Alice Coltrane, l’autre côté du miroir

Alice Coltrane

Dans l’héritage du jazz, il y a deux types de types. Et c’est encore plus vrai quand ces types sont des femmes. Certaines se font remarquer dans l’histoire du jazz. D’autres, dans les marges de l’Histoire. Il y a celles qui définissent les normes, jouent des coudes puis abandonnent. Et puis il y a les autres. Celles qui abandonnent après avoir fait le tour des légendes et de l’univers. Celles qui percent des trous dans l’inconnu. Celles qui après avoir patiemment étudié les arcanes du jazz, observé les luttes afférentes et défié quelques virilités jazz sur leurs terrains, font le pari de la dévotion intérieure et enflamment un paquet d’enregistrements indomptables. Parmi celles-ci, il y a Alice Coltrane. Alerte quand il s’agit de jouer à la marge, frappeuse quand il s’agit de jouer le gospel au piano en compagnie du gratin du free, flamboyante quand il faut allumer l’oreille avec un Om tout hindou. Alice est ainsi. Ravageuse, libre et universelle.

Alice Coltrane est afro-américaine et elle naît à Detroit en août 1937. À Detroit, c’est l’époque où l’industrie auto rugit encore mais les tensions raciales aussi. Aux States, le jazz s’apprend encore et toujours dans les églises, de bouche à oreille. Avec les tripes aussi, l’amour ne joue pas les bégueules. Des chants possédés, le piano a appris à triturer, à pousser le bassin et le pelvis dans des transes insalubres mais magnifiques. Des transes qui iront même prendre l’avant-garde à contrepied. Alice rencontre John en 1963, intègre son groupe en 1965 quand le quartet historique craque sous la pression tellurique de Coltrane. McCoy Tyner et Elvin Jones déposent le bilan. Coltrane, mari et femme, embarquent Rashied Ali et Pharoah Sanders dans une virée cosmique, dont le dernier n’est jamais vraiment revenu. Alice pousse encore plus loin à la mort de Trane. Elle ne jouera jamais les veuves en veille sur l’héritage du défunt. Trop libre pour cela. Alice s’éprend d’ailleurs. D’Inde et de vie spirituelle. Ses enregistrements en témoignent, calment les feux intérieurs quand la plupart des freeteurs balancent des flammes de dragon. Grandes largeurs avec Dave Holland et le jeune Santana, basique vénère avec le Monastic Trio, large et pleine sur le mythique Journey In Satchidananda. Pleine d’une pensée et d’un mystique inoxydables.

Little “S” (1964)

Gospel Trane (1968)

Turiya & Ramakrishna (1970)

Yamuna Tira Vihari (1971)

Angel of Air / Angel of Water (1974)

Yamuna Tira Vihari (1982)

Côté bio, Alice McLeod naît donc en 1937, apprend le piano auprès de sa mère, musicienne d’église. Alice endosse le patronyme de Hagood puis celui de Coltrane. Alice intègre la méditation à sa pratique musicale, impose la harpe comme instrument leader dans le jazz, adopte le surnom de Turiya puis se retire de toute musique de concert, fonde un ashram dans les montagnes de Californie, revient épauler ses fils en scène puis meurt à Los Angeles en 2007. Entre temps, elle aura visité Paris et la turne de Bud Powell pour apprendre le piano jazz, visité l’Amérique du Hard Bop avec le vibraphoniste Terry Gibbs puis visité le cosmos et les musiques extra-européenne avec John, son second mari et comète interstellaire. Chez Alice Coltrane, la déco est du genre tie dye. Mais tout tient dans la vie intérieure. Rapportée trop vite à un cosmique psychédélique pour kids en redescente, la musique d’Alice ne connaît que l’autre côté du miroir. Peu importe d’où on le considère, on bascule à la renverse. Tout n’est qu’affaire de cercles, agités par les mouvements d’une musique extatique, excavatrice d’émotions et de visions. La sélection, strictement subjective, des 6 titres de cette page devrait suffire à vous en convaincre.


Guillaume Malvoisin

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