Jef Gilson visite Madagascar
Après le Massacre du Printemps et le disque avec Sahib Shihab, Souffle Continu Records réédite 3 disques majeurs du passage de Jef Gilson sur la grande île. 3 documents sur la vivacité du jazz, sur ce que peut être le folklore et sur l’inlassable élan créateur d’un pianiste-arrangeur. 3 fois le bonheur en 33 tours.
C’est quoi la combine ?
Simple. Un jazzman français parti en 1968 à Madagascar. Jef Gilson, comme d’hab, veut ressourcer sa musique et voir si le jazz franco-américain peut être fongible avec la culture de la grande île. En trois séjours d’ateliers et de masterclasses, Jef Gilson agrège ses compères français à des musiciens à l’oreille de feu. Aux mains d’or, aussi. Trois sessions mises sur bande entre 1969 et 1971, à Tananarive et Paris, sont réunies sur les deux faces de ce disque magistral, nourri par le hasard d’une rencontre prolongée par un contretemps. Une grève, une révolution et un blocage des transports. Contretemps réglementaire, mon cher Watson.
Malagasy de Jef Gilson (Lumen, 1971 – PALM, 1973 – reiss. Souffle Continu Records, 2021)
C’est qui déjà ces deux-là ?
Jean-François Quiévreux, comme Barney Wilen, est surtout connu grâce à son pseudo. Un pseudo qui compile en 3 syllabes toutes les faces d’un être humain. Multiple. Jef Gilson est musicien, compositeur, rédacteur, éditorialiste, chercheur, patron de label, découvreur de talents et arrangeur. Le ‘Gilson’ vient de là, pour celui qui se revendique discrètement comme le fiston de Gil Evans, le son of Gil. Et des coups, il en aura arrangé, Jef. Clarinettiste impatient chez Boris Vian, théoricien chez André Hodeir, boppeur puis rameuteur de grand ensemble. Il aura arrangé la sortie au jour de pas mal de futurs têtes de ponts du jazz frenchy, aussi. Jean-Louis Chautemps, Jean-Luc Ponty, Michel Portal, Henri Texier ou encore Jacques di Donato sont de ceux-là. Amateur de chaos aussi, Gilson. Quand il part à Madagascar en 1968, c’est le bazar en France. Renault gueule, La Sorbonne assemble et généralise, Sartre fait le mariole sur les capots d’autos. Jef, lui, fout le camp. Avec Lionel Magal et Bibi Rovère, pour tester une autre culture, pour éprouver ‘son’ jazz à d’autres oreilles. Chercher ce qu’il chérit, comme on chérit un bréviaire de survie, un folklore vivant. De quoi rester debout. Pour trois ou quatre ans. Et pour longtemps. Car Gilson ne s’arrêtera pas à Mada, même si l’aventure Malagasy se déclinera et prolongera au Newport de Paris (1972) puis sur un second disque, Madagascar Now (1973). Entre temps, Jef Gilson vivant parmi les vivants rendra hommage à Stravinsky parti rejoindre ses oiseaux de feu, Massacre du Printemps (1971). Plus tard, il créera le grand format Europamerica où fulmineront entre autres Joe McPhee, Jean-Charles Capon, André Jaume et Frank Lowe. Rassembleur instable sur sa base comme un oiseau-mouche l’est sur ses ailes, Gilson est donc vivant. Jamais tranquille, profondément humain et taillé pour le fraternel insaisissable.
Avaradoha
C’est bien ce disque ?
Malagasy est le fruit de plusieurs rencontres. Celle du jazz américain et de la composition à la française, façonné par Jef Gilson. Celle des intrus europaméricains et des percussions malgaches. Celle d’un vieux loup de l’arrangement et de jeunes musiciens locaux. Le premier album de l’aventure Malgasy est aussi un pièce documentaire. Deux faces où cohabitent le splendide et le vernaculaire. A Tana de Jean-Charles Capon danse avec le feu et le jazz modal. Malagasy rapporte Madagascar dans un studio parisien où l’espace est démultiplié. Avaradoha est un hymne sans parole ni trompette mais avec une colère franche et amicale, dans laquelle se reconnaitra la jeunesse malgache en révolte en 1972. Sur la face B, Jef Gilson remet même entre les mains de Roland de Comarmond le tout chaud The Creator Has A Master Plan de Pharoah Sanders, créé quelques mois plus tôt de la même année 1969. Pas encore hit du free jazz mais déjà folklore pas prêt de s’éteindre. Bouillant. Les deux autres disques de l’aventure Malagasy, eux-aussi réédités synchro par Souffle Continu Records, complètent cette vision du jazz selon Gilson. Un truc nécessaire pour ne pas s’endormir sur ses lauriers. Un truc, s’il est manié sans concession ni déférence, paré pour allumer l’humanité pour une bonne paire d’années à venir.
« Quand on se contente de faire revivre le passé, en essayant de transformer les œuvres en pièces de musée, le folklore au bout d’un certain temps meurt, se fige et n’intéresse plus personne. »
Ok , mais après les 41’37 du disque, on écoute quoi ?
> Le Massacre du Printemps de Jef Gilson
(Futura 1971, réiss. Souffle Continu 2020).
Gilson fête en trio la mort de Stravinsky
par un bordel magistral de percussions.
Incandescent, indiscipliné, spontané. Et joyeux.
> Malagasy at Newport-Paris de Jef Gilson
(Palm, 1972, réiss. Souffle Continu rec. 2021).
Malagasy, match retour. Ça part en live dans un club parisien, et ça matche. La formule est aussi vivace que celle des années précédentes, la greffe diablement pérenne.
> Europamerica
(Palm, 1977).
En sport, on appelle ça un All-Star. En musique, un grand ensemble de malade. C’est beau, super classe et ça procure des sensations d’écoute parfaitement inqualifiables.
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Guillaume Malvoisin
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(photos extraites du booklet de la réédition de Souffle Continu Records)
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