D’jazz Nevers Festival, #2

Suzanne, GRIO, Supersonic & Bruno Lapin,
Nevers, jeudi 10 et vendredi 11 novembre 2022.

par | 23 Nov 2022 | concerts

D'Jazz Nevers

Suzanne

Comme un vieux livre qu’on dépoussière. Car, qu’est-ce que Suzanne, sinon cette création mi-chambriste mi-bruitiste ? Invocation sensible, d’abord dans l’importance de savoir articuler. Réminiscence de folksongs, tenue dans l’écrin de ces voix qui se libèrent. Sorte de carte postale pour adultes. Pierre Tereygeol, Maëlle Desbrosses et Hélène Duret étrillent et écrivent. Suzanne et ses deux visages qui se conjuguent, dans le souffle et les vocalises. Comme dans un conte sonore, les pages se tournent et la trame se fait. Souvent mélancolique, le portrait brossé de Suzanne se retrouve dans ses mélodies et ses contrepoints. Folk, free, et contemporain. Un savant mélange, un sensible dosage. Sur scène, l’esquisse ainsi d’une photographie sonore se faisant : l’ancrage dans le souffle rond et chaud Duret, l’articulation et le mouvement par Tereygeol, la grandiloquence et la sévérité chez Desbrosses. Suzanne est tout à la fois. Et prend vie en face de nous.

GRIO

De la grrrrrrande musique dans de la grrrrrrande procession. Quand les courbes mélodiques et rythmiques se croisent, voici ce que ça donne. Ça circule comme le sang. Comme une entité en sommeil, réveillée à force d’être trop secouée. Une hydre et ses têtes qui s’observent et qui se jaugent. Le cortège du GRIO est bien organisé. Le pupitre de vents s’arrogent la mélodie et la finesse, la triptyque piano-contrebasse-batterie décrète le groove. Et c’est dans cette liesse que se crée l’effervescence de l’orchestre, les passations de pouvoir entre les différents souverains de l’Imperial. Dans le domaine de la rimbambelle, un hard-bop classe digne d’un Mingus, un free qui flirte dans l’orchestration chiadé comme chez un Coleman. Des thèmes lyriques et grandiloquents, hymnes royaux, comme la Frida Kalho Song of Love de Joachim Florent. Entre ces huit musiciens, c’est la fusion de l’atome qui se joue. Une musique incandescente à maîtriser, une patate chaude de l’improvisation qui passe de trompette en saxophone. C’est dans cette instabilité magnifique que le GRIO s’expose. Royal.


Lucas Le texier

Suzanne
GRIO

Thomas de Pourquery & Supersonic

Novembre 2015, Offenburg. La nouvelle éclate en France. Bataclan, carnage. Long retour pénible en France après un concert Jazzdor dont il ne me reste plus guère de souvenirs. Et long réveil le lendemain. Carnage, Bataclan. Retour en train à Dijon, avec dans les oreilles, en boucle pour supporter l’hébétude mortifère, Love in Outer Space de Supersonic plays Sun Ra. Basse consolatrice de Fred Galiay, réconfort quasi-parfait, souvenir imprimé au fer rouge. Novembre 2022. Supersonic, encore. C’est Nevers, c’est plus tard, c’est plus calme.
Alors forcément, le souvenir, ça aide à faire passer le virage poppy-glam du groupe. Virage pris très large : leviers de séduction au max, égos surgonflés, cornes en plastique pour certains, entrée à l’américaine pour d’autres. Bref, on est au cœur du réacteur Pourquery, dans la combo-collision de ce qui animait les projets VKNG, Von Pourquery et Supersonic. Super pop, donc. C’est pas mal non plus pour les audiences du jazz, aucune raison de le laisser dans son ghetto sacro-littéraire. Le débat doit pouvoir se résoudre ailleurs. Demandez à Kamasi Washington. Là, dans la soucoupe Supersonic, on verse allègrement du côté de la grosse machine, façon Cadillac Eldorado Brougham ’57. Avec calandre lustrée et cuir polishé par le silicone, la gomina, lustré par quelques starlettes et autres beaux gosses au volant. Grosse moulures et arcanes pop donc, cette update de Supersonic. Est-on pour autant dans une dimension parodique du jazz voire dans un exercice auto-parodique ? À voir. Les chapelles d’autres collectifs, plus pointues, plus artisanales, se mettent en veille et se chargent de sonner l’alerte. Le public reste et suit ce qui se joue. Fort. Très très fort. Dans cet élan puisant vers le trop plein, on peut s’amuser à voir autre chose, la revanche des gars du pupitre des soufflants sur les crooneurs crâneurs d’avant-scène. Pour solde de tout compte. Supersonic, en 2022, c’est super sonore, c’est ainsi. Mais Love In Outer Space continue de battre. Ici, à Nevers, c’est la pulse du rappel, des cœurs de ceux déjà partis, de ceux qui ont su rester. Sunrise and love love love ever lasting, sunrise love in its splendor…


Guillaume Malvoisin

Supersonic
Supersonic

Bruno Lapin

Du jazz pour les kids, Bruno Lapin ? Tonton et Tontaine dans la luzerne, à faire les fous au son de Shorty Rodgers ? Pas vraiment, pas du tout même. Bruno Lapin, c’est un trio. Et si le blase déroute, c’est parfait. Aussi parfait que l’équilibre au cœur de l’échange de la triade basson, cello et flûte ; soit Sophie Bernardo, Clément Petit et Joce Mienniel. Instrumentarium de chambre, classique et intimiste pour une musique qui se barre ailleurs. Loin, bien loin. Et si le blaze déroute, la maîtrise musicale rassure dès les premières mesures. Très malin, ce Lapin. Posé sur l’échange des rôles, sur des instrus quasi-détournée de leur son et fonctions usuelles, sur des motifs joués ad lib, avec une clarté doublée d’une assurance parfaite. On pense aux Five Elements et à leur musique cursive, on pense aussi au Wadda u Want du trio d’Yves Roert, et à Maurice Horsthuis, altiste à l’avant de l’avant-jazz, pour cette théâtralité miniature, chevillé avec soin à une science de l’espace musical. Espace dans lequel on peut se rouler comme d’autres se roulent dans la luzerne. Gaiement, urgemment et sans aucun souci. Parfait Lapin.


Guillaume Malvoisin

Bruno Lapin
Bruno Lapin


photos © Maxim François / site web / instagram
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