ZEROLEX, beau et drôle à la froid
Même pas mal. Zerolex, faiseur d’electro bisontin, sort ce mardi le clip de son track Touché-Coulé. Bataille navale dans la neige, allégorie rigolarde, l’objet est beau. Raison de plus pour savoir ce qui se cache derrière la patte Zerolex.
Boulot d’équipe. Clip à voir sur Sparse, interview à lire ici.
Aujourd’hui, c’est quoi le son Zerolex ?
C’est toujours délicat de savoir où je me situe. Dire qu’il s’agit de musique électronique est vrai mais c’est trop vaste. Ce que je peux dire, c’est que je suis attaché aux textures, à la recherche de sons et aux mélodies. J’aime les morceaux lents et déstructurés autant que les rythmiques plus rapides et dansantes. Le plus important, c’est de créer un univers singulier, qui me ressemble. Sur l’EP Touché-Coulé, les morceaux sont plutôt ambiants et les sonorités jazz plus présentes. Nappes de synthés analo, rythmiques faites maison parfois « craque-nuque », envolées de sax et chœurs, ça peut ressembler à ça, Zerolex, aujourd’hui.
Zerolex, un prod’ stakhano à tendance digger ?
Très productif, je ne pense pas mais dévoué, c’est sûr ! Disons que je travaille à mon rythme, je pose des briques. Avec l’expérience, je vois venir les périodes où je vais composer et je ne me force pas. Si ce n’est pas le bon moment, le résultat ne me conviendra pas. À mon avis, c’est nécessaire d’alterner des périodes où tu cogites, où tu emmagasines des idées, et d’autres où tu te consacres uniquement à les réaliser.
Pour le côté Digger, la recherche et la découverte, c’est évident c’est une partie importante de mon temps, si ce n’est la plus importante. Mais on va briser tout de suite le mythe du Digger aux mains sales. Les disquaires, à Besançon, c’est pas tellement ça, alors je suis souvent branché sur 2 ou 3 webradios où je découvre des morceaux et s’en suit régulièrement une belle carte bleue sur Discogs. Sinon, c’est souvent chez Sofa à Lyon, ou du côté de Soul Ableta et Superfly à Paris.
Dans la playlist calée, vendredi dernier, pour Pointbreak, il y a pas mal d’accents free jazz posés sur un groove costaud, une habitude d’écoute chez toi ?
Une habitude, je ne sais pas, mais c’est clairement ce que j’écoute en ce moment puisque ce sont des disques que j’ai acquis récemment. Le free jazz, j’ai découvert quand j’étais au lycée avec Sun Ra. C’était si mystérieux et unique que j’ai clairement fait une fixette sur lui. C’est un univers que je connais encore trop peu mais qui attise régulièrement ma curiosité.
Je t’ai vu caler Coffee Cold en mix, c’est quoi selon toi le secret de ce track ?
Il fait partie des morceaux que j’aime bien passer pour terminer un set. Je dirais que son secret réside dans sa langueur. C’est le morceau de fin de journée, au coin du feu, c’est mélancolique, sensuel… Ça fait du bien, quoi. J’avais entendu une première version avec Fergus MacRoy dans le mix d’un copain, le thème et les paroles restaient en tête, ça aide. Puis la rythmique, le thème. J’aurais aimé être le premier à sampler ce morceau.
Tu as commencé comme batteur. Ça influence encore tes prods ?
J’imagine que c’est encore là, quelque part dans un coin de ma tête ! Pour te dire, ça m’arrive encore assez régulièrement de rêver que j’en joue alors que je n’ai pas touché un fût (de batterie, hein) depuis des années. J’avais bien kiffé sur Shigeto qui mêlait les deux disciplines en live avec une aisance assez déconcertante. Ça m’arrive de jouer des rythmiques au pad alors la frontière n’est jamais très loin.
Il y a pas mal de vin sur tes stories Insta. Nécessaire le goût dans ta musique ? Tu fais un lien entre les deux ?
Alors là, tu ignores dans quoi tu mets les pieds ! (rires) On pourrait en discuter pendant des heures tellement je suis passionné. Ça fait deux ans que je suis tombé dans le vin naturel (ou du moins, tout ce qui s’en rapproche le plus, il y a souvent débat là-dessus…) et que je saoule tout le monde avec ça (désolé les potes, la famille). J’en ai même fait un compte insta : @vino.lex – remerciez Sorg pour l’idée – qui répertorie quelques bouteilles car ça commençait à prendre un peu trop de place sur la page musicale. Les liens entre les deux, je les vois partout, tout le temps, ça frôle l’obsession ! La musique, le vin, c’est une question d’équilibre, de finesse, d’authenticité, de singularité. On parle d’expression, de passion, d’engagement, de patience, de curiosité… Regarde, même les disques vieillissent plus ou moins bien ! Haha…. Ça, c’est pour le côté artistique et poétique de la chose mais ça pose aussi des questions plus politiques et sociales : il y a les petits producteurs – les artisans – et les gros. Ceux qui veulent gagner un maximum de blé et les autres. Je ne voudrais pas tomber dans un dualisme facile mais bon, que ça soit dans le verre ou dans les oreilles, je pense que c’est tout une question d’éducation aussi. Je vais m’arrêter là, tu m’as donné soif.
— © gianni.dellagiungla (via instagram)
Tu sors aujourd’hui le clip pour Touché-Coulé. C’est beau, c’est froid et très drôle. Comment vous avez bossé avec le réal, Lucas Dubiez ?
On a eu l’idée de faire un clip dans une esthétique à la Fargo donc « beau, froid et drôle », je ne pouvais pas espérer meilleurs qualificatifs. J’ai proposé le scénario à Lucas qui a très vite accepté de le réaliser. J’ai suggéré le premier acteur, lui le second, et ça s’est enchaînée assez facilement. C’est peut-être pour trouver une date de tournage que ça a été le plus long ainsi que les démarches pour avoir l’autorisation de tourner dans ce lieu, complètement hors du temps. Bref, il est rigoureux et plein d’idées, ce Lucas Dubiez. C’était vraiment un plaisir de bosser avec quelqu’un qui a un humour encore plus nul que le mien.
Le clip met en scène la bataille navale vendue à des millions d’exemplaire par Hasbro. Tu avais ça aussi en tête en intitulant l’EP ainsi ?
(rires) On va déjà essayer de passer les 300 copies !
Plutôt porte-avion ou torpilleur ?
Je pense à Depardieu et son tatouage à plusieurs dimensions dans Tenue de soirée… Va pour le torpilleur !
Ta combi imparable à ce jeu ?
Une caméra au plafond.
Touché-Coulé est un disque en trio, avec deux intruments live pour t’accompagner. Besoin de sortir du cadre ?
Besoin de m’amuser à nouveau sur scène, pour commencer. Avec Zerolex, j’ai toujours été seul en scène, et ce depuis 2011. J’ai réalisé que j’étais arrivé au bout d’un truc. Quand tu sens que ça s’essouffle comme ça, tu prends moins de plaisir à jouer et c’est le début de la fin. Avec le trio, on a redonné vie à des anciens morceaux en les réarrangeant, ça fait du bien. J’ai aussi réalisé que pour le public, regarder un mec tout seul qui tape sur des pads la tête baissée pendant une heure, c’est pas forcément super fun et vite redondant. Avec les musiciens, c’est évident qu’il y a plus d’interactions, plus de vie. Pour ce qui est de la composition, je suis autodidacte, je n’ai fait ni conservatoire ni solfège. Je n’ai pas particulièrement de complexe vis à vis de ça mais je vois bien que je suis, parfois, bloqué ou ralenti dans le processus de création. C’est là où les musiciens jouent aussi un rôle. Ils sont plus familiers avec la théorie musicale et viennent compléter mes idées, les développer, les amener ailleurs.
Choix de ces intrus. D’abord les couleur musicales ou les musiciens ?
Le saxophone, ça fait un petit moment que j’avais ça en tête. Il y a pas mal de gens chez qui c’est quitte ou double cet instrument mais ça m’a toujours attiré et c’est très présent dans tout ce que j’écoute et ce que je mixe en ce moment. La contrebasse, c’est assez fascinant : ce son, cette prestance… C’est intéressant de voir l’impact que ça a visuellement aussi. Le trio, ça renvoie une image très jazz, forcément. Le public est curieux de savoir comment les instruments vont s’intégrer, comment ça va sonner. Ils prennent aussi peut-être plus au sérieux le projet maintenant qu’il y a « des vrais musiciens », expression que j’entends trop souvent.
Comment tu deales avec la rigueur des machines et la souplesse, le son plus organique d’un instrument joué live ?
La contrebasse, par exemple, je savais que ça serait moins évident à intégrer à mes productions, question de « spectre » étant donné que la musique électronique est souvent très (trop) gourmande en basses. Finalement, ça m’a forcé à composer un peu différemment. C’est comme quand tu fais un morceau avec de la voix, il faut savoir laisser de la place au chant et quand tu as l’habitude de produire que de la musique instrumentale, c’est pas toujours évident. Le défi est intéressant et j’ai beaucoup à faire pour perfectionner ça.
Et, donc, demain, ce sera quoi le son Zerolex ?
Je fonctionne pas mal au défi. Sur l’EP Honesty, l’idée était de produire tous les sons avec le même synthétiseur, un Elektron AnalogKeys. Sur Touché-Coulé, même principe avec un autre synthétiseur, le Prophet Rev2, et l’apport des instruments. Sur la prochaine sortie, il y aura plus de chœurs et des paroles en français, dont un texte que j’ai écrit, ce qui est nouveau aussi. Pour la suite, j’en ai strictement aucune idée. Je vais faire de la matière. On verra bien où cela me mènera. Je laisse une part importante au hasard, aussi.
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propos recueillis par Guillaume Malvoisin
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— Coffee Cold / Galt MacDermot (1966),
vidéo extraite de The Thomas Crown Affair (1968)
— Shigeto en live au studio KEXP (27 septembre 2013).
— photogrammes du clip et portrait du trio © Lucas Dubiez
© JC Polien
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