loin de l’Ukraine, dans le bordel ambiant du monde, on pourrait se dire que jouer du jazz, c’est un peu accessoire, voire un peu inutile. Mais j’ai l’impression qu’écrire des hymnes, ça commence à redevenir assez important. Relevez-vous la tête de temps en temps en vous disant “là, on commence à avoir une utilité”, politiquement, au sens le plus vrai et le plus large du mot ?

F.R. : Je n’aime pas beaucoup les musiciens qui ne servent à rien, qui font de jolies choses mais sans beaucoup de message ou, au moins, d’émotion dans ce qui est transmis. Je sais qu’avec ces huit-là, l’émotion de chacun va être exacerbée par la présence de tous. C’est une forme de sublimation. Ce groupe est un groupe qui est sublime, voilà.

Le Grio
Le Grio

— photos © LeBloc (2022)


Propos recueillis par Guillaume Malvoisin à l’Arrosoir, jazz club, le 19 mai 2022.

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